La Fed remonte ses taux pour la première fois en dix ans

  17 Décembre 2015    Lu: 972
La Fed remonte ses taux pour la première fois en dix ans
Avec cette décision historique, la Fed tourne la page de la politique monétaire à taux zéro, adoptée dans le sillage de la crise financière il y a sept ans.
Le geste est symbolique, mais il marque la fin d’une période : celle des largesses de la banque centrale des Etats-Unis. La Fed, la réserve fédérale américaine a mis fin ce mercredi à une période exceptionnellement longue d’argent bon marché en annonçant un relèvement de ses taux directeurs de 0,25 point de base pour la première fois depuis près de dix ans. Le monde des grandes banques centrales est désormais entré dans l’ère des grandes divergences. D’un côté, une Fed qui siffle la fin de dix années de politique monétaire accommodante. De l’autre, une Banque centrale européenne bien décidée à continuer sur la voie d’une politique d’assouplissement monétaire avec des taux d’intérêt proches de zéro.

C’est la première fois en presque dix ans que la Fed agit à la hausse sur les taux. Après l’éclatement de la bulle immobilière en 2008 et la récession qui s’en est suivie, la banque centrale des Etats-Unis a maintenu pendant sept ans les taux proches de zéro pour faire repartir une économie en récession. Janet Yellen, la présidente de la Fed, qui s’était récemment félicitée d’une croissance modérée de l’économie américaine accompagnée de «risques équilibrés», avait averti à plusieurs reprises que «beaucoup» de membres de la Fed estimaient qu’il était temps d’entamer une normalisation de la politique monétaire. Le taux interbancaire au jour le jour, qui évoluait depuis fin 2008 entre 0 et 0,25% afin de soutenir la reprise, est relevé d’un quart de point pour passer à une fourchette de 0,25% à 0,50%. Le Comité a aussi promis que le relèvement des taux serait ensuite «graduel». En clair, il y aura d’autres tout de vis d’ici la fin de l’année 2016.

Calmer l’ardeur de consommation des ménages

La Fed, qui avait hésité en septembre à passer à l’acte à cause des inquiétudes sur le ralentissement de l’économie chinoise notamment, indique qu’elle continuera à surveiller «les développements internationaux». Les autorités monétaires américaines estiment être une réussite de la politique de la Fed. Pour éviter le pire, depuis la crise immobilière puis la récession de 2009, la Fed a maintenu les taux d’intérêt proches de zéro et injecté près de 3 500 milliards de dollars de nouvelle monnaie dans le système financier. Une abondance de liquidité qui a permis de racheter des bons du Trésor et des obligations de mauvaises qualités détenues par des institutions financières américaines. Le tout doublé d’une politique de taux d’intérêt bas dont les ménages américains ont largement profité. Mission accomplie, estime en substance Janet Yellen qui point plusieurs indicateurs désormais au vert. Certes, la croissance est loin d’être vigoureuse : ce sera à peine 2% cette année. Mais l’économie, avec un taux de chômage à peine supérieur à 5% (contre 10% en 2009) est en situation de quasi plein emploi.

Dans ces conditions, les membres du comité de politique monétaire de la Fed ont donc estimé qu’il était temps de réagir en augmentant les taux. But de la manœuvre : calmer l’ardeur de consommation des ménages, car une hausse du taux de refinancement de la Fed se traduit automatiquement par un renchérissement du crédit aux ménages et aux entreprises. Et pour cause, les banques répercutent au client la hausse du coût de l’argent qu’elles empruntent auprès de la FED. Un crédit plus cher devrait (en théorie) entraîner une baisse de la consommation et donc une baisse de l’inflation. Tel est le but recherché par les autorités monétaires américaines qui estiment que ce taux frôle dangereusement les 2%.

Prévenir une prochaine crise?

Mais voilà, beaucoup d’économistes donnent une tout autre interprétation à cette hausse des taux. Et si la décision de la Fed visait plutôt à prévenir une prochaine crise ? Explication : l’économie oscille entre des hauts et des bas. Et Janet Yellen sait mieux que quiconque que les Etats-Unis ne sont pas à l’abri de prochaines secousses économiques. Or, si par malheur un tel scénario devait advenir, la Fed serait bien en peine d’agir en vue d’une relance économique si ces taux sont déjà quasiment nuls. Une telle hypothèse est d’autant plus prise au sérieux que les marchés actions n’ont cessé de se déconnecter de l’économie réelle. Un grand gagnant des largesses monétaires de la Fed aura été le marché boursier, dont les indices ont presque triplé aux Etats-Unis depuis le plancher de 2009. Un passage de l`euphorie à la panique ne peut être exclu. Enfin, les mêmes critiques remettent en question la façon dont la Fed interprète le taux d’inflation et le taux de chômage. Selon ces derniers, l’inflation sous-jacente, celle qui prend en compte l’énergie et l’alimentation est en réalité proche de 0%. Quant au taux de chômage ce dernier à beau, afficher un niveau (5,1%) presque aussi bas que celui d’avant crise en 2007... il ne reflète qu’une partie de la situation économique.

La réalité est plus compliquée que ça. Le taux d’activité de la population en âge de travailler n`a jamais été aussi bas qu`aujoud`hui. Cet indicateur calcule le pourcentage de la population détenant un emploi par rapport à celle en âge de travailler (15-64 ans). Après avoir plafonné autour de 66% dans les années 90 et 2000, il n’a cessé de reculer depuis 2008 pour atteindre 62,5% cette année. Cela veut dire que beaucoup d’américains découragés ont cessé de chercher un emploi. Bref, avec un taux d’emploi à 66%, le taux de chômage des Etats-Unis ne serait pas à 5%, mais de l’ordre de 9%. Pas la moindre crainte de voir des Américains défiler dans les rues pour demander des hausses de salaires, comme c’est souvent le cas lorsqu’un pays est en situation de surchauffe sur le marché du travail.

Pour de nombreux économistes, la question n’est donc pas de savoir si les Etats-Unis sont sortis de la récession, mais plutôt quand y feront-ils une nouvelle entrée. C’est notamment la thèse de Patrick Artus, économiste en chef de Natixis. Dans une interview à Challenges, il explique : «l’absence d’inflation, le recul de la profitabilité des entreprises et la remontée des risques de défaut des entreprises militeraient plutôt pour une politique monétaire plus expansionniste. Mais la Fed n’a pas de marge de manœuvre : son taux d’intervention est au plus bas, et la taille de son bilan est très élevée.» Pas franchement rassurant.

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