Ankara sur le chemin de Bruxelles
Sa politique syrienne est enterrée en grande pompe et, à part le Premier ministre-professeur de relations internationales, Ahmet Davutoglu, tout le monde est d`accord sur ce point. Déboussolés par leurs multiples aspirations (UE, monde arabo-islamique, Asie centrale), les Turcs se sont néanmoins accrochés à une bouée de sauvetage tombée de Bruxelles. Ou de Berlin, c`est tout comme.
Confrontée à des vagues incessantes de déplacés (composées de réfugiés politiques et de migrants économiques), l`Union européenne a en effet décidé de se rapprocher de la Turquie. Bruxelles lui propose de l`argent pour faire le gendarme à ses marches en échange de l`octroi de quelques visas et de l`ouverture de nouveaux chapitres.
Ironie de la situation, les chapitres en cause sont relatifs à la justice et à l`Etat de droit. Que de temps perdu pour Bruxelles et Ankara ! La chancelière Angela Merkel, la plus ardue, est arrivée à Istanbul pour marchander en personne. Celle qui répète sans relâche que la Turquie n`a pas sa place en Europe a dû se rendre à l`évidence.
Et c`est une bonne nouvelle pour les deux parties. Une sorte de procrastination qui a enfin abouti à quelque chose de bien. Car, il y a quelques années, l`UE (plus précisément le duo Merkel-Sarkozy) narguait les Turcs qui, il faut le dire, n`étaient pas non plus avides d`Europe.
Le Premier ministre de l`époque, Tayyip Erdogan, était occupé à mûrir une vendetta contre un ennemi personnel, Fethullah Gülen, à liquider tous ses soutiens libéraux pour renforcer son pouvoir personnel et à rêvasser sur la grandeur du pays pour l`inscrire dans son prestige passé. Bonne nouvelle donc puisque la justice turque avait besoin d`être épaulée par les critères plus rigoureux de Copenhague.
Si le monde entier commence à murmurer qu`Erdogan-le réformateur est en passe de devenir (ou est déjà devenu) Erdogan-le dictateur, c`est qu`il y a évidemment un souci. Un complot international, rumineront sans doute les partisans. Ignorons-les et écoutons les plus sages. On avait besoin de l`Europe pour avoir le droit de crier à la face du gouvernant comme l`avait fait le meunier prussien face à Frédéric II, «il y a des juges à Berlin !». Sans être inquiété.
A défaut d`avoir trouvé le «chemin de Damas», Ankara a donc emprunté le train bruxellois. La perspective de restaurer l`Etat de droit est assurément une bonne nouvelle. Reste à ne pas oublier que c`est une conséquence de la realpolitik (un drame humanitaire) et que le processus est donc ab initio bancal. Ouvrons donc les quinquets.