Il a longtemps été affirmé que l’art rupestre était une affaire d’hommes. Les silhouettes de bisons et les marques de mains datant de la Préhistoire auraient été l’œuvre des chasseurs, revenus victorieux dans leurs abris. En 2013 pourtant, l’anthropologue américain Dean Snow interrogeait la véracité de ces croyances. Dans une étude publiée avec l’aide de National Geographic, il affirmait qu’il "existait une distorsion masculine depuis longtemps". "Les gens ont fait beaucoup de suppositions hâtives de qui a créé [ces empreintes de main] et pourquoi."
C’est grâce aux travaux du biologiste britannique John Manning, datant du début des années 2000, que Dean Snow a entamé cette remise en question. John Manning affirme que les mains des hommes et des femmes diffèrent : l’index et l’annulaire de la main d’une femme font à peu près la même taille, tandis que, chez l’homme, l’annulaire dépasserait souvent quelque peu l’index.
C’est en observant la couverture d’un livre sur l’art rupestre, présentant un pochoir de main dans la grotte du Pech Merle (en France, dans l’Occitanie), que l’anthropologue a eu une révélation : "Je l’ai regardée et je me suis dit : bon sang, si Manning sait de quoi il parle, alors c’est très certainement une main de femme que j’ai devant les yeux."
Le chercheur a entrepris d’étudier 32 pochoirs de mains présentes dans huit grottes, en Espagne dans celle d’El Castillo et en France, dans celles de Gargas et Pech Merle. Il a ensuite créé un algorithme qui utilise comme références des mains de personnes présentes dans ces régions depuis de nombreuses générations : "Grâce à différentes mesures – telles que la longueur des doigts, de la main, le ratio entre l’index et l’annulaire et entre l’index et l’auriculaire –, l’algorithme pouvait pronostiquer si la main était celle d’un homme ou d’une femme."
75 % des dessins analysés auraient été réalisés par des femmes
Testé sur des mains "modernes", l’algorithme voyait juste 60 % du temps. Ses calculs affirment que 24 des 32 dessins analysés auraient été l’œuvre de femmes. Cela porte un coup aux légendes de ces hommes préhistoriques chasseurs et créatifs, qui rapportaient sur les murs le compte rendu de leur dur labeur quotidien, tandis que les femmes ne s’occupaient que de la cueillette :
"Dans la plupart des sociétés de chasseurs/cueilleurs, ce sont les hommes qui tuent, mais c’était souvent les femmes qui rapportaient la viande jusqu’aux campements et les femmes étaient aussi impliquées dans la productivité de la chasse que les hommes. Ce n’était pas juste une bande de types qui chassait le bison dans son coin."
De la nécessité d’interroger le passé
Si l’étude de Dean Snow date de 2013, elle continue d’être discutée et commentée, comme encore récemment sur Instagram. Ces discussions se trouvent dans la droite lignée d’une nécessité d’interroger les affirmations et préjugés des mondes de l’art et de la science. Les hypothèses du professeur sont cependant toujours débattues.
Pour d’autres biologistes, les premiers artistes de l’histoire de l’humanité seraient des enfants (aux mains petites et aux corpulences plus minces, qui pouvaient se glisser dans nombre de grottes exiguës) ou des chamanes, qui pouvaient être des hommes, mais aussi "des femmes ou des transgenres", précise l’archéologue Dave Whitley. Le mystère concernant les auteur·rice·s des premières œuvres connues subsistera sans doute longtemps. Leur simple existence cependant – et le fait qu’hommes, femmes ou enfants puissent en être les auteur·rice·s – est porteuse d’espoir : de tout temps, semble-t-il, les humain·e·s ont souhaité créer et exister par l’art, de façon constamment réinventée.