Hollande-Tsípras, une relation particulière

  22 Octobre 2015    Lu: 506
Hollande-Tsípras, une relation particulière
Le président français est en déplacement à Athènes pour retrouver un Premier ministre grec dont il s`est rapproché lors de la crise européenne de l`été.

Entre eux, «c’est assez sérieux», assure un conseiller présidentiel. François Hollande, président réformiste en mal de soutien populaire, et Alexis Tsípras, Premier ministre radical contraint au réalisme mais relégitimé par les urnes, les meilleurs alliés du monde? Après la crise européenne de l’été, le chef de l’Etat français effectue jeudi et vendredi la première visite d’un dirigeant européen sur place depuis les menaces de Grexit.

Et c’est peu dire que l’exécutif grec met les petits plats dans les grands: ces 24 heures chrono sont truffées d’honneurs en grande pompe, d’un dîner d’Etat à un déjeuner sur fond d’Acropole en passant par un discours devant la Vouli, le parlement grec. Avant Hollande, seuls de Gaulle, Eisenhower, Bush père et… Nicolas Sarkozy avaient eu ce privilège. Une flopée de gestes symboliques pour, dixit Athènes, souligner la «relation particulière» qu’entretiennent les deux pays. Un lien «de confiance qui s’est construit dans l’épreuve et les preuves», selon la formule d’un conseiller élyséen.

Car quand il arrive à Paris début février, quelques jours après sa victoire aux législatives, Tsípras n’est pas franchement la tasse de thé des socialistes français et européens. Il est loin le temps où François Mitterrand, à la veille de son voyage en Grèce en 1982, pouvait dire que son passage à la tête du PS français lui permettait d’avoir «une appréhension, une compréhension, des affinités particulières avec ceux qui gouvernent aujourd’hui la Grèce». Trente-trois ans et une série de crises économiques aiguës plus tard, le programme de Tsípras ravit l’aile gauche du PS français mais il a de quoi effrayer les tentants de la realpolitik à la Hollande: refus des plans d’austérité, recapitalisation des banques, moratoire sur la dette privée, hausse du salaire minimal, nationalisations… Comme un rappel de ce que pourrait être la «vraie» gauche?

Dans les rangs socialistes français l’hiver dernier, «la question c’était: "mais qui est donc ce Tsípras ?" Un allié pour réorienter l’Europe ou un adversaire qui va jouer le peuple contre le système alors que nous, on est dans le système», résume huit mois plus tard un diplomate français. La première entrevue entre les deux hommes à l’Elysée se passe plutôt bien. Tsípras et Hollande «sont des animaux politiques, biberonnés au rapport de forces. Ils ne montrent pas leurs émotions», analyse un conseiller de l’exécutif. «Dès le départ, il y a du respect des deux côtés, Hollande et Tsípras s’entendent bien sans avoir le même corpus idéologique du tout, reconnaît un proche de Hollande. Il y a une plus grande proximité entre Tsípras et la gauche française qu’avec [le président du conseil italien Matteo] Renzi. Et Hollande est le président de la gauche française». La pirouette est osée. 


Au fil des mois, un semblant de confiance s’installe et les entretiens bilatéraux se font plus fluides. En français et grec avec traducteur quand il s’agit d’entrer dans le dur des chiffres et le technique des réformes. En anglais et sans témoin le reste du temps. Il y aura pourtant pas mal de «ruptures de confiance» entre Paris et Athènes. Quand Tsípras convoque un référendum pour ou contre le plan d’aide européen début juillet, l’Elysée tombe des nues. Certes le Premier ministre grec remporte son pari mais au soir de sa victoire Hollande le cueille à froid. «Tu as gagné mais tu es à deux doigts de sortir de la zone euro si tu ne m’aides pas à m’aider», lui dit le président français au téléphone. Apparemment, le message n’est pas passé immédiatement. Le mardi suivant, alors que chaque heure compte pour trouver une issue à la crise et que les diplomates moulinent sur la réforme des retraites, la privatisation des aéroports régionaux ou «l’économie du pain » grec, «on a vu arriver un Tsípras les mains dans les poches à Bruxelles, avec ce côté blasé qui le caractérise», se souvient un membre de la délégation française. Hollande hausse alors le ton: «tu n’as que 24 heures», assène-t-il au chef du gouvernement grec. Les coups de fil se font alors quasi-quotidiens, comme avec Angela Merkel. «Ils savent se dire les choses», glisse-t-on dans l’entourage du chef de l’Etat, ce qui en langage diplomatique témoigne d’une proximité certaine mais aussi de la rugosité qu’ont pu prendre leurs échanges.

Dans la nuit du 12 au 13 juillet, quand tous les voyants sont au rouge, que l’Allemagne se cabre et que la Grèce est à deux doigts de sortir de l’euro, Tsípras disparaît. Lui qui est d’ordinaire si blasé semble excédé. Hollande descend d’un étage à Bruxelles pour aller le chercher dans les bureaux de la délégation grecque. L’homme des synthèses socialistes convainc le benjamin de l’Europe. Encore quelques heures de bras de fer et à l’aube, un accord est trouvé: la Grèce reste à bord. «Depuis le début du quinquennat pour Hollande et pendant tout l’hiver pour Tsípras, on a douté de leur engagement. Et voilà, Ils sont tout simplement européens », sourit un des négociateurs.

Puisque Tsípras lui demande conseil, le président ne mégote pas: des conseillers français épluchent le plan d’aide européen et accompagnent les négociations côté grec. Il n’y a jamais eu d’hommes de Bercy à Athènes mais un intense suivi depuis Paris et Bruxelles. Vendredi cette aide officieuse prendra une tournure tout à fait officielle avec la signature d’un accord d’assistance sur les réformes administratives et fiscales. Car, l’Elysée insiste, la Grèce est loin d’être sortie d’affaire et les mesures d’austérité s’enquillent avant de délicates négociations sur la dette. Mais les législatives de fin septembre ont relégitimé Tsipras et, selon François Hollande, envoyé «un message important pour la gauche européenne», le succès de la combinaison valeurs, progrès, croissance et «réalisme».

«Alexis Tsípras a été courageux», a salué Hollande devant le Parlement européen quelques jours plus tard. «Il y a une forme de dignité dans son itinéraire politique: avec lui, les Grecs ont le sentiment de résister», dit-il en petit comité. D’ailleurs, devant les députés qu’il reçoit pour des apéros politiques à l’Elysée, le chef de l’Etat utilise Tsípras comme un miroir pour justifier sa propre action. «Il en parle souvent pour souligner que seule la responsabilité peut permettre de sortir des crises», rapporte un conseiller présidentiel. Tsípras, en prime, a provoqué en un an une refondation de la gauche grecque qui laisse rêveur certains en France. «Il a coupé son aile gauche à Syriza et il a tout réorganisé autour de la nécessité de réformer et le réalisme de gouvernement», décrypte Luc Carvounas, président du groupe d’amitié France-Grèce au Sénat. Bref, selon lui, «ce n’est pas nous qui nous gauchisons mais Tsípras qui se rapproche de nos positions». Un proche de Hollande se marre: «Si ça continue comme ça, Syriza va finir par entrer au PS.»

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