Pourquoi Emmanuel Macron a remporté le débat: l'avis de cinq experts

  04 Mai 2017    Lu: 2128
Pourquoi Emmanuel Macron a remporté le débat: l'avis de cinq experts
Le Figaro a demandé à cinq politologues, membres d'instituts de sondages et communicants leur avis sur le vainqueur et le perdant de ce débat qui opposait mercredi soir Emmanuel Macron et Marine Le Pen, à quatre jours du second tour de l'élection présidentielle.
• Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'institut de sondages Ifop

«Dans ce débat d'une violence inouïe, je dirais qu'Emmanuel Macron a plutôt gagné parce qu'il n'a pas perdu. Marine Le Pen, dans une stratégie “Vergésienne” de rupture - référence à l'avocat Jacques Vergès qui plaidait plus l'illégitimité d'un procès que le fond du dossier - a tenté de pousser son adversaire à la faute sans y parvenir. Elle a montré, au contraire, ses limites, notamment sur l'euro. De fait, Marine Le Pen est davantage apparue comme la future première opposante d'Emmanuel Macron que comme une candidate prête à entrer à l'Élysée. En effet, elle a moins déroulé son offre programmatique qu'elle n'a cherché à délégitimer celle de son adversaire. Maintenant, je reconnais un axe stratégique intéressant de Marine Le Pen, qui a cherché à s'adresser aux deux électorats des deux principaux candidats battus au premier tour. On l'a vu envoyer des “clins d'œil” à l'électorat de François Fillon en faisant d'Emmanuel Macron l'héritier de l'actuel président de la République avec le fameux sobriquet “Hollande junior”. Et, en même temps, elle a envoyé des signaux à l'électorat de la France insoumise en plaçant Emmanuel Macron dans le camp des puissants, des élites, prêts à mettre en œuvre une classe sociale. C'est le message qu'elle a voulu faire passer lorsqu'elle a dit que son adversaire mettrait en œuvre une “loi El Khomri puissance 10”».

• Christian Delporte, historien, professeur à l'Université de Versailles-Saint Quentin

«Dans ce débat extrêmement confus, qui n'a pas dû beaucoup éclairer les Français, l'invective l'a emporté sur l'argumentation. Je n'ai jamais vu cela! Cependant, Emmanuel Macron me semble l'avoir clairement dominé, pour trois raisons. D'abord, il n'est pas tombé dans le piège de Marine Le Pen qui voulait, sur le fond, en faire l'héritier de François Hollande et, dans la forme, montrer son arrogance. Ensuite, Marine Le Pen a fait l'erreur de discuter le projet d'Emmanuel Macron, le crédibilisant de facto, employant même le futur et non le conditionnel lorsqu'elle parlait de son application. Enfin, Emmanuel Macron a marqué des points en démontant le programme de Marine Le Pen, notamment sur l'euro, et en soulignant les insuffisances de son projet. L'un a fini par prendre de la hauteur, s'est présidentialisé, malgré les obstructions, l'autre est restée dans un discours de meeting, conservant un ton étonnamment agressif. Mais j'imagine la déception des Français. Marine Le Pen en porte une lourde responsabilité!»

• Stéphane Rozès, président du cabinet Cap (conseils, analyses et perspectives), enseignant à Sciences Po et HEC

«Emmanuel Macron et son projet pour la France sortent confortés de la confrontation présidentielle d'hier. Laissés à eux-mêmes par une organisation ni pensée, ni menée, elle aura été une épreuve décevante mais révélatrice. Les Français psychologisent les questions politiques et politisent les questions psychologiques. Marine Le Pen s'est révélée humainement fragile. Elle aurait pu et dû jouer la ligne nationale Philippot et Dupont-Aignan mais son attitude inutilement agressive la ramenait à son père. Elle aurait pu et dû mener une campagne de second tour, elle a mené une campagne de premier tour. En face, Emmanuel Macron a révélé une maîtrise peu commune. Pas une erreur au cours de cet affrontement. Il avait décidé d'une ligne harmonique à laquelle il s'est tenu avec placidité, épousant les montagnes russes de son adversaire mais gardant son cap. Chez lui, le gouvernement des choses qu'il connaît précède de très peu le gouvernement des Hommes qu'il comprend. C'est une grande force pour sécuriser et l'emporter dans un monde où la technique prime et entraîne les Hommes. Pour autant, cela ne renseigne pas ou peu sur ce que seront son exercice du pouvoir politique et sa pesée pour sortir la France de sa dépression, l'Europe de sa marche vers l'abîme et le monde du grand repli populiste, nationaliste et radical religieux qui l'affecte.»

• Pascal Perrineau, politologue et professeur à Sciences Po, ancien directeur du Cevipof

«Comme dans la plupart des débats depuis 1974 il n'y a pas de vainqueur par KO. C'est la notion même de débat éclairant les projets des deux candidats qui a été atteinte. Jamais un débat n'avait connu une telle tension permanente et une telle profusion d'invectives et d'excommunications en tous genres. Derrière ce “bruit” permanent, il était bien difficile de se faire une idée claire des politiques en présence. Marine Le Pen, qui a choisi dès le début d'installer une stratégie de la tension maximale, a abandonné le terrain de la lutte pour sa crédibilité présidentielle et a pu apparaître - particulièrement sur les dossiers économiques- comme incertaine. La dénonciation compulsive de l'adversaire ne peut servir d'ersatz au débat démocratique autour des projets. À cet égard, Emmanuel Macron a tenté de temps à autre de dérouler une certaine pédagogie autour des projets (école, retraite, chômage...) mais n'a pas toujours su éviter la “démonologisation” de son adversaire.»

• Guillaume Jubin, associé de Tilder, cabinet de conseil en communication

«Emmanuel Macron a clairement remporté ce débat sur un point majeur: c'est lui qui a endossé la posture et la vision présidentielle. Pourtant ce débat a été une épreuve pour lui, au cours de laquelle il a dû éviter en permanence de tomber dans le piège de l'affrontement et de la polémique que lui tendait Marine Le Pen au détriment des sujets de fond. Marine Le Pen au contraire n'est pas sortie d'une posture d'accusation et de dénonciation permanente, laissant les propositions et le positif à Emmanuel Macron. C'est une erreur de communication face à des Français qui sont dans l'attente d'une stature présidentielle pour choisir le prochain chef de l'État. C'est d'ailleurs une rupture avec l'image qu'elle s'était attachée à construire dans la campagne du premier tour et au cours des précédents débats télévisés.»

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