« Le Mariage forcé de George Dandin » d’après Molière: une comédie jazzy pleine de panache!

  04 Décembre 2016    Lu: 563
« Le Mariage forcé de George Dandin » d’après Molière: une comédie jazzy pleine de panache!
Et si George Dandin avait vécu dans l’Amérique de la grande dépression? Si, plutôt qu’un riche paysan en quête de noblesse, comme notre cher M. Jourdain, il était un self made man, trop content de renflouer les caisses d’un aristo des beaux quartiers de Boston en échange de sa fille? Lancé par cinq comédiens pleins d’énergie et de talent, le pari ne manque pas de panache. S’il n’est pas tout à fait gagné, il nous vaut de savoureuses trouvailles sur fond de jazz et de fête foraine.

Première transgression, le spectacle est une contraction de deux courtes pièces: le Mariage forcé et George Dandin. De fait, il y a beaucoup de ressemblance entre les deux pigeons: le premier, riche paysan craignant d’être cocu, souhaiterait renoncer au mariage, mais pour reprendre sa parole, il lui faudrait en passer par un duel avec le futur beau-père, peu désireux de laisser passer l’occasion de redorer son blason. Le second, marié de son plein gré en échange de la particule magique qui fait rêver les amateurs de noblesse de tous temps, sera bel et bien cocufié au long d’une comédie grinçante aussi drôle que cruelle.

Donc un seul homme, un seul rêve, une seule punition. Molière s’est amusé plus d’une fois avec la vanité des hommes. Son sujet est increvable. On peut le transposer en tous temps et partout. Et pourquoi pas dans l’Amérique de la grande dépression? S’il ont eu les yeux un peu plus grands que le ventre, les deux jeunes metteurs en scène et comédiens (Matthias Fortune Droulers et Ivan Herbez) ont empoigné le sujet avec une gourmandise et une intelligence qui forcent la sympathie. Avec trois fois rien et cinq comédiens vivaces, dotés de fortes personnalités, ils parviennent à faire surgir sur le petit plateau du Ciné 13 Théâtre une fête foraine avec ses soeurs siamoises, son train fantôme, son nain arrogant, cigare au bec. Etonnante, aussi, la scène d’ouverture où des ouvriers en salopette abattent leur massue en s’esclaffant tandis que le futur marié les interroge sur les dangers du mariage.

Inventivité, gaieté, amour du jeu, le tout pimenté par un côté blagueur, électrisé par de justes références à Charlot, vrillé de fausse naïveté, tout cela enchante, surprend, fait jaillir le rire. Et parfois l’émotion. Car Dandin, s’il a le sourire aux lèvres, amer sourire il est vrai, lutte contre la dépression. Sa femme le fait cocu avec le soutien de la servante, et quand il va chercher le soutien de ses beaux-parents, il ne reçoit qu’humiliations et incompréhension.

Le fin et subtil Benjamin Duc interprète Dandin avec une élégance désabusée. Il est lucide, impuissant, désespéré. Il ne tient qu’à coup de tranquillisants. Face à lui, Léa Dauvergne joue Mlle de Sotenville. Joyeuse, impérieuse d’abord puis provocante, elle trouve le ton juste pour exprimer la révolte de son personnage, privé de jeunesse et vendu à un homme pour renflouer les caisses paternelles. Un discours cher à Molière qui fut constamment soucieux de la condition des femmes « de qualité », ou « du peuple » face au pouvoir masculin. La servante Claudine, entremetteuse des amants, en est un autre exemple. Ivan Herbez lui prête avec finesse sa stature de géant aux yeux doux. Et résiste avec piquant aux assauts du vers de terre amoureux que campe le délicieux Bertrand Mounier, messager aussi roué que coquin, et bête comme savent l’être les valets de Molière.

De fait, ce qui ravit dans ce spectacle, c’est la profonde attention portée aux personnages, précisément dessiné par chacun. Comme le couple des Sotenville, attelage savoureusement dépareillé. Elle, Anne-Sophie Liban, hautaine, mielleuse, porte la culotte et défend l’honneur de la noblesse française, sans dédaigner, s’il le faut, les sévices physiques. Lui, Bertrand Mounier, lui emboite le pas avec fougue et autorité. Ces deux là sont d’accord sur tout. Ils auront le dernier mot.

Quant à l’amant, l’irrésistible Clitandre, Matthias Fortune Droulers lui a taillé un costume à sa mesure. Blazer bleu marine et cravate club, raie sur le côté et pantalon trop court sur ses Weston, c’est un garçon trop vite monté en graine. L’amour fait de lui un niais, comme il fait de sa maîtresse une fine mouche.

Bref, très à l’aise dans les mille façons de faire rire et d’émouvoir, nos deux metteurs en scène nous donnent un spectacle riche en goût et haut en couleur, un spectacle aussi fougueux que personnel. Parfait pour chasser la grisaille. Et affronter la nouvelle année.

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