Attentats de Paris: comment la Belgique est devenue le hub du djihad mondial

  22 Novembre 2015    Lu: 539
Attentats de Paris: comment la Belgique est devenue le hub du djihad mondial
Base arrière des terroristes de Paris, le "plat pays" a longtemps joué le rôle de plaque tournante pour les islamistes. Le royaume de Philippe est-il devenu celui de l’islamisme radical ??
Depuis les attentats de Paris, la Belgique vit en état de siège. Encore sous le choc d’une prise de conscience brutale et tardive. Après le démantèlement de la cellule de Verviers en janvier dernier, puis l’attaque du Thalys en août, voilà le pays au centre de tous les regards, pour la troisième fois en moins d’un an. Le royaume de Philippe serait-il devenu celui de l’islamisme radical ? Comment, en quelques années, le "plat pays" est-il devenu un hub si important du djihad mondial ? Pourquoi vient-on pour y séjourner, se planquer, se radicaliser, acheter des armes ? Frédéric Van Leeuw, le procureur fédéral, veut croire :

"Cela s’explique notamment par notre position géographique centrale et notre taille. Nous sommes un petit pays qu’on peut quitter en une heure."

Plaque tournante

A y regarder de près, tous les terroristes islamistes qui ont tragiquement fait l’actualité ces derniers temps y sont passés. C’est de Belgique qu’Amedy Coulibaly, le tueur de l’Hyper Cacher en janvier, aurait fait venir une partie de son arsenal. C’est encore en Belgique qu’Ayoub el-Khazzani, le tireur marocain du Thalys, a trouvé refuge après sa tentative ratée de passage en Syrie et a certainement acheté son attirail guerrier. En Belgique toujours que le Français Mehdi Nemmouche a passé quelques mois à son retour de Syrie, avant de perpétrer en mai 2014 l’attentat contre le Musée juif de Bruxelles, qui coûtera la vie à quatre personnes.

La cellule de Verviers, démantelée en janvier dernier, projetait, elle, des attaques violentes contre les forces de police. Il y a deux ans, c’est un Franco-Algérien du nom de Hakim Benladghem vivant à Anderlecht qui aurait pu faire un carnage. Tué lors d’une course poursuite sur l’autoroute A8 entre Lille et Bruxelles, cet ancien légionnaire radicalisé avait constitué à son domicile une véritable armurerie militaire : plusieurs modèles de fusils-mitrailleurs, gilets pare-balles, vêtements en Kevlar, viseurs longue distance, explosifs, masques à oxygène. Mohamed Merah, lui-même, avant ses tueries de Toulouse et de Montauban en mars 2012, est venu passer la journée à Bruxelles pour consulter sur des questions religieuses un cheikh marocain y vivant.

Qu’on ne s’y trompe pas. Le phénomène ne se limite pas à quelques radicaux isolés. Avec 494 combattants passés par la Syrie et l’Irak, selon les derniers chiffres de la Sûreté de l’Etat, la Belgique est le pays européen ayant envoyé le plus gros contingent de djihadistes par rapport au nombre d’habitants. La moitié d’entre eux auraient un passé de délinquants. Me Christophe Marchand, ténor du barreau bruxellois qui assure la défense de plusieurs djihadistes, explique :

"Dans le lot, on trouve de tout. Des gens en rupture, des intellectuels, des gens à la recherche d’un idéal politico-religieux, des délinquants importants qui trouvent en Syrie un terrain de jeu et peuvent commettre des crimes de guerre. L’un d’eux, père de famille parti là-bas, m’a dit : `J’en avais marre de recevoir des courriers d’huissiers !`"

La société bouleversée

Pour les djihadistes franco-belges combattant dans les mêmes brigades francophones en Syrie, les frontières n’existent plus depuis longtemps. En 2014, la justice belge avait ouvert 195 dossiers liés au terrorisme. Rien que pour les neuf premiers mois de l’année 2015, le chiffre est déjà de 225. La justice belge croule sous tellement d’affaires qu’elle vient d’affecter une deuxième chambre d’audience du tribunal de Bruxelles exclusivement au terrorisme. Son agenda est déjà rempli jusqu’en juin 2016. Au parquet fédéral, 8 magistrats sur 26 sont désormais spécialisés dans le terrorisme. Un neuvième est attendu.

Face à la menace, le pays a même revu ses grands principes. En janvier dernier, la Belgique a déployé pour la première fois de son histoire des militaires sur les sites sensibles de Bruxelles. Une sorte de plan Vigipirate, de nouveau renforcé au mois d’août. L’arsenal législatif a lui aussi subi de profondes modifications. Le gouvernement fédéral a fait adopter au début de l’année une douzaine de mesures visant notamment à élargir la liste des délits permettant l’utilisation des "méthodes particulières de recherche".

Une minirévolution pour ce pays aux traditions feutrées et très sourcilleux sur les libertés individuelles. "Nous avons longtemps vécu dans le déni. Le politiquement correct a anesthésié le débat", regrette Alain Destexhe, sénateur du parti libéral MR, l’un des plus virulents sur ces questions. "Je suis parlementaire depuis 20 ans et je ne me souviens pas d’avoir eu un débat de fond sur l’intégration, le vivre-ensemble. Ce sont des sujets tabous. Lors des débats qui ont suivi les tueries de `Charlie Hebdo` et de l’Hyper Cacher, pas une seule fois le mot `musulman` n’a été prononcé."

Des figures du djihadisme

Le phénomène ne date pourtant pas d’hier. Dès le début des années 2000, de nombreuses enquêtes sur les réseaux islamistes passent déjà par la Belgique. A commencer par celle concernant les deux tueurs du commandant Massoud, assassiné en Afghanistan deux jours avant les attentats du 11 septembre 2001.

Né en Tunisie, l’un d’entre eux, Abdessattar Dahmane, est arrivé dans le pays comme étudiant en 1987. Alors âgé de 25 ans, il avait suivi des cours de journalisme à l’université libre de Louvain puis à Bruxelles avant de se retrouver dans la mouvance islamiste locale et de partir pour l’Afghanistan en 2000. Son comparse, tunisien d’origine lui aussi, parti un temps faire la guerre en Tchétchénie, avait également vécu clandestinement en Belgique.

Lors de ses années bruxelloises, Dahmane épouse Malika el-Aroud, une Marocaine arrivée en Belgique à l’âge de 4 ans. Cette pasionaria islamiste est devenue une des icônes de la sphère djihadiste, en publiant "les Soldats de la lumière" en 2004. Un ouvrage "culte", dont on retrouvera un exemplaire, 10 ans plus tard, dans la maigre bibliothèque d`Hayat Boumeddiene, la compagne d’Amedy Coulibaly.

A la mort de Dahmane, Malika el-Aroud se remarie avec un recruteur de la filière afghane, Moez Garsallaoui. Un Belgo-Tunisien qui fut l’un des formateurs de Mohamed Merah lors de son passage au Pakistan. Et que dire de cette autre figure belge du djihadisme mondial : Muriel Degauque, la première kamikaze occidentale. Une boulangère convertie de Charleroi qui se fit exploser au milieu de policiers irakiens en novembre 2005.

Des filières d`envoi de combattants

Pendant plusieurs années, le Centre islamique belge (CIB), un mouvement radical ayant établi ses quartiers dans une mosquée de Molenbeek, à Bruxelles, semble avoir joué un rôle clé dans différents dossiers de terrorisme. Par le passé, une vingtaine de personnes évoluant dans son orbite seraient parties combattre en Irak et en Afghanistan. C’est au CIB que Malika el-Aroud et Dahmane se sont mariés religieusement.

Les textes diffusés sur son site internet, Assabyle.com, sont devenus des références dans les milieux islamistes européens. Le fondateur, Bassam Ayachi, est un Franco-Syrien âgé de 69 ans. Cet ex-restaurateur d’Aix-en-Provence, devenu à Bruxelles un cheikh radical à barbe blanche et à la renommée bien établie, a rejoint la Syrie en 2013 dans une ambulance remplie de médicaments et de vivres. Son fils, Abdel Rahman, y dirigeait les Faucons du Cham, une brigade de 600 hommes, avant de mourir en juin 2013.

Un Belgikistan ?

Aux côtés de plusieurs filières d’envoi de combattants en Afghanistan, Irak, Somalie, la Belgique a également joué un rôle important en matière de diffusion de la propagande radicale. Au même titre que le Londonistan, existerait-il un Belgikistan ? Ces dernières années, l’univers salafiste radical y a prospéré en profitant d’une législation très souple sur la liberté d’expression, du repli communautaire dans un pays lui-même confronté à des divergences fortes entre Flamands et Wallons, du laisser-faire des autorités belges et enfin de l’incapacité des autorités religieuses musulmanes à s’entendre.

Un réseau parallèle et très structuré de mosquées, centres de formation, librairies s’est développé à vitesse grand V. De nombreux prêcheurs y tiennent des conférences. Tandis que l’islam officiel peine à exister. "Dans les Flandres, seule une dizaine d’imams parlent le néerlandais. Ils ignorent qui est Voltaire, ce que sont les Lumières, ce qu’est l’évolution...", regrette Montasser Alde’emeh, un chercheur belgo-palestinien, auteur de "Pourquoi nous sommes tous des djihadistes"

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