Inde: la quête de justice sans fin des victimes d`erreurs médicales

  03 Février 2016    Lu: 621
Inde: la quête de justice sans fin des victimes d`erreurs médicales
Quatre ans après la mort de son frère qui souffrait d`insuffisance cardiaque mais a été traité pour des ballonnements, la bataille de Shishir Chand pour obtenir une indemnisation n`a guère avancé, perdue dans les méandres de la justice indienne.
Quatre ans après la mort de son frère qui souffrait d`insuffisance cardiaque mais a été traité pour des ballonnements, la bataille de Shishir Chand pour obtenir une indemnisation n`a guère avancé, perdue dans les méandres de la justice indienne.

Shishir Chand se souvient d`avoir emmené dans la précipitation son frère de 33 ans, Vishal, dans une clinique de Jamshedpur, dans l`est du pays, sa poitrine défaillante serrée contre lui.

En dépit d`examens cardiaques affichant des résultats alarmants, Vishal est renvoyé chez lui avec un traitement contre les flatulences et meurt le lendemain d`une attaque cardiaque, selon son frère.

«Jusqu`à aujourd`hui, ils n`ont fait qu`adresser un prudent avertissement au médecin, lui demandant d`être plus attentif à l`avenir», dit Shishir Chand à l`AFP tout en examinant le dossier de son frère dans son appartement de New Delhi.

Les erreurs médicales constituent un fléau non seulement dans le système de santé public indien, surchargé, mais également dans le secteur privé en essor, selon les défenseurs des victimes.

Les tentatives d`obtenir justice souffrent à la fois d`une communauté médicale peu encline à reconnaître les erreurs de ses pairs et d`un système d`indemnisation complexe et peu efficace, soulignent-ils.

«Les affaires de négligence sont répandues dans le système de santé public, en particulier dans l`Inde rurale où les patients ont peu conscience des mauvaises pratiques et où les médecins fautifs ne sont pratiquement jamais punis», dit Arun Gadre, un médecin devenu défenseur des victimes. Mais «de tels problèmes surviennent également dans le secteur privé».

Les tribunaux chargés des affaires de consommation traitent la plupart de ces erreurs médicales, mais ils manquent d`expertise en la matière, estiment les associations.
La principale organisation représentative des médecins indiens reconnaît que ces demandes ressemblent à un parcours du combattant, seule une plainte sur 1.000 aboutissant à une indemnisation, selon ses chiffres.

«La plupart des cas de négligence ne parviennent pas à être reconnus», dit à l`AFP Narender Saini, secrétaire général de l`Indian Medical Association. «Nous avons besoin d`un regard neuf sur le système pour éviter cette confusion. Les médecins ne sont pas des dieux et peuvent commettre des fautes par inadvertance», ajoute-t-il.

Rarissimes suspensions

Les familles peuvent faire appel, mais elles doivent alors fournir des preuves substantielles de toute erreur, relève Saini.

En 2013, la Cour suprême a accordé à un Américain une indemnisation de 110 millions de roupies (1,5 million d`euros) pour la mort de sa femme par overdose de stéroïdes dans un hôpital privé de Calcutta. Une somme record en Inde, obtenue par le mari, lui-même médecin, 15 ans après le décès de sa femme et au terme d`une campagne inlassable.
Pour les experts, le problème principal est la réticence des médecins à témoigner contre leurs collègues dans un pays où ils sont souvent considérés comme exempts de tout reproche.

Chand, engagé comme volontaire au sein de l`association People for Better Treatment, raconte avoir cherché pendant deux ans un médecin prêt à s`exprimer sous serment dans l`affaire de son frère.

«Les médecins ont peur de témoigner contre leurs confrères car ils se sentent vulnérables. Il y a un consensus général pour ne rien dire, par crainte de créer un précédent qui serait dommageable», dit Gadre à l`AFP.

Les médecins travaillent sous une forte pression dans le public, où les effectifs sont extrêmement limités, et sont donc susceptibles de commettre des erreurs, l`Inde ne consacrant que 1% de son PIB à la santé, selon les experts.

Le pays ne compte qu`un médecin pour 2.000 patients, d`après un bilan de l`Organisation mondiale de la santé (OMS) qui recommande un ratio divisé par deux.
Et l`Inde ne compte que 900.000 médecins enregistrés, contre 2,4 millions en Chine, selon le Conseil de l`ordre indien.

Le Conseil assure qu`il enquête sur chaque plainte, mais les associations de victimes soulignent que les auditions sont sans cesse repoussées.

Notre vie en suspens

Muzaffar Ahmad, président du comité d`éthique du Conseil, justifie ces retards en expliquant qu`«organiser l`audition des plaignants et des médecins prend souvent du temps».

«Nous ne sommes pas l`autorité ultime, les personnes lésées peuvent toujours faire appel de nos décisions», dit Ahmad.
Rien qu`en septembre, le Conseil a suspendu 130 médecins - pour des périodes de un mois à sept ans, argue-t-il, tout en reconnaissant que certaines plaintes remontaient à 2010.

Mais aucun médecin n`a été sanctionné entre 2008 et 2013, selon les données du Conseil obtenues par des associations de défense de victimes. Le nombre de plaintes déposées sur cette période n`est pas connu.

Rohit Goyal, lui, attend d`obtenir justice pour sa mère. Venue à l`hôpital pour des vertiges, Suresh Rani, 62 ans, avait été placée sous perfusion, mais se serait retrouvée avec des niveaux de sodium cinq fois supérieurs aux limites et est désormais dans un état végétatif permanent, explique-t-il.

Les médecins «ne peuvent pas s`en tirer comme ça, ils ont pratiquement tué ma mère», dit Goyal à l`AFP, bien conscient de s`être engagé dans un combat qui peut «prendre des années».

Sa femme et sa fille ont dû abandonner leurs emplois pour s`occuper de Rani et la famille a dépensé plus d`un million de roupies pour son traitement (13.500 euros). «Notre vie est en suspens», lance Rohit Goyal.

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