L’Azerbaïdjan, victime d’un délit de sale gueule?

  09 Février 2016    Lu: 1742
L’Azerbaïdjan, victime d’un délit de sale gueule?
Participant de son habituel manichéisme brailleur dépourvu de finesse, Cash Investigation, émission de France 2 présentée par Elise Lucet, écharpait violemment l’Azerbaïdjan début septembre 2015, dans son numéro consacré au pays d’Ilham Aliyev. Deux heures durant, sans s’encombrer de nuances, Aliyev était présenté sous le vocable de « despote » ou « dictateur du Caucase », son pays taxé de « dictature féroce », l’une des « pires au monde ». Ce procès expéditif, s’il évite d’avoir à plonger dans le sujet pour permettre au téléspectateur de surfer tranquillement sur ses préjugés, ne dit pourtant pas grand chose de ce qu’est devenu ce pays au fil du temps : l’un des seuls pays musulmans laïques, où le taux de femmes élues ne cesse d’augmenter et qui a accordé à ces dernières le droit de vote bien avant la France, en 1918.

Des « attaques injustifiées » d’une « violence extrême »

« L’Azerbaïdjan, une des dictatures les plus féroces au monde. » Voilà une entrée en matière efficace. Si les reproches ont plu sur l’émission d’investigation après la diffusion de ce reportage à charge, on ne peut en tout cas pas lui reprocher d’être ambivalente. La teneur du propos introductif a été celle de l’intégralité du sujet. Ainsi, en marge d’une visite présidentielle dans la capitale du pays, les journalistes de l’émission se sont rendus sur la rive de la mer Caspienne. Le portrait qu’ils dressent du régime de Bakou comme bête noire de la région – alors qu’il se situe tout de même entre la Russie et l’Iran ! – n’a pas manqué de courroucer ses dirigeants. L’Azerbaïdjan, par la voix de son avocat français, s’estime victime « d’attaques injustifiées et d’une violence extrême. »

« La République d’Azerbaïdjan, premier partenaire économique de la France dans la région du Caucase du Sud, est l’objet d’attaques injustifiées d’une violence extrême dont l’apogée a été atteint avec le magazine Cash Investigation qui présente la République d’Azerbaïdjan comme une « dictature » avec un despote à sa tête » peut-on ainsi lire dans un communiqué rendu public par Maître Olivier Pardo, qui annonce que son client porte plainte pour diffamation contre France 2. « Je ne connais pas de dictature qui siège au conseil de l’Europe, soumise à la Cour de justice européenne, qui ait aboli la peine de mort, et où Internet est libre pour tous », ajoute l’avocat. Selon lui, la république d’Azerbaïdjan est « décidée à ne plus rien laisser passer et attaquera tous ceux qui la diffameront. »

Les relations houleuses entre Bakou et France 2 ne datent pas d’hier. En 2014 déjà, deux journalistes de la société Premières Lignes (qui produit notamment les reportages pour l’émission de France 2) avaient été expulsés du pays et leur matériel confisqué pour des investigations jugées trop intrusives par le gouvernement, qui avait justifié cette décision par des « motifs de sécurité. » Un an plus tard, l’émission s’en prend directement au pays. La présentatrice Élise Lucet s’est ainsi invitée à un vernissage du photographe Reza à Paris, dans le but d’interroger la Première dame de l’Azerbaïdjan, qui avait fait le déplacement. Après avoir contourné le dispositif de sécurité, la journaliste prend à partie Mehriban Alieva, l’interrogeant sur le sort des membres de l’opposition emprisonnés pour trafic d’armes. Une exposition présentant le pays comme « une terre de tolérance » n’est peut-être pas l’endroit idéal pour entamer cette conversation, et Elise Lucet est donc logiquement ignorée. Il n’en fallait pas davantage pour qu’elle crie à l’omerta, voit dans le silence de la Première dame une indifférence coupable.

S’il faut se féliciter de compter dans notre paysage audiovisuel des émissions qui sont en mesure de déranger l’ordre établi, d’agir comme un contre-pouvoir ou du poil à gratter dans un discours politique uniforme, voire creux, toute activité journalistique suppose néanmoins un devoir d’objectivité et une certaine rigueur dans la façon dont les faits sont relatés. Une probité d’autant plus importante quand il s’agit du service public, payé par les citoyens. Or, si personne ne nie que l’Azerbaïdjan, comme à peu près tous les pays de ce monde, plus que certains sans doute, a encore des progrès à faire, le portrait proposé par l’émission est une caricature éhontée.

L’Azerbaïdjan victime de ses relations tendues avec l’Arménie?

Loin de la tyrannie stalinienne décrite pas Cash Investigation, l’Azerbaïdjan est en fait une démocratie basée sur des idéaux socialistes, qui se modernise vitesse grand V. La représentation des femmes au sein des institutions le montre. Si elles ne totalisaient que 11 % des députés il y a dix ans, l’Assemblée nationale compte actuellement 16 % de femmes. Au sein des conseils municipaux, ces dernières sont passées de 4 à 26,5 % entre 2004 et 2009. Dans une zone rongée par des conflits confessionnaux, l’Azerbaïdjan brille par ailleurs par son oeucuménisme, qui tend à promouvoir des actions communes entre les diverses religions présentes sur son sol. Ancien satellite de Moscou durant la Guerre Froide, l’Azerbaïdjan décide de se tourner vers l’Europe après le démantèlement de l’URSS et devient une République musulmane laïque (la seule avec la Turquie).

Si le pays a encore incontestablement du chemin à parcourir, sa bonne volonté est indéniable, et les critiques acerbes dont il fait l’objet sont difficiles à comprendre. Un début d’explication réside peut-être dans l’alliance historique existant entre la France et l’Arménie, au détriment de l’Azerbaïdjan. Depuis 20 ans, les relations entre Azerbaïdjanais et Arméniens sont en effet glaciales, conflit du Haut-Karabagh oblige – le territoire du Haut-Karabagh, azerbaïdjanais, est colonisé illégalement par l’Arménie, qui en revendique la propriété contre l’avis de la communauté internationale, une situation ayant entrainé l’exode massif de réfugiés azerbaïdjanais (environ 875 000).

Si les relations entre Azerbaïdjan et Arménie sont historiquement tendues, le premier pays ne jouit pas en France de la même implantation que le second, qui profite d’une communauté importante pour étendre son réseau d’influence jusqu’au plus hautes sphères de l’Etat. Une différence de représentation qui entraine une différence de perception : l’Arménie, responsable de nombreux drames humains dans le Haut-Karabagh, ne souffre pas de la même réputation auprès des Français que l’Azerbaïdjan. Cette différence de traitement est également le fait d’un certain nombre d’élus, le député PS de Seine-Saint-Denis Bruno Le Roux en tête (il suffit de saisir les mots clés « Bruno Le Roux Arménie » dans son navigateur pour s’en faire une idée), qui s’échinent à représenter les intérêts de l’Arménie au sein du Parlement au prix d’un intense lobbying. Tout en faisant en sorte, parallèlement, que l’Azerbaïdjan continue de se coltiner une réputation sulfureuse. De là à dire que ces opérations d’influence s’étendent jusqu’aux locaux de France Télévision, chaîne de service public.

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