«Speed watching» : des séries à grande vitesse

  27 Décembre 2016    Lu: 962
«Speed watching» : des séries à grande vitesse
Après l`indigestion d`épisodes d`une même série regardés à la queue leu-leu, la tendance est maintenant à la consommation en accéléré. Quelques applications permettent désormais de visionner en augmentant de 20% à 50% le défilement des images. Attachez vos ceintures.
Toujours plus vite ! Les séries télévisées n’échappent pas à la règle non écrite du «fast and furious». Les plus accros à ce genre télévisuel sont en train de faire émerger une nouvelle manière de regarder Mad Men, Quantico ou Jour polaire, la dernière production de Canal +. Désormais, un épisode de cinquante-deux minutes de Game of Thrones peut se regarder en trente-neuf minutes grâce à une option proposée aussi bien par YouTube que par Chrome, le logiciel de navigation sur Internet de Microsoft, ou encore VLC.

Il s’agit d’accélérer la vitesse de défilement des images de 20% à 50%. Les dialogues n’en sortent pas particulièrement déformés et le consommateur addictif peut en voir plus pour un temps équivalent, ou découvrir rapidement la solution de l’intrigue sans attendre 8 à 10 fois cinquante-deux minutes, la durée moyenne pour une série française. Certes, le phénomène est encore embryonnaire. Il est cependant la suite logique du «binge watching» – par analogie à l’ivrognerie du «binge drinking» –, cette possibilité désormais offerte par les chaînes de télévision, comme par les plateformes de diffusion du type Netflix de visionner tous les épisodes d’une série le même jour. Jusqu’à une époque récente, le téléspectateur devait patienter une semaine entre deux épisodes. Un timing qui, aujourd’hui encore, rythme l’écriture d’un scénario et notamment celle des cliffhangers (littéralement «au bord de la falaise»), ces moments culminants de suspense qui laissent le téléspectateur en haleine jusqu’à l’épisode suivant.

Génération YouTube

Les plus pressés ne veulent maintenant plus s’encombrer des plans fixes un peu longs ou des dialogues qui ne vont pas à l’essentiel : ce que les jeunes, notamment, attendent avant tout, c’est la suite de l’histoire. Une série en devient alors réduite à son récit. Pourtant, si l’on ne regarde pas les détails de Breaking Bad, on en perd la saveur. «Ceux qui adoptent ce comportement nient le travail réalisé par l’auteur», regrette François Jost, professeur émérite à la Sorbonne Nouvelle et directeur de la revue Télévision éditée par le CNRS.

Reste que le «speed watching» a ses adeptes convaincus. «J’accélère durant les séquences trop longues. Il y a des moments tellement attendus que l’on a déjà compris en regardant le début», confie, sous le couvert de l’anonymat, un auteur de séries policières, on ne peut plus bankable. La fracture en la matière est surtout générationnelle. «Il y a la génération Soprano âgée aujourd’hui de 40 à 60 ans, qui ne se sent pas concernée, et la génération plateforme de diffusion et YouTube, plus adepte de ce type de consommation», note Pascal Breton, producteur de Marseille pour Netflix et du Bureau des légendes pour Canal +.

Il semble également que visionner en accéléré ait valeur de test pour ceux qui ne connaissent pas encore un programme et veulent se forger une opinion, en minimisant le temps passé. D’autant que dans ce genre télévisuel, la production ne connaît pas la crise. L’an dernier, 455 séries ont été mises en chantier aux Etats Unis, soit une hausse de 71% depuis 2011.

De plus en plus d’ellipses dans l’écriture ?

La France n’est pas en reste avec 81 «feuilletons» tournés en 2015. Et cette inflation se traduit dans les grilles de programmes. TF1 consacre trois soirées par semaine aux séries. Et, après avoir commencé par diffuser deux épisodes après 20h30, TF1 comme France Télévisions sont passés à trois. Au total, les chaînes hertziennes ont aligné 727 soirées de séries l’an dernier. Canal + et Netflix proposent, eux, l’intégralité d’une nouvelle saison dès le premier jour de diffusion.

La consommation en accéléré est donc la suite logique de ce changement de modèle et de cette profusion qui rend le choix du téléspectateur on ne peut plus complexe. Les conséquences pourraient maintenant intervenir sur l’écriture même des scénarios et la réalisation. Les ellipses qui permettent d’accélérer une narration en partant du principe que le spectateur a compris le déroulement d’une histoire sans qu’on le prenne par la main, sont promises à un bel avenir. Signe de l’air du temps, le producteur Pascal Breton développe, pour YouTube, le pilote d’une série dont chaque épisode ne dépassera pas dix minutes. En mode accéléré, une saison entière pourra alors être vue en moins de temps qu’il ne le faut pour un seul opus d’Engrenages.

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