Il fallait bien une voix dissonante dans le grand concert des nations : l’Arabie saoudite, porte-voix des pays pétroliers, apparaît ce jeudi, à la veille de la remise du texte final de l’accord sur le climat, comme un des principaux empêcheurs de tourner en rond. Ce mercredi soir, les délégations ont donné leurs positions sur le brouillon de l’accord : l’Arabie saoudite a clairement fait savoir qu’elle refusait la tarification du carbone prévue dans l’accord mondial sur le climat.
Ryad monte au front
Deuxième pays producteur de pétrole au monde après les Etats-Unis, l’Arabie saoudite redoute d’être taxée sur ses ventes de brut, source majeure d’émissions de gaz à effet de serre. Ses délégués ont argué mercredi soir que cela pourrait freiner leur développement économique.
« L’Arabie saoudite n’était pas montée au créneau depuis la conférence de Copenhague en 2009, explique Pascal Canfin, ex-ministre du Développement. Aujourd’hui, elle voit que c’est sérieux et qu’on va probablement avoir un accord dont l’objectif est de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Donc elle monte au front. » Deux points en particulier ne passent pas pour les Saoudiens : le prix du carbone et une option sur le financement de l’adaptation.
Sur ce second point, c’est une option présente dans le texte de l’accord qui hérisse la délégation saoudienne : cette option prévoit que les pays « qui le peuvent », et non pas seulement les pays développés historiquement responsables des émissions de gaz à effet de serre, contribuent au financement de l’adaptation des pays vulnérables au changement climatique. L’Arabie saoudite a même demandé à faire partie des pays qui recevraient une aide financière s’ils devaient se lancer dans une transition énergétique
Au pays de l’or noir
Mais c’est bien évidemment la peur de devoir laisser ses stocks d’or noir dans son sol qui fait trembler l’Arabie saoudite. Pour limiter le réchauffement climatique à 2°C, les scientifiques estiment que l’exploitation des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) devra céder la place aux énergies renouvelables. « L’Arabie saoudite se bat sur des points qui nous paraissent hallucinants, réagit Matthieu Orphelin, porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot (FNH). Leur position est dépassée car on sait tous qu’un prix du carbone est nécessaire. Tous ces pays qui se sont développés depuis 50 ans sur l’industrie pétrolière, il faut aujourd’hui les aider à basculer vers les renouvelables, notamment le photovoltaïque qui pourrait être efficace dans ces régions. »
Ce jeudi, alors qu’un nouveau pré-accord est attendu pour le début d’après-midi, l’Arabie saoudite semble toutefois très isolée. Seul le Venezuela, qui tire la moitié de son PIB de l’exploitation du pétrole, est aligné sur la position de Ryad. « Jusqu’ici Ryad s’est beaucoup exprimé au nom du groupe Arabe (22 pays), mais cela ne reflète pas la vision de tous ses membres, dont certains sont franchement engagés dans le développement des énergies renouvelables comme le Maroc ou la Jordanie », expliquait Safa Al Jayoussi, porte-parole du réseau d’ONG arabes IndyAct.
Des coups de fil entre l’Elysée et Ryad ?
L’Arabie saoudite pourra-t-elle rester seule contre tous dans le sprint final des négociations ? « La présidence française peut trouver un moyen d’entraîner l’Arabie saoudite dans un accord ambitieux », estime Denis Voisin, responsable du plaidoyer à la FNH. Ryad ne peut pas mettre son veto à l’accord mais pourrait obtenir un retrait de la mention du prix du carbone qui priverait le texte d’un outil fort pour engager l’économie mondiale dans la transition énergétique. « Cela se terminera probablement par des discussions de haut niveau entre l’Elysée et la famille Al-Saoud », pense Pascal Canfin.
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