Pas le coeur à la fête pour les Turcs de Russie, qui redoutent 2016
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Son entreprise souffrait déjà de la crise économique en Russie, mais depuis que Moscou a décrété des sanctions contre Ankara après la destruction d`un bombardier russe, Ali dit être confronté à "une quasi mise à mort" de sa société.
L`entrepreneur de 46 ans, originaire de Turquie mais qui a obtenu la nationalité russe et réside en Russie depuis près de 20 ans, est l`un des milliers de Turcs qui se trouvent face à un avenir incertain dans ce qu`ils considèrent souvent comme leur patrie d`adoption.
Depuis que l`aviation turque a abattu un bombardier russe au dessus de la frontière syrienne fin novembre, les autorités russes ont pris une série de mesures de rétorsion -- allant de l`abrogation des facilités de visa à l`embargo alimentaire -- à l`encontre de ce pays jusqu`alors considéré comme un partenaire privilégié.
Depuis, des travailleurs turcs ont été expulsés de Russie et des entreprises perquisitionnées par la police, obligeant certaines d`entre elles à suspendre leurs activités.
Tout est perdu
Contrairement à certains fruits et légumes turcs (oranges, tomates...) bannis de Russie à partir du 1er janvier, l`industrie textile n`est pas visée directement par les sanctions. Mais le ministre du Commerce et de l`Industrie Denis Mantourov a laissé planer mardi l`idée d`une interdiction des importations de biens de consommation en provenance de Turquie. Un projet en ce sens a été préparé au cas où, a-t-il ajouté.
"Il sera difficile de remplacer les textiles turcs, mais personne ne peut garantir que les autorités n`essaieront pas", s`agace Ali Duzcu, dont le commerce souffre déjà de retards aux douanes depuis plusieurs semaines.
L`entrepreneur s`inquiète surtout de la surenchère à laquelle se livrent les deux capitales depuis l`incident, avec une atmosphère de plus en plus antiturque dans la société.
Les médias publics russes ont adopté un ton très hostile à la Turquie depuis que Vladimir Poutine a dénoncé un "coup de poignard dans le dos" d`Ankara et accusé son homologue turc Recep Tayyip Erdogan d`être impliqué dans la contrebande de pétrole à laquelle se livre l`organisation État islamique en Syrie.
Selon un sondage de la Public Opinion Foundation réalisé en décembre, 29% des Russes perçoivent les Turcs de manière plus négative qu`avant l`incident. Seul 24% disent aimer le peuple turc.
"Je considère que j`appartiens aux deux pays et c`est douloureux d`entendre toute cette propagande antiturque à la télévision", regrette Bulent Yalin, un autre homme d`affaires turc qui raconte avoir évité de sortir dans la rue dans les jours qui ont suivi la destruction de l`avion russe.
"J`ai le sentiment que tout est perdu. Tous nos plans s`effondrent sous nos yeux", soupire Bulent, qui a trois enfants avec une femme russe mais vit en Russie avec un permis de séjour et non la nationalité.
Sa femme Elena Korjavina a envoyé une lettre au président Vladimir Poutine pour le convaincre que les sanctions touchent avant tout des gens ordinaires. "Je ne veux pas que cette haine continue", s`inquiète-t-elle.
L`entrepreneur Ali Duzcu affirme pour sa part avoir interdit à ses enfants de parler turc en public et dit désormais réfléchir à deux fois avant de révéler ses origines à quelqu`un.
"Je suis en colère contre le gouvernement turc. Je n`ai jamais voté pour Erdogan et la destruction de cet avion a été une erreur meurtrière", lance-t-il. "Mais la Russie ne devrait pas réagir aussi violemment. Elle ne devrait pas provoquer les gens avec des positions nationalistes."