L’Azerbaïdjan et la diversification économique: la décennie qui propulsa Bakou au rang de puissance régionale

  10 Octobre 2017    Lu: 931
L’Azerbaïdjan et la diversification économique: la décennie qui propulsa Bakou au rang de puissance régionale
Le Caucase paraît toujours bien lointain pour les Français. Pourtant, s’il est un pays avec qui la France entretient des relations historiques, c’est bien l’Azerbaïdjan. Ce n’est donc pas un hasard si François Hollande, l’ancien Président, recevait pour l’une de ses dernières rencontres officielles à l’Elysée en mars 2017, le Président Ilham Aliyev, moins de deux ans après s’être rendu à Bakou en 2014 notamment pour inaugurer le Lycée français. A cette occasion, lui-même déclarait dans la cour de l’établissement, et l’on peut encore le lire à l’entrée en souvenir: « Les relations entre nos deux pays sont anciennes ».
Comment en effet pourrait-on se passer de relations économiques, politiques et culturelles, avec l’un des nouveaux dragons de la région, l’Azerbaïdjan ? L’hexagone l’a bien compris : le monde a besoin de pays stables, et de moteurs régionaux et il est important de favoriser les échanges bilatéraux avec des pays qui il y a encore trente ans n’étaient rien. S’il est un seul dragon, c’est bien Bakou.

La situation géographique de l’Azerbaïdjan, terre de feu, en fait un pivot régional fondamental indéboulonnable : coincé entre l’Arménie qui estime qu’elle lui a confisqué par la force tout le Haut Karabagh et même des régions autour depuis la fin 1994, l’Iran, la Turquie, la Géorgie et la Russie, Bakou a tout intérêt à avoir les reins solides. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’un pays musulman modéré, laïc, ouvert à toutes ses minorités, et si riche puisque touché par la grâce de Dieu avec le pétrole et le gaz, ne pouvait pas uniquement se contenter de tous ces atouts. A la différence d’autres pays où le pétrole coule à flot, Bakou a fait le choix de la diversification de l’économie depuis 20 ans. Et le pire, c’est que ça marche et que c’est un franc succès. Malgré un conflit qui a coûté des milliards aux deux pays depuis 1994, un million d’Azerbaïdjanais expulsés, 6000 soldats morts lors des derniers événements majeurs cette année là, Bakou meurtri ne s’est pas figé sur le conflit même si pour les Azerbaïdjanais, le Karabakh reste une blessure inguérissable à ce jour. Comme si cette colère, dont les fondements sont appuyés par le droit international (et que personne dans le monde ne reconnaît la République du Karabakh sous contrôle arménien), s’était transformée en superbe énergie pour se rattraper d’avoir été trop faible à l’époque face à Erevan. Aujourd’hui, les choses seraient probablement différentes en terme de puissance, si le géant russe n’apportait pas son puissant soutien à l’ennemi juré. L’Azerbaïdjan est devenu une puissance régionale.

Qui aurait pu imaginer qu’en moins de trente ans d’existence, la République d’Azerbaïdjan deviendrait le dragon économique qu’elle est devenu dans le Caucase ? Si les gloires peuvent être éphémères à l’échelle de l’histoire pour les pays bien nés, Bakou a bien compris à l’instar de peu de pays du Golfe excepté les EAU et le Qatar, qu’il fallait assurer au pays un développement durable et ne pas se fixer sur le court terme. C’est ainsi que non seulement, d’un point de vue politique, l’Azerbaïdjan s’est intégré à l’ONU, à l’OSCE, au Conseil de l’Europe, est devenu partenaire de l’OTAN, de l’Organisation Islamique de Coopération, de la Banque Mondiale ; mais d’un point de vue économique, le pays a vu sa croissance exploser entre 2003 et 2007, atteignant les 21%[i]. La croissance s’est ralentie depuis la crise de 2008 et la chute du cours du pétrole ainsi que les difficultés rencontrées par la Russie. Elle était de 1,4% en 2017 mais l’économie est actuellement dans une excitante transition. Laquelle ?

Le pays a largement investi dans le formidable pipeline qui devrait à terme relier Bakou-Tbilissi-Ceyhan jusqu’à l’Europe et lui assurer une formidable alternative à l’emprise russe qui est son 2ème fournisseur. Hélas, la conduite est actuellement stoppée à 12km des frontières italiennes pour des raisons environnementales. Longtemps, le secteur pétrolier a été le moteur du développement du pays. Si le pays reste à la pointe avec la présence des plus grands groupes pétroliers en mer Caspienne, aujourd’hui et depuis quatre ans en réalité, les choses ont basculé : l’Azerbaïdjan, par une vision avant tout qui plus est ambitieuse, destinée à pousser à la diversification de son économie, à attirer les investisseurs étrangers et à favoriser et aider les exportations des produits locaux, a inversé la vapeur. En effet, quel autre pays doté d’autant de réserves énergétiques, est-il parvenu à passer de 2007 à une répartition secteur pétrolier-non pétrolier de 60/40 % à du 34/66% en 2016 ? Il est en effet incroyable d’avoir réussi à ne plus dépendre aujourd’hui pour un tel pays qu’à 34% de ses hydrocarbures et d’être parvenu à construire une économie solide non-pétrolière qui rapporte aujourd’hui 66% du PNB du pays. Comment le pays a-t-il relevé le défi ?

L’agence Azpromo est une fondation d’Etat en charge du soutien à la diversification de l’économie du pays. Fondée en 2003 par le Ministère de l’économie, elle fournit un soutien direct a développement de l’investissement étranger et des exportations. Chargé d’identifier les projets publics et privés dignes d’être soutenus, d’étudier les marchés, d’aider à l’enregistrement des entreprises et de fournir les licences, la fondation présidée par Rufat Mammmadov, soutient le secteur agricole qui représente 40% de la population active, booste l’exportation qui a augmenté de 30% entre 2016 et 2017, positionne l’Azerbaïdjan dans les plus grands forums économiques internationaux comme en Russie, aux USA, en Allemagne, en Australie ou en Ukraine.

Le pays a développé depuis vingt ans l’ensemble de ses secteurs économiques : ils représentent à eux tous seuls près des ¾ de l’économie du pays. Inédit pour un pays aussi riche en hydrocarbures. L’agriculture est très dynamique et le pays est réputé dans le monde pour certains de ses produits comme les noix, les tomates, les grenades, qui sont exportées partout dans le monde des USA à la Nouvelle-Zélande. Le vin commence à avoir aussi sa réputation au-delà du Caucase. Mais ce n’est pas tout : le pays mise sur son industrie lourde, la logistique et le commerce, ses services financiers, les IT. Qui plus est, le pays est de plus en plus attirant pour les investisseurs. Et cela s’explique facilement : stabilité politique, deuxième plus forte croissance économique mondiale entre 2001 et 2010, dette extérieure faible (20,4% du PIB), 37e économie la plus compétitive du monde, situation géopolitique stratégique, faible taux de chômage, haut niveau de qualification de la main d’œuvre, facilités de transports en pleine expansion (train-bateau-routes), faible régulation économique, soutien à l’industrie touristique. La route de la soie n’est pas du passé pour Bakou : elle est le futur. Est-ce un hasard si l’Azerbaïdjan était en 2016 le premier acheteur mondial d’or ?

La conquête des marchés se fait grâce à Azpromo mais elle diffère selon les continents. L’Union européenne est un partenaire économique de choix même si les barrières sont encore présentes: partenariat énergétique depuis 2006, négociations autour d’un accord d’association en cours[ii]. Aujourd’hui, la Russie est le premier importateur des biens azéris non pétroliers. Le marché américain est beaucoup plus compliqué à atteindre car très compétitif mais Bakou ne renonce pas.

Sur ce dernier point, l’Azerbaïdjan devient également une destination touristique originale dans le monde. Preuve de son ouverture et de faire du pays une destination à la mode, la seule ville de Bakou parle d’elle-même. Il suffit de quelques jours pour se rendre compte de la richesse éclectique de la ville, intégrant styles et cultures ancestrales du pays. D’un côté, la vieille ville rappelle l’héritage ottoman avec la présence de monuments religieux allant de la synagogue, à l’église arménienne. De l’autre, les plus grands architectes internationaux ont donné à Bakou un cachet futuriste unique. Il suffit de citer le centre Heydar Aliyev, du nom du père de la nation indépendante, imaginé par Zaha Hadid, ou bien les Flame Tower avec l’Hôtel Fairmont qui trônent sur le haut de la ville et imprègnent le ciel noir corbeau de leurs hologrammes aux couleurs du pays bleu, rouge, blanc et verts. En 2016, le site mondialement connu Trip Advisor a fait de Bakou l’une des 10 Destinations de l’année. Afin d’attirer le plus grand nombre, la ville ne se contente plus de construire uniquement des palaces majestueux. Elle se dote de toute une chaîne d’hôtels médians qui permettront d’accueillir un public qui sera également culturel et familial, et pas que business. Actuellement, les Russes, les Géorgiens, et les Iraniens sont sur le podium des visiteurs les plus importants du pays : ils sont respectivement 6 697 000, 4 405 000, 232 700 à avoir visité le pays en 2016. Demain, l’Azerbaïdjan visera un tourisme beaucoup plus large. Chinois et Japonais s’y précipitent déjà car c’est l’une des portes les plus ouvertes sur le Caucase, les prémisses de l’Asie Centrale et la plus grande mer fermée du monde. Bakou va encore plus loin : le Port international de Bakou n’est plus qu’un projet sur le papier. Il verra se développer de manière inédite le commerce et les transports sur la Caspienne. Il accueille déjà le train et dans quelques années, la mer sera probablement dotée de circuits touristiques et de croisières. Parce que, comme le dit le député azéri Javanshir Feyzizev : « La mondialisation est un phénomène que l’on ne peut plus éviter »[iii] Qui aurait pu imaginer que cet ancien satellite soviétique communiste, dont les installations d’exploitation du pétrole étaient à l’image de l’URSS totalement déconfites, puisse devenir aujourd’hui l’un des meilleurs exemples de réussite de ce que le capitalisme a pu apporter au Caucase longtemps plombé par le communisme ? Ce député francophone et francophile, qui a appris le français à Royans, vient de la ville montagneuse de Shekhi[iv], au nord-ouest du pays. Sa commune est en pleine mutation et au cœur aussi des enjeux linguistiques et culturels mondiaux. Depuis quelques années, malgré l’irrémédiable présence de l’anglais, le député constate un regain d’intérêt pour le français. A tel point que chaque année, il organise la venue de professeurs de français depuis l’Alsace, et que le nombre d’étudiants inscrits pour apprendre la langue de Molière explose. Les traces de l’URSS finissent parfois par s’atténuer. Deux preuves : la place Lénine à Bakou fut rebaptisée place de l’Indépendance. Et avant l’arrivée de Moscou, les relations entre la France et l’Azerbaïdjan étaient très fortes : à tel point que plusieurs écrivains locaux écrivaient même en français. Ce fut donc tout naturellement que le député Feyzizev se rendit, à la chute de l’URSS, en France. Ce qui fit de lui le premier homme politique en Azerbaïdjan à réenclencher l’amitié historique qui unissait les deux pays. Quel plus beau symbole ?
afrique-asie.fr

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