C`est encore lui qui, en juin 2014, s`envole pour Bagdad pour sauver la capitale irakienne des assauts de l`organisation État islamique (EI). C`est enfin lui qui a permis aux milices chiites, aidées par l`aviation américaine, de reconquérir en mars la ville de Tikrit (nord de l`Irak) tombée aux mains des djihadistes. À 58 ans, ce vétéran de la guerre Iran-Irak est pourtant officiellement interdit de voyager à l`étranger en vertu des sanctions internationales sur le nucléaire iranien. Mais son rôle dans la politique étrangère iranienne surpasse de loin celui du souriant chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif.
Plus fort que le président iranien
"Le major général Souleimani ainsi qu`un groupe de figures centrales au sein du corps des Gardiens de la révolution islamique décident des politiques de l`Iran, en particulier des politiques régionales sur lesquelles ils possèdent une autorité bien plus importante que le gouvernement du président iranien Hassan Rohani", explique Ali Alfoneh, grand spécialiste des Gardiens de la révolution, à la Fondation pour la défense des démocraties. Le sulfureux général iranien se trouve aujourd`hui en Syrie, à Lattaquié, haranguant derrière son microphone combattants libanais du Hezbollah, miliciens chiites irakiens mais aussi Gardiens de la révolution iraniens.
Officiellement cantonnés jusqu`ici à la formation de l`armée syrienne et des milices chiites, ainsi qu`à la préservation des villages et lieux saints chiites, les membres de l`armée idéologique du régime iranien participent désormais directement aux combats, malgré les démentis de Téhéran. Le 8 octobre dernier, un de leurs plus hauts commandants, le général Hossein Hamedani, a ainsi été tué dans la région d`Alep, ainsi que deux colonels avant lui. "Plusieurs centaines de combattants et de conseillers iraniens sont arrivés en Syrie depuis le début du mois d`octobre via l`aéroport militaire de Hmaymime, à Lattaquié", indique Rami Abdel Rahmane, directeur de l`Observatoire syrien des droits de l`homme (OSDH), ONG qui dispose d`un vaste réseau de sources sur le terrain. D`après l`agence de presse Associated Press, ils seraient même jusqu`à 1 500 Gardiens de la révolution à avoir atterri en Syrie au cours des deux dernières semaines, sous couverture russe.
Plan irano-russe
"Ils combattent aujourd`hui sur le terrain au nord-est de Lattaquié, dans le nord de la province de Hama, et dans l`est et le sud de la ville d`Alep, poursuit Rami Abel Rahmane. Et sont à chaque fois appuyés par les raids de l`aviation russe." Cette opération conjointe aurait été décidée en juillet dernier à Moscou, au lendemain de l`appel à l`aide de Bachar el-Assad. Face aux avancées de la rébellion islamiste, dominée par les djihadistes du Front al-Nosra, en direction de la province de Lattaquié (ouest), fief des el-Assad, le Guide suprême iranien sent vaciller le régime syrien, pierre angulaire de son axe chiite Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth. Il envoie sur-le-champ dans la capitale russe le général Qassem Souleimani, le 24 juillet dernier. "Souleimani a posé la carte de la Syrie sur la table", raconte un haut responsable régional à l`agence de presse Reuters. "Les Russes étaient très inquiets et ont eu le sentiment que les choses étaient en net déclin et qu`il y avait un réel danger pour le régime. Les Iraniens leur ont affirmé qu`il était encore possible de reprendre l`initiative."
Le plan ? "Un grand nombre de preuves indiquent que les deux alliés du régime syrien – la Russie et l`Iran – se partagent les tâches, explique le spécialiste Ali Alfoneh. Tandis que la République islamique et ses alliés – l`armée syrienne, les combattants libanais du Hezbollah, les milices chiites irakiennes et afghanes – chaussent les bottes sur le terrain, la Russie fournit le support aérien à leurs opérations." Durant tout le mois septembre, la Russie fourbit ses armes en catimini sur le terrain syrien, envoyant avions, navires et blindés sur le littoral méditerranéen, non sans démentir toute intervention à venir. Puis, le 30 septembre, Moscou lance ses premières frappes contre les "terroristes".
L`État islamique ménagé
Or, plutôt que de viser l`EI, l`aviation russe cible avant tout les rebelles syriens à l`ouest et dans le nord-ouest du pays. En témoigne l`étonnante avancée de l`EI à Alep, profitant des frappes russes contre les rebelles pour progresser au nord de la ville sans être inquiété par les bombardements. "Cela s`explique tout d`abord par le fait que l`EI ne menace directement pas les zones tenues par Bachar el-Assad", indique le géographe Fabrice Balanche, chercheur invité au Washington Institute. "En outre, le calcul russe vise à affaiblir les rebelles qui pourraient constituer une alternative à Bachar el-Assad aux yeux des Occidentaux afin d`obliger à terme ces derniers à choisir entre Bachar el-Assad et l`EI."
De la même manière, les "terroristes" combattus par l`Iran en Syrie sont avant tout les opposants, dont certains islamistes radicaux, du président syrien. D`après un responsable américain, cité par l`Agence France-Presse, 2 000 combattants iraniens ou soutenus par Téhéran ont lancé dernièrement une offensive contre les rebelles dans le sud-est d`Alep, sous la houlette du charismatique général iranien, en coordination avec l`armée syrienne et l`aviation russe. "Le but est de prendre les rebelles en tenaille entre Alep et le front sud (la ligne Hama-Lattaquié)", explique Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie. Première force anti-Daesh en Irak, les Iraniens ménagent pourtant indéniablement les djihadistes de l`EI en Syrie. Pourquoi ?
"Le combat contre Daesh n`est pas une priorité pour l`Iran, car la perpétuation de la crise en Syrie sert les intérêts de la République islamique, explique le spécialiste Ali Alfoneh. En effet, l`afflux de réfugiés, la menace de Daesh et la perception de la République islamique comme une force positive dans la lutte contre l`EI donnent au régime de Téhéran de grands avantages." Tel celui d`être aujourd`hui reconnu par la communauté internationale, au lendemain de la résolution du conflit sur le nucléaire iranien, comme un interlocuteur incontournable dans la résolution du conflit syrien.
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