La Chine, dont le programme spatial est géré par l'Armée populaire de libération (APL), envoie aujourd'hui plus de fusées en orbite que n'importe quel autre pays - 39 l'an dernier, contre 31 américaines, 20 russes et... 8 par l'Europe.
Elle vient de faire alunir un véhicule sur la face cachée de la Lune (une première historique), va construire une station en orbite terrestre dans les années 2020, et veut qu'un «taïkonaute» marche sur la Lune dans la décennie suivante - il serait le premier Homme depuis 1972. Aucun Russe n'y est allé.
Le pays dépense plus que la Russie et le Japon pour ses programmes spatiaux civils et militaires. Le budget chinois, opaque, était estimé à 8,4 milliards de dollars en 2017 par l'OCDE. C'est certes loin derrière les 48 milliards civils et militaires dépensés par les Etats-Unis, dit l'analyste Phil Smith, du cabinet Bryce Tech. Mais bien plus que le budget du programme civil russe, sabré à trois milliards de dollars.
Méthodiquement, les dirigeants chinois ont répliqué, avec quelques décennies de décalage, les étapes du développement spatial des grandes nations: premier satellite en 1970, premier Chinois dans l'espace en 2003, premier amarrage d'un vaisseau habité à un module en orbite en 2012, activation d'un concurrent chinois au GPS, le système Beidou...
«S'ils continuent sur cette trajectoire, ils vont rapidement éclipser la Russie en termes de technologies spatiales», dit à l'AFP Todd Harrison, expert des questions militaires spatiales au centre de réflexion CSIS à Washington.
- Ressources lunaires -
Commercialement, les fusées chinoises ne menacent pas le marché du lancement de satellites, dominé par SpaceX aux Etats-Unis. Elles lancent quasi-exclusivement des satellites gouvernementaux chinois.
Pour l'exploration spatiale, les progrès chinois ne font pas non plus d'ombre aux projets américains. Le patron de la Nasa a félicité les Chinois pour la mission Chang'e-4. Une loi américaine de 2011 empêche de facto toute coopération spatiale avec Pékin, mais le Congrès américain reste libre de lever la restriction.
La vraie rivalité concerne deux domaines: à court terme sur le plan militaire, et à long terme sur l'exploitation des ressources spatiales. L'exploitation de minerais ou d'eau sur la Lune ou des astéroïdes, notamment pour produire des carburants de fusées, reste une perspective lointaine, mais des start-ups américaines y travaillent déjà. Qui tranchera une dispute entre Chinois et Américains sur un filon de glace lunaire?
Contrairement à la période de la Guerre froide, la nouvelle conquête spatiale se déroule dans un relatif vide juridique. Dans les années 1960 et 1970, Washington et Moscou avaient négocié plusieurs traités sur l'espace, principalement pour garantir la coopération scientifique et interdire les armes de destruction massive dans l'espace.
«Ces traités sont trop vagues pour s'appliquer juridiquement à des questions comme l'exploitation des ressources minières dans l'espace», dit Frans von der Dunk, professeur de droit spatial à l'université du Nebraska-Lincoln.
- Guerre spatiale -
Ces traités sont surtout dépassés par les nouvelles technologies militaires: lasers anti-satellites, cyberattaques, brouillage des transmissions, missiles tirés depuis la Terre pour détruire un satellite, comme la Chine l'a testé en 2007 et continue de le faire à blanc...
Il n'existe pas d'équivalent de lois de la guerre pour l'espace. Un satellite entrant en collision avec un autre, cela constitue-t-il une «attaque»? Comment définir la proportionnalité d'une riposte? Les satellites civils doivent-ils être protégés de représailles, mais quid des satellites à usages civils et militaires? Et comment répondre à une cyberattaque dont l'auteur est incertain?
«Les Chinois ont réalisé des expériences pour interférer dans nos communications», dit Jack Beard, du programme de droit spatial à l'Université du Nebraska. Il rappelle que des satellites civils et de la Nasa ont été attaqués en 2007 et 2008 par des pirates pendant plusieurs minutes.
«Les Etats-Unis sont vulnérables car ils ont pris du retard face aux menaces contre nos systèmes spatiaux», ajoute Todd Harrison. Or le dialogue avec Pékin est quasi-nul, contrairement à ce qui existait avec Moscou pendant la Guerre froide. «En cas de crise dans l'espace avec la Chine, je ne suis pas sûr que notre armée sache qui appeler», dit l'expert.
Mais des observateurs nuancent le portrait d'une Chine comme adversaire agressive de l'Amérique. «Certains aux Etats-Unis exagèrent le rôle de grand concurrent stratégique de la Chine afin de faire financer les projets spatiaux qu'ils soutiennent», dit Brian Weeden, de la Secure World Foundation à Washington, alors que la Nasa se bat pour maintenir son budget.
AFP