Pour vaincre Daech, faudrait-il créer un État sunnite sur son territoire ?

  10 Décembre 2015    Lu: 661
Pour vaincre Daech, faudrait-il créer un État sunnite sur son territoire ?
La fondation d`un État sunnite à cheval sur l`Irak et la Syrie permettrait de gagner le soutien des tribus locales actuellement favorables à Daech, assurent des néoconservateurs américains. Pas si simple.
Tout le monde s`accorde pour affirmer qu`il faut détruire l`État islamique. Mais encore faut-il s`interroger sur ce qui va le remplacer, estime John R. Bolton dans une tribune publiée la semaine dernière par le New York Times. Néoconservateur proche de George Bush, fervent partisan de l`intervention américaine en Irak et ancien ambassadeur américain à l`ONU en 2005, Bolton est aujourd`hui contributeur du think tank American Enterprise Institute. L`homme défend une thèse plutôt radicale: préparer l`émergence d`un État sunnite qui intègre le nord-est de la Syrie et l`ouest de l`Irak.

Balkanisation de l`Irak et de la Syrie

John Robert Bolton part d`un postulat: De facto, l`Irak et la Syrie ont déjà disparu au profit de zones géographiques confessionalisées. «Je ne vois aucune perspective de retour aux frontières régionales qui ont précédé l`émergence de l`État islamique», explique l`homme politique américain. En Syrie, le pouvoir est confisqué par les alaouites, secte chiite à laquelle appartient Bachar el-Assad, alors que le pays est à majorité sunnite.

En Irak, le gouvernement chiite mène depuis 2005 une politique sectaire qui a jeté de nombreux sunnites dans les bras de l`EI. John Bolton estime donc que l`État islamique ne pourra être vaincu sans regagner la confiance et le soutien de ces tribus sunnites locales. «Il faut proposer une alternative crédible à Daech. Si c`est pour retourner sous le contrôle du gouvernement de Bagdad manipulé par l`Iran, ou sous celui du clan Assad, il ne faudra pas compter sur l`aide des sunnites», explique-t-il. Il cite en exemple la guerre contre-insurrectionnelle menée par les États-Unis à partir de 2006 en Irak, dont l`objectif était de couper les insurgés de leurs soutiens locaux.

Le Sunnistan, la «moins pire des solutions»?

L`émergence d`un Sunnistan serait le scénario du pire pour de nombreux acteurs régionaux. Pour l`Irak et la Syrie, bien sûr, mais aussi pour l`Iran ou le Hezbollah. John Bolton l`admet bien volontiers, mais il persiste: «L`État islamique doit disparaître, c`est un postulat auquel tout le monde souscrit. Or en Irak, les Kurdes ne libéreront jamais les zones arabes, et le gouvernement de Bagdad n`en est pas capable. L`émergence d`un état sunnite est donc le moins pire des dénouements à espérer pour toute la région», martèle le chroniqueur de Fox News. «Les six pétromonarchies sunnites de la région - Arabie saoudite, Oman, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Qatar - sont sunnites. Même chose pour l`Egypte et la Jordanie. Ce ne serait qu`un État sunnite de plus dans une région où les Etats sont déjà confessionnels dans leur immense majorité.»

Pourquoi ça n`est pas souhaitable

«C`est une idée typiquement néo-con, beaucoup trop simpliste», estime pour sa part Joost R. Hiltermann, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord de l`International Crisis Group. «A vouloir créer un État sunnite à cheval entre l`Irak et la Syrie, ils provoqueraient juste l`émergence d`un nouveau monstre.» Le chercheur réfute l`idée de Bolton selon laquelle les territoires de ce Sunnistan post-Daech correspondraient parfaitement à une zone de peuplement sunnite. «C`est à peu près vrai pour l`Irak, mais ça n`est pas du tout le cas de la Syrie, pays majoritairement sunnite dont la vaste majorité de la population n`est pas sous le contrôle de l`État islamique. Il est impensable que les Syriens laissent faire cela», explique Joost R. Hiltermann.

D`ailleurs, Syriens et Irakiens ne veulent pas que les frontières actuelles disparaissent, selon lui. «En réalité, seuls les Kurdes et Daech veulent une refonte des frontières. Mais ce serait inacceptable pour les principaux acteurs du conflit, que ce soit la Turquie, l`Iran, la Russie, les États-Unis ou l`Union européenne.» Enfin, quand bien même l`idée d`un État sunnite émergerait, se poserait la question de sa gouvernance. «A cause de Nouri al-Maliki, qui a mené les purges antibaasistes à la chute de Saddam, il n`y a plus de leadership sunnite en Irak. En Syrie, quand bien même Assad tomberait, il laisserait un grand vide que le régime, les insurgés et les Kurdes tenteraient de combler en assurant leurs intérêts propres.»

Quid des minorités?

La balkanisation de la région poserait par ailleurs la question de la place des minorités. Au moins 400.000 chrétiens vivent toujours en Irak, plus d`un million sont encore en Syrie. L`Irak accueille également 500.000 à 600.000 yazidis, 1,5 million de Turkmènes (sunnites) mais aussi quelques milliers de Mandéens (adeptes de Jean le Baptiste) ou encore des Chabaks (secte chiite). John Bolton veut croire qu`une partition de la région sur des critères confessionnels ne rendrait pas leur situation pire qu`elle ne l`est déjà. «J`ai l`espoir que ces Etats soient séculiers, ou du moins qu`ils permettent aux minorités ethniques et religieuses de vivre et d`exercer leur culte librement», avance-t-il.

«De même que le Kurdistan pourrait devenir l`État séculier dans lequel les minorités ethniques et religieuses pourraient vivre en paix.» Une idée battue en brêche par Joost R. Hiltermann. «Le sécularisme est mort avec la fin du baasisme dans la région. C`était le modèle défendu par Saddam Hussein et Bachar el-Assad, mais il a échoué.»

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