Pétrole: la guerre des prix va-t-elle se poursuivre en 2016?

  18 Janvier 2016    Lu: 1641
Pétrole: la guerre des prix va-t-elle se poursuivre en 2016?
Après que l`Opep a décidé, vendredi, de maintenir une pression à la baisse sur les prix du baril, les cours ne cessent de chuter et atteignent des plus bas jamais vus depuis près de sept ans.
À quoi ressembleront les marchés pétroliers dans les mois à venir? C`est à cette question que l`Organisation des pays exportateurs de pétrole a répondu vendredi à Vienne, lors de sa réunion semestrielle. Le cartel, qui contrôle 30% de la production mondiale de brut, a décidé de laisser inchangé ses quotas de production à 30 millions de barils par jour. Dans quel contexte cette décision a-t-elle été prise? Et quelle conséquence pour 2016? Eléments de réponse.

Un marché pétrolier toujours en berne

Ceux qui avaient cru à un sursaut durable des cours du pétrole en début d`année ont été déçus. En ce mois de décembre, les prix restent bloqués sous le seuil symbolique des 50 dollars. Ce lundi, le Brent, baril de référence, valait 41,83 dollars -un plus bas depuis six ans et demi -, tandis que le light sweet crude (WTI) cotait à 38,63 dollars. Du jamais vu depuis près de sept ans.

Les raisons de cette déprime sont toujours les mêmes: une surabondance de l`offre causée par un afflux de pétrole de schiste américain et accentué par la décision de l`Opep d`inonder le marché de ses 30 millions de barils par jour (où plutôt 32,12 millions, selon une estimation de l`agence Bloomberg). Sans oublier la production russe qui a atteint en novembre le record de 10,78 millions de barils par jour.

En face, le ralentissement de l`économie mondiale plombe la demande. Résultat: les stocks dépassent aujourd`hui les 3 milliards de barils au niveau mondial, «un niveau jamais atteint, en hausse de 9% sur l`année», souligne Benjamin Louvet, spécialiste matières premières chez OFI AM, dans une note récente.

L`Opep a-t-elle intérêt à poursuivre sa stratégie de soutien à la baisse des cours?

Pour l`Opep, l`enjeu principal reste la défense de ses parts de marchés face à la concurrence, États-Unis et Russie en tête. Dans ce contexte, difficile d`imaginer dans les prochains mois un revirement de sa stratégie actuelle qui consiste à tirer les prix vers le bas pour décourager la production- plus coûteuse- de ses concurrents. À moins de 50 dollars, certains forages aux États-Unis, en mer du nord ou en Sibérie, ne sont plus rentables alors que pour des pays comme l`Arabie Saoudite, le coût de production se situe encore sous les 40 dollars. La technique semble d`ailleurs payante. Selon Baker Hughes, le nombre de puits en activité aux États-Unis a chuté à 791 en octobre 2015 contre 1925 un an plus tôt. La production de pétrole de schiste a baissé en novembre de plus de 93.000 barils par jour à 5,12 millions, d`après l`Agence d`information sur l`énergie. Soit le niveau le plus faible jamais enregistré depuis l`essor de cette industrie. Novembre a d`ailleurs marqué le septième mois consécutif de baisse de la production. Par ailleurs, de nombreuses compagnies pétrolières ont été contraintes de réduire la voilure. Leurs investissements devraient baisser de 15% à 30% cette année.

L`Opep a-t-elle les moyens de poursuivre cette stratégie?

La situation devient très compliquée pour certains membres du cartel, comme l`Algérie, le Venezuela ou l`Angola. Le président vénézuélien Nicolas Maduro a encore rappelé mardi à la radio nationale que son pays, au bord de la faillite, souhaiterait «que tous les pays respectent le plafond de production de l`Opep et étudient un projet de réduction de 5% de la production». Une demande qui devrait rester lettre morte.

De leurs côtés, les monarchies du Golfe, qui ont accumulé d`immenses réserves financières lorsque le pétrole était à la hausse, sont encore en mesure d`absorber la baisse des cours. L`Arabie Saoudite, qui pilote cette offensive commerciale, dispose ainsi de réserves en devises étrangères atteignant 644 milliards de dollars fin octobre, selon le cabinet saoudien de consultants Jadwa Research. «Cette politique est un luxe qu`il peuvent encore se payer pour deux ou trois années», assure Dorian Abadie, de XTB France.

Mais plus le temps passe, plus cette guerre des prix devient problématique pour eux aussi. L`Arabie Saoudite a déjà puisé 88 milliards de dollars dans ses réserves de change pour pallier la chute brutale des revenus liés au pétrole. Le royaume, qui dépense beaucoup pour acheter la paix sociale depuis le printemps arabe, a été contraint cette année d`emprunter pour financer le déficit budgétaire. Une première dans son histoire. «On voit les limites de cette stratégie. L`agence de notation S&P a récemment abaissé la note du pays car elle s`attend à ce que le déficit budgétaire passe de 1,5% du PIB en 2014 à 16% en 2015. Elle appelle même le royaume à lever des impôts!», souligne Dorian Abadie. Les budgets des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG - Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Oman, Qatar et Koweït) devraient connaître cette année un déficit moyen de 13% de leur PIB, confirme le FMI.

Un rebond des prix du pétrole est-il tout de même envisageable l`an prochain?

La décision de l`Opep, Arabie Saoudite en tête, de ne pas fermer les robinets rend difficile d`imaginer une hausse notable des cours du brut l`an prochain. D`autant plus que l`Iran s`apprête à augmenter sa production d`un million de bpj après la levée prochaine des sanctions internationales contre son régime. Le ministre iranien Bijan Zangeneh a fait savoir que Téhéran ne serait disposé à discuter de quotas qu`une fois que le pays aura retrouvé ses niveaux de production d`avant les sanctions. Le ministre irakien du Pétrole Adel Abdel Mahdi a également annoncé que son pays augmenterait encore la production l`an prochain, après l`avoir fortement relevée en 2015. Même ton du côté de la Russie: «Nous avons dit à de nombreuses reprises que nous ne jugeons pas opportun de baisser notre niveau de production», a fait savoir le ministre russe de l`Énergie, Alexandre Novak. Une action coordonnée des pays de l`Opep et des pays hors-Opep n`est donc pas d`actualité. La dernière collaboration entre les deux blocs remonte à près de 15 ans, lorsqu`ils avaient limité la production et soutenu les cours à la suite de la crise financière de 1998...

Ce sont donc surtout des facteurs techniques qui pourraient pousser les prix du pétrole vers le haut. La baisse des investissements devrait se traduire par une perte de production de l`ordre de 1 million de barils par jour. «Le marché serait alors quasiment à l`équilibre», assure Benjamin Louvet. De plus, la production de pétrole de schiste pourrait ralentir plus fortement qu`annoncé en raison des difficultés financières du secteur. «On pourrait donc connaître un rééquilibrage plus rapide que le marché ne l`anticipe et, de ce fait, voir les prix du pétrole remonter dès 2016», ajoute le spécialiste. Même son de cloche chez XTB France: «Les chiffres de production de schiste aux États-Unis sont clairement de la poudre aux yeux. On peut pour cette raison envisager une hausse des cours l`année prochaine avec un prix moyen de 55 dollars pour le baril de WTI», affirme Dorian Abadie. Prudente, l`AIE estime pour sa part que le rééquilibrage n`aura pas lieu avant 2020 avec un baril dont le prix ne dépassera pas les 80 dollars.

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