Icherisheher - cœur de Bakou

  13 Novembre 2017    Lu: 3931
Icherisheher - cœur de Bakou
Il y a plus de deux mille ans, en un endroit de la péninsule d’Abcheron d’où jaillissent du sol des langues de feu, apparut une petite bourgade bientôt appelée à devenir l’un des lieux de rassemblement des adorateurs du feu, puis une ville commerçante animée et, enfin, une forteresse imprenable. Depuis toujours, Bakou fut un carrefour de routes caravanières, qui avait dans de nombreux pays la renommée d’une ville riche, d’un grand port sur la mer Caspienne, d’une étape sur la route de la soie.
Le cœur de Bakou est Icherisheher, ensemble historique et architectural situé en plein centre de l’agglomération, d’une superficie de 221 000 m². Il est bordé sur trois côtés par des remparts, et sur le quatrième par la Caspienne. Malgré sa taille réduite, il abrite des dizaines de monuments historiques, dont trois – la Vieille Ville elle-même, le palais des Shirvanshahs et la tour de la Vierge – sont classés depuis 2000 au Patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO. Il comporte également des immeubles d’habitation, des hôtels, des musées, des galeries, des restaurants, des boutiques et cafés d’âge vénérable. De nos jours, résident en permanence dans la Vieille Ville 1500 familles, et elle est visitée quotidiennement par 50 000 touristes.

Des remparts impressionnants atteignant jusqu’à 10 m de hauteur et 3,5 m d’épaisseur protégeaient la ville. Ils étaient renforcés par 70 tours de garde semi-circulaires (il s’en est conservé 25), couronnées de merlons. Une inscription en arabe porte: «Rempart élevé sur l’ordre du roi célébré, sage, juste, victorieux, triomphant, combattant de la foi, gloire de la religion et du trône, soutien de l’islam et des musulmans, l’illustre Khakan, le grand Abu-l-hoja Manuchehr», qui régna de 1120 à 1160.

En 1608-1609, le seigneur de Bakou Zulfigar-khan éleva une deuxième enceinte à 10-12 mètres de l’ancienne. Sur la façade maritime de la ville deux autres murs descendaient jusqu’à la surface de l’eau, créant ainsi un abri pour les navires abordant au port.


L’accès par la mer était également défendu par le château de Bail, bâti sur l’ordre du Shirvanshah Fariburza en 1234. Cet édifice, disposé dans le sens sudnord, avait en plan une forme irrégulière, avec 180 m de long et 40 de large; il était entouré de hauts murs renforcés par des tours.

Le rempart extérieur était percé de plusieurs portes. Celle d’où partait la route de Shamakhi, ancienne capitale du Shirvan, était surmontée d’un bas-relief figurant deux lions et une tête de taureau encadrés par les deux disques du Soleil et de la Lune. De l’avis du voyageur allemand Engelbert Kaempfer, qui visita la région en 1683, cet emblème témoigne de ses origines zoroastriennes.

Le climat de l’Abcheron, avec ses vents coulis et ses canicules, a fortement influencé le caractère des bâtiments de l’Isherisheher. Ses rues tortueuses et ses nombreuses impasses, l’hiver, coupaient les assauts furieux de la bise glacée tandis que, l’été, les maisons avec ou sans étage, étroitement serrées, maintenaient une ombre épaisse. Cette disposition facilitait également la défense de la ville. Elle permettait de ralentir la marche d’un ennemi qui se serait infiltré dans ses murs, permettant à la population de s’échapper par d’autres portes ou par les innombrables passages souterrains creusés sous la cité.

Dans la partie de l’Isherisheher qui donne sur la mer se dresse une tour de forme étrange. Elle porte le nom de Giz-galasi (tour de la Vierge). On a même avancé l’hypothèse que cet édifice aurait été l’un des premiers temples du feu consacrés à un dieu unique.

On suppose que la tour a été construite en deux étapes. Le bas, jusqu’à la cote de 13,7 m, remonte aux VIIIe-VIIe siècles, alors que la hauteur totale est de près de 30 mètres. L’épaisseur des murs à la base est de 5 mètres.

La Giz-galasi comporte huit niveaux, tous couverts d’une coupole de pierre portant une ouverture ronde en son centre. Ces niveaux étaient reliés par des escaliers aménagés dans l’épaisseur des murs. On trouve à l’intérieur de la tour un puits de plus de 30 mètres de profondeur. La tour a été remaniée au XIIe siècle, comme l’atteste une inscription en écriture kufi disant «Coupole de Massud-ibn-Daoud». Les historiens considèrent que la reconstruction de la tour a été effectuée sur l’ordre du Shirvanshah Ahsitan Ier, qui avait fait en 1191 de Bakou la capitale de son État. La Giz-galasi pouvait abriter jusqu’à 200 personnes, et, de toute évidence, elle constituait le centre du système de défense. Sa forme, ainsi que son emplacement, décalé vers la mer, a conduit les savants à penser qu’elle servait aussi de phare indiquant aux navires l’entrée du port.

La construction du palais des Shirvanshahs a débuté dès le XIIe siècle. Mais l’essentiel des bâtiments n’a été terminé que dans la première moitié du XVe siècle. La résidence des souverains du Shirvan n’était pas très étendue en surface. Mais sa disposition sur trois terrasses permit aux architectes d’y implanter un assez grand nombre de bâtiments, dont chacun mérite sans conteste le titre de chef-d’œuvre de l’art islamique. On y trouve des salles de réception et le divan-khana – local de réunion des hauts dignitaires, les appartements privés des Shirvanshahs, ainsi qu’une mosquée privée avec son haut minaret et le mausolée de Seyid Yahya Bakuvi, savant de l’entourage du souverain.

Les Shirvanshahs étaient extrêmement riches. Des biens d’une valeur inestimable avaient été accumulés dans leurs résidences. Mais le palais de Isherisheher fut pillé lors de la prise de Bakou par les séfévides en 1501. Des armes de prix, des armures, des bijoux, des tapis de laine et de brocart, des livres rares, de la vaisselle d’argent et d’or furent emportés à Tebriz. Actuellement, des reliques provenant des Shirvanshahs sont conservées dans les musées de Turquie, d’Iran, d’Angleterre, de France, de Russie, de Hongrie.

L’aspect et la structure de la ville se sont définitivement formés au XVe siècle. Isherisheher était composé de neuf quartiers, chacun avec sa dénomination propre, qui reflétait le type d’activité de ses habitants. Les métiers les plus répandus aux Xe–XIIIe siècles étaient le tissage des tapis, le filage, l’orfèvrerie, la menuiserie, le travail du verre et de la céramique, le tannage.

Bakou était une ville orientale typique. Les habitations, la plupart de plain-pied, se blottissaient les unes contre les autres. Il y avait cependant aussi des maisons à étage, appartenant d’ordinaire aux gens fortunés. Le rez-de-chaussée, en général, était à usage professionnel ou commercial. Au-dessus demeurait la famille. Les cours s’ornaient de petits jardins. Les rues étaient le plus souvent pavées, ce qui en facilitait le nettoyage

La mosquée à minaret appelée Sinig gala («la tour brisée») est considérée comme l’édifice le plus ancien de la Vieille Ville. Une inscription à l’entrée de la mosquée affirme: «Construite par le maître artisan Mohammed ibn Abu Bakri en 1078». Parmi les locaux cultuels on trouvait également de petites mosquées de quartier: Gileyli (1308), Tchin (1375), celles du mollah Ahmed (XIVe), du cheikh Ibrahim (1415), de Mirza Ahmad (1347).

Aux Xe–XVe siècles, Bakou exportait, entre autres marchandises, du pétrole, du sel, de la garance, de la soie. La cité commerçait avec la Horde d’Or, la principauté de Moscou, les pays européens. Les fouilles effectuées par les archéologues dans l’Isherisheher ont livré de nombreux amas de monnaies étrangères anciennes, ce qui confirme le rôle actif de Bakou dans les opérations commerciales liées à la Route de la soie. L’importance que revêtait Bakou en tant que port le plus commode de la Caspienne a été relevée dans un atlas catalan dressé en 1375.


Les marchands descendaient dans les nombreux caravansérails, qui disposaient de locaux pour entreposer les marchandises, pour le repos des voyageurs, le commerce, et même d’écuries souterraines. Plusieurs auberges médiévales de ce type se sont conservées dans l’Isherisheher, en particulier le caravansérail du khan (XIIe siècle), ceux de Moltani (XVe), de Bukhara (XVe) et de Kasim-bek (XVIIe).

L’UNESCO a qualifié l’Isherisheher « de remarquable ensemble urbain historique et modèle sculptural reflétant la culture du zoroastrisme, de l’empire sassanide, des Arabes, des Farsis, du Shirvan, de l’Empire ottoman et de la Russie».

Les années passent, puis les siècles, mais les lumières de la tour de la Vierge ne cessent de briller durant la nuit, indiquant leur chemin aux navigateurs au travers des intempéries et des tourmentes, et les redoutables fortifications de l’Itchericherekh demeurent fidèles au poste, protégeant le repos des citadins.
(IRS Patrimoine)

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