Il y a quelques jours, lors de l'annonce du plan gouvernemental de relance de l’aéronautique, la France a indiqué vouloir un avion zéro émission carbone à l'hydrogène dès 2035. En annonçant l'octroi d'un financement d'1,5 milliard d'euros sur 3 ans au Conseil pour la Recherche Aéronautique Civile (CORAC), l'État souhaite amorcer un programme de Recherche et Développement dans les technologies de réduction de la consommation de carburant, les technologies d'électrification des avions et les expérimentations de carburants neutres en carbone comme l'hydrogène.
Ce financement a aussi pour but d'éviter aux industriels concernés tout risque de retard, voire d'être dépassés par leur concurrents si les compagnies aériennes, poussées par leurs clients, se faisaient plus insistantes et réclamaient un avion zéro émission carbone dès le début de la décennie 2030.
Si Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire s'est dite confiante dans la réalisation d'un tel avion à cet horizon, des spécialistes de l'aviation commerciale et du secteur des transports sont plus nuancés. C'est le cas de Luis Le Moyne, directeur de l'Institut supérieur de l'automobile et des transports.
Comme nous l'explique cet enseignant-chercheur et professeur des universités, en l'état, la « technologie n'est pas suffisamment mûre pour embarquer dans des avions commerciaux ». La mise au point d'un moteur à hydrogène, « que ce soit une pile à combustible qui produit l'électricité nécessaire pour entraîner une hélice ou qui brûle de l'hydrogène dans un turboréacteur », se heurte à plusieurs problèmes techniques et de production d'hydrogène « nécessitant une augmentation massive de la production d'énergie éolienne et solaire ».
Hydrogène : des fusées aux avions
Cette idée de faire voler des avions de ligne à l'hydrogène est à l'étude depuis une dizaine d'années chez les constructeurs d'avions. Tous sont convaincus que l'hydrogène est une des alternatives énergétiques la plus prometteuse du futur. Le principal avantage de l'hydrogène, outre le fait qu'il s'agit d'un carburant sans émission de carbone, « c'est sa densité énergétique massique », ce qui explique son utilisation dans l'industrie des lanceurs.
Mais un avion de transport de passager de type A320 aura besoin de grande quantité d'hydrogène à des niveaux de pression très élevés, voire liquéfiés pour limiter son volume, car la masse volumique de l'hydrogène à basse pression est très faible. Dans tous les cas, de « très grands réservoirs à haute pression et très légers -- à réaliser avec des matériaux qui puissent supporter ces contraintes -- avec un poids très faible seront nécessaires ». L'architecture des avions sera à repenser complètement, car les « réservoirs actuels ne sont pas adaptés pour embarquer de l'hydrogène ». Leur taille et leur forme sont à revoir tout comme leur nombre et leur position dans l'avion. « Plus que les moteurs, ces réservoirs d'hydrogène sont le principal verrou technologique. »
Cela dit, si les compagnies aériennes et les constructeurs d'avions sont bien conscients de la nécessité de réduire leur empreinte carbone et de réaliser un avion neutre en carbone grâce au recours de l'hydrogène, encore faut-il que ce « carburant » soit produit à partir d'électricité décarbonée ou d'énergies renouvelables. Sinon, on déplace le problème !
Il faut savoir qu'il n'y a pratiquement pas de « mine » d'hydrogène de sorte qu'il doit être fabriqué. Il sera donc nécessaire de se doter « d'infrastructures de production d'hydrogène vert utilisant de l'électricité decarbonée de type éolienne ou solaire ». Aujourd'hui l'hydrogène est essentiellement produit « à partir d'hydrocarbures, comme le pétrole, le charbon ou le gaz ». Il peut également être produit à partir de l'électrolyse de l'eau, c'est-à-dire une réaction chimique qui sépare l'hydrogène et l'oxygène de l'eau grâce à un courant électrique.
Mais, si cette solution apparait comme la plus écologique, elle peut poser problème si l'eau à l'état liquide est « mise en concurrence entre la consommation humaine et faire voler les avions ». Pour rappel, la production de biocarburants est accusée d'entraîner des augmentations de prix des matières premières agricoles et d'augmenter la faim dans le monde.
Des infrastructures de production d'hydrogène vert seront nécessaires
Si l'idée de faire voler un avion commercial neutre en carbone en 2035 semble réalisable, « pour peu que l'on s'en donne les moyens financiers », se pose aussi la question du modèle économique que l'on souhaite appliquer à ce type d'avions commerciaux. Or, avec un pétrole qui ne coûte pas cher, et qui pourrait durablement le rester à des niveaux très bas, l'hydrogène « s'annonce comme un combustible assez cher à fabriquer », notamment du fait que toutes les étapes de sa production devront être décarbonées. « Tout cela est plus compliqué que pomper le pétrole et le raffiner. »
Dans ce contexte, le modèle économique d'aujourd'hui « n'est évidemment pas reproductible tel quel pour l'hydrogène ». Faire des projections à un horizon aussi lointain, notamment pour déterminer le nombre d'avions nécessaire à fabriquer pour un retour sur investissement qui définira le prix des billets, n'est pas réaliste, selon Luis Le Moyne. Pour cet enseignant-chercheur et professeur des universités, le modèle économique « devra tenir compte de l'état des marchés pétroliers et des demandes clients qui, aujourd'hui, sont focalisés sur des billets toujours moins chers et un besoin de confort en termes de bruit et d'espace ». Demain, ces mêmes clients pourraient se focaliser sur la pollution.
En conclusion, si un avion volant à l'hydrogène, transportant plus ou moins 250 personnes, est envisageable en 2035, les avions de ligne conventionnels ne disparaîtront sans doute pas encore avant plusieurs décennies. Les premiers avions à hydrogène qui voleront ne seront pas « bon marché » mais on peut tout à fait imaginer que les arguments de vente de ces premiers avions à hydrogène « mettront l'accent sur l'écologie et le confort » plutôt que sur le prix. Ce n'est pas sans rappeler la mise en service du Concorde capable de rejoindre New York en seulement 3 h 30 contre plus de 8 h pour un avion conventionnel, mais au prix d'un billet aller-retour à plus de 8.000 dollars.
Ce futur avion à hydrogène pourra voler plus vite que les avions actuels mais, pour des raisons d'un « compromis à trouver entre le rapport consommation et stockage de l'hydrogène », sa vitesse de croisière devrait être moins élevée.
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