Arménie: visite d'une des centrales nucléaires les plus dangereuses du monde

  02 Novembre 2017    Lu: 2374
Arménie: visite d'une des centrales nucléaires les plus dangereuses du monde
Par Sebastian Castelier
Le photographe Sebastian Castelier a accompagné Damien Lefauconnier lors d’un déplacement dans le cadre de son enquête sur l’une des centrales nucléaires les plus dangereuses du monde, à Metsamor, en Arménie. Tous deux ont obtenu l’autorisation de visiter les lieux. Les clichés reproduits ci-dessous sont pour la plupart inédits.

En 2015, l’État arménien décidait la prolongation d’activité de l’actuelle unité jusqu’en 2026, le temps de fabriquer une nouvelle centrale, d’une puissance de 600 à 1000 mégawatts, financée sur des fonds russes, et installée sur le même site. Un rapport non-officialisé écrit par des experts de l’Institut de Physique de l’Académie russe des Sciences, daté de 1992 et certifié 25 ans après par leurs auteurs, affirme qu’une faille sismique présentant « un grand danger » se situe à cinq cents mètres de l’actuelle centrale nucléaire.



La salle des machines du site nucléaire. Le réacteur datant de 1976 a été mis à l’arrêt par les autorités soviétiques après le tremblement de terre de 1988. Le second réacteur, mis en service en 1979, a été remis en fonctionnement en 1995. La direction interdit toute photo « de la partie basse » de cette immense salle.



Autres travaux visibles de renforcement de la centrale en cas de tremblement de terre : ces imposants croisillons de soutien disposés entre les étages, notamment dans le bâtiment qui abrite les réacteurs nucléaires et les turbines. De même, cachés sous les structures, soixante-quatre amortisseurs hydrauliques de technologie japonaise auraient été installés sous les principaux blocs d’éléments. « En cas de séisme, ils prendraient la vague », affirme Vahram Petrosyan, le directeur de l’Institut de recherche nucléaire arménien ARMATOM.



Certains raccordements de la salle des machines présentent un aspect vétuste, dont quelques trous et rustines de métal. Gérald Ouzounian, directeur de directeur international de l’Agence nationale française pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), qui a visité Metsamor à plusieurs reprises, invite à ne pas s’alarmer inutilement : « S’il y avait eu la moindre fuite sur la partie nucléaire, cela aurait aussitôt été détecté. Les réparations sur le circuit de vapeur (isolé du circuit nucléaire) ne sont pas choquantes, et font partie des programmes de contrôle et maintenance courante, comme dans toute centrale », affirme-t-il.



Depuis 1995, « mille quatre cents améliorations techniques ont été apportées », affirme la direction du site nucléaire. Parmi les travaux visibles : ces plaques métalliques, fichées à l’aide de gros rivets aux jointures des blocs de béton sur les murs extérieurs de différents bâtiments, censées accroître leur résistance en cas de séisme.



La salle des commandes de la centrale nucléaire. Face à ce mur tapissé d’écrans à aiguille et de diodes à l’allure désuets, un ordinateur affiche les mêmes valeurs que les témoins disséminés dans la pièce. « Ce système de secours informatique nous permet d’arrêter le réacteur depuis l’extérieur », fait valoir le directeur du site.



La centrale nucléaire de Metsamor a été construite du temps de l’Union soviétique sur une zone hautement sismique. « Lors du tremblement de terre de 1988, pas un carreau de fenêtre n’a été brisé », affirme Movses Vardanyan, le directeur du site. Le 7 décembre 1988, une secousse de magnitude 6,9 sur l’échelle de Richter détruisait la ville de Spitak, à seulement soixante-dix kilomètres plus au nord, tuant plus de 25 000 personnes et jetant 500 000 réfugiés sur les routes.



Située un kilomètre au sud de la centrale, la ville de Metsamor a été construite pour accueillir les 1700 salariés du site et leurs familles. La commune est principalement composée de hauts immeubles délabrés. « Notre budget est très limité », explique Robert Grigoryan, le maire de la ville. « J’essaye depuis des années d’obtenir un éclairage public, pour les ouvriers de la centrale qui rentrent chez eux en pleine nuit. »



« Pour nous cette centrale, c’est “être ou ne pas être” », explique Areg Galstyan, ancien ministre délégué à l’Énergie, aux Infrastructures et aux Ressources naturelles. « Au début des années 1990, nous étions confrontés à une grave crise énergétique. Nous commencions à surexploiter l’eau de notre lac Sevan, et à couper les arbres de façon massive. Le redémarrage était vital pour notre économie et notre environnement. »



Plusieurs familles de Metsamor s’interrogent sur des handicaps affectant leurs enfants. Rostom (à droite sur la photo) est lourdement retardé mentalement. « Sa maladie ne peut pas être génétique, car nous n’avons aucun cas similaire, ni dans ma famille ni dans celle de mon mari », explique sa mère Tsovinar Harutyuanyan. « Mon mari travaille à la centrale en tant que conducteur d’engins. Un accident s’est peut-être produit dans la zone dangereuse », avance-t- elle.



Sortie d’église à Metsamor. La plupart des habitants ne semblent pas inquiets, et s’en remettent à l’intervention régulière de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), dont l’aura semble les rassurer. « Aucun problème n’a jamais eu lieu » à en croire Emilia, qui travaille à Metsamor depuis 1977 en tant que technicien-décontaminateur.



En cas de rejet radioactif, la polyclinique de Metsamor serait le premier établissement de soins sollicité. Les étages supérieurs du bâtiment sont délabrés, les murs entièrement moisis et présentent de larges trous. Les infirmières se plaignent de fuites dans le toit. Un jeune médecin qui préfère garder l’anonymat ironise ainsi : « La moyenne mondiale des maladies nosocomiales est de 3 % par établissement. Ici c’est sûrement plus. L’été, il y a aussi des serpents et des scorpions dans le jardin. » La polyclinique disposerait de pilules d’iode à distribuer à la population en cas de rejet radioactif. Les combinaisons anti-nucléaires à destination du personnel médical sont stockées à l’intérieur du site de la centrale.



Des adolescents de Metsamor jouant dans une verrerie désaffectée, accolée à la ville. « Avant le départ des Russes, il était beaucoup plus facile de trouver un emploi », déplorent un groupe de retraités, attablés en plein air autour d’une partie de belote. Dans cette région de l’Arménie, un adulte sur trois est au chômage.



Vue de nuit d’Erevan, située à une trentaine de kilomètres de la centrale. En 2015, l’annonce d’une hausse importante des tarifs d’électricité provoquait de violentes manifestations dans la capitale arménienne. La même année, l’entreprise nationale russe Inter RAO cédait les Réseaux d’électricité d’Arménie (ENA) au groupe Tashir, appartenant à un milliardaire d’origine arménienne. Selon les chiffres officiels, Metsamor subvient à 40 % des besoins en énergie de l’Arménie.

Textes de Damien Lefauconnier.

Sebastian Castelier
photojournaliste, sebastian-castelier.com


Tags: #Arménie   #Metsamor  


Fil d'info