Causes et conséquences des événements du 20 janvier 1990

  15 Octobre 2015    Lu: 2402
Causes et conséquences des événements du 20 janvier 1990

Les événements du 20 janvier 1990 sont l’un des moments clés de l’histoire contemporaine de l’Azerbaïdjan

Les événements du 20 janvier 1990 sont l’un des moments clés de l’histoire contemporaine de l’Azerbaïdjan. Ils sont la conséquence d’évolutions géopolitiques complexes ayant eu lieu à l’époque sur le territoire de l’URSS. Les processus de désintégration de l’URSS ont atteint dans les années 80 du XXe siècle leur apogée, ce qui est dû pour une bonne part au regain d’activité des mouvements nationaux dans les républiques soviétiques. Ils ont été le plus massifs dans les républiques baltes, en Transcaucasie, ainsi qu’en Moldavie. Il est à noter que le principal moteur des mouvements nationaux dans ces républiques, y compris en Azerbaïdjan, était la question de la souveraineté. L’Azerbaïdjan fut la première des républiques soviétiques à adopter le 23 septembre 1989 la loi constitutionnelle sur la souveraineté de la République Socialiste Soviétique d’Azerbaïdjan, qui affirmait le primat de la législation de la République sur celle de l’Union . Cette décision du parlement azerbaïdjanais fut un pas sérieux
sur la voie de l’obtention d’une pleine souveraineté.

Il devenait chaque jour plus évident que la direction de l’Union Soviétique ne pouvait plus contenir par des méthodes politiques civilisées les forces centrifuges toujours plus actives dans le pays. C’est dans ce contexte que la direction soviétique décida d’avoir recours au dernier moyen pour éviter le démantèlement de l’URSS – la solution de force. Selon les intentions de ses auteurs, l’opération militaire locale envisagée devait servir d’avertissement aux républiques soviétiques qui cherchaient à quitter l’URSS. Le choix de l’Azerbaïdjan comme test pour une telle opération ne fut pas fortuit, car c’était là le « maillon faible » des républiques soviétiques à l’avant-garde du combat pour la souveraineté. En effet, contrairement aux républiques baltes et à leurs voisins du sud du Caucase, les Azerbaïdjanais n’avaient pas de soutiens influents en Occident. De plus, l’Azerbaïdjan était la seule république de Transcaucasie dans laquelle l’écrasante majorité de la population était musulmane. Ceci donnait la possibilité à la direction soviétique de tirer argument du soi-disant « intégrisme islamique» pour justifier aux yeux de l’opinion internationale une intervention militaire contre une population civile. Et en effet, Mikhaïl Gorbatchev prétendit que c’est pour barrer l’accès au pouvoir de « fondamentalistes islamistes» que des troupes furent utilisées à Bakou.

La direction soviétique prenait également en compte le fait que la montée du mouvement national en Azerbaïdjan se déroulait sur fond d’un conflit en cours au Karabagh, suite aux revendications territoriales arméniennes sur des terres authentiquement azerbaïdjanaises. Il était donc facile de monter des provocations fournissant un prétexte à l’utilisation de la force. D’autant que vers la fin décembre 1989 la déstabilisation de la situation dans la zone du conflit du Karabagh atteignait son apogée. L’élément catalyseur de l’escalade de la tension dans la région fut l’adoption le 1er décembre 1989 par le Soviet Suprême de la République Socialiste Soviétique d’Arménie d’un arrêté sur la réunification de la RSS d’Arménie et du Nagorny Karabagh. Les combattants arméniens furent ainsi incités à se lancer dans une véritable guerre contre l’Azerbaïdjan. Pour la première fois dans le conflit du Karabagh des attaques furent déclenchées contre des sites azerbaïdjanais situés en dehors des frontières administratives de la Région Autonome du Nagorny Karabakh.

L’attentisme de fait de la direction soviétique, qui ne fit rien pour contrer les actions anticonstitutionnelles de la partie arménienne, mena à une tension accrue de la situation politique interne de l’Azerbaïdjan. De son côté, la direction de l’époque du parti communiste de l’Azerbaïdjan, absolument incapable de prendre des décisions politiques de manière autonome, continua dans cette situation critique de suivre aveuglément les instructions de la direction de l’URSS. Au début de l’année 1990, la direction de l’Azerbaïdjan se retrouva définitivement discréditée et perdit tout contrôle sur la situation dans la République. Dans ce contexte il ne faisait déjà plus de doute que la victoire aux élections parlementaires prévues en avril 1990 irait aux forces de l’opposition du Front Populaire d’Azerbaïdjan qui se battait pour que la République sorte de l’Union Soviétique. Toutes ces circonstances ont mené, et ont servi de prétexte, à l’intervention de l’armée à Bakou.

Il est intéressant de noter que la direction de la République – jusque là inactive dans cette situation dramatique a soudainement et inexplicablement fait preuve de courage, et entrepris de créer des bataillons armés de combattants. Dans une intervention publique devant les ouvriers de l’usine de réfrigérateurs de Bakou dans les premiers jours de janvier 1990, A. Vezirov – alors principal responsable de la République – a appelé la jeunesse à s’enrôler dans les rangs des combattants, leur promettant de les fournir en armes.

Il était évident que les autorités soviétiques de Moscou préparaient une importante provocation. Et en effet, à partir du 13 janvier 1990 commencèrent à Bakou des pogroms contre les Arméniens provoqués par les services spéciaux soviétiques, et dont la rumeur courait dans toute la ville depuis la fin décembre. Le journal Azadlig prévenait en particulier le pouvoir, dans son édition du 30 décembre 1989, que des actions illégales se préparaient contre la population arménienne de la ville.

Néanmoins, les autorités, dûment informées des pogroms en préparation, n’ont rien entrepris pour les prévenir. Après le début des pogroms, les forces de police et un contingent de 12 000 hommes des forces spéciales du ministère de l’Intérieur de l’URSS se trouvant en ville, sont restés inactifs d’une manière que l’on peut qualifier de criminelle. Des faits indiscutables prouvent que les troupes ont reçu l’ordre de ne pas intervenir, car la situation créée faisait le jeu de la direction soviétique à Moscou. Seuls les efforts des militants du Front Populaire de l’Azerbaïdjan ont permis que les pogroms de Bakou s’arrêtent le 16 janvier. Néanmoins, la tension monta encore en Azerbaïdjan suite à l’adoption du décret du Présidium du Soviet Suprême de l’URSS du 15 janvier 1990, instaurant l’état d’urgence dans la Région Autonome du Nagorny Karabakh et dans certains autres districts », et particulièrement de son article 7 qui proposait d’établir le couvre-feu dans les villes de Bakou et de Gandja. Ce décret fut considéré en Azerbaïdjan comme une nouvelle preuve des sympathies pro-arméniennes de la direction soviétique à Moscou, d’autant plus que le décret ne prévoyait pas d’instaurer l’état d’urgence sur le territoire de l’Arménie, alors que celle-ci était la cause directe de la déstabilisation dans la région.

Dès les 16-19 janvier 1990 fut regroupée près de Bakou une importante force militaire opérationnelle de plus de 50 000 soldats provenant des régions militaires de Transcaucasie, de Moscou, de Leningrad, et d’autres régions. Certains de ces soldats étaient des réservistes, parmi lesquels des Arméniens, qui ont faitparticulièrement preuve de « zèle » lors de l’intervention des troupes à Bakou.

Le nombre le plus important de victimes parmi la population fut constaté là où étaient utilisés ces réservistes, qui, avant leur entrée dans Bakou, avaient été encouragés à agir avec brutalité. De plus, des éléments criminels étaient présents parmi ces réservistes.

La concentration d’une telle masse de troupes autour de Bakou après la fin des pogroms anti-arméniens dans la ville témoigne que les intentions de la direction soviétique étaient de donner sur la base de l’exemple de l’Azerbaïdjan une « leçon » aux autres républiques soviétiques. Malgré les protestations de la population, et sans aucun avertissement préalable adressée à cette dernière, les troupes soviétiques furent lancées dans la nuit du 19 au 20 janvier sur la ville. Leur entrée s’accompagna de tirs intentionnellement meurtriers, qui provoquèrent des pertes importantes parmi les civils. Selon les données officielles de la commission parlementaire sur les événements des 19-20 janvier 1990, furent recensés 131 tués et 744 blessés parmi les civils lors de l’intervention à Bakou.

Grâce à cette opération répressive, la direction soviétique sut indiscutablement marquer des points, notamment en stabilisant temporairement la situation en Azerbaïdjan par l’instauration de l’état d’urgence et par l’installation dans le fauteuil de premier secrétaire du Comité Central du Parti Communiste d’Azerbaïdjan de l’une de ses marionnettes. Mais dans le même temps les responsables de Moscou essuyèrent un échec stratégique total, car les événements du 20 janvier 1990 sonnèrent le glas du régime communiste en Azerbaïdjan. Cet épisode a démontré de manière limpide l’impossibilité
de faire de l’URSS un Etat démocratique civilisé, et a stimulé la conscience de l’identité nationale du peuple, qui s’est mobilisé vigoureusement pour sa souveraineté. La preuve en fut donnée par les funérailles des victimes de ces événements tragiques, qui se sont déroulées le 22 janvier 1990. Presque toute la population de la ville est sortie dans les rues pour accompagner– 24 heures après cette nuit tragique, et malgré la présence de soldats en armes – leurs concitoyens assassinés. Il faut noter que ce ne sont pas la douleur et le chagrin qui étaient le moteur principal des habitants, mais la volonté de manifester leur inflexibilité et leur intention de continuer la lutte au nom de l’idée de liberté nationale.

En fait, cette manifestation et la grève de 40 jours qui s’ensuivit furent une sorte de plébiscite en faveur de l’indépendance nationale de l’Azerbaïdjan, et en même temps la confirmation que l’empire soviétique était condamné. Le commentateur politique A. Tikhomirov, lors de l’émission dominicale soviétique « Vremia », formula des mots qui s’avérèrent prémonitoires : « Cet empire ne peut plus être sauvé, ni par la carotte, ni par le bâton ».

En conclusion, nous pouvons dire que, loin de représenter une catastrophe, le 20 janvier 1990 marque un des plus grands événements de l’histoire contemporaine de l’Azerbaïdjan. C’est effectivement cette
nuit-là que des habitants aux mains nues ont affirmé devant les soldats armés jusqu’aux dents d’une des plus puissantes armées au monde leur droit à l’indépendance. L’adoption par le Parlement de l’Azerbaïdjan le 18 octobre 1991 de l’Acte constitutionnel d’Indépendance n’a été que la traduction juridique de ce qui avait été obtenu de facto lors de ces journées de janvier 1990.

Nous pouvons faire ici une légère digression historique en traçant un parallèle avec les événements du début du XXe siècle. Des épisodes tragiques survenus en mars 1918 avaient précédé la proclamation de la République Démocratique d’Azerbaïdjan le 28 mai 1918. D’importants pogroms sanglants ont été perpétrés par des gardes rouges et des combattants arméniens rattachés au Soviet de Bakou, ainsi que par des militants du mouvement arménien « dachnak » contre la population pacifique des villes de Bakou, Guba, Lankaran, Goytcha, ainsi qu’au Karabagh et au Zangezour. Des milliers de femmes, d’enfants et de vieillards furent alors massa crés de manière barbare. Comme on le voit, l’histoire se répète, non seulement par l’enchaînement des événements, mais également par l’attitude de leurs participants – la liberté ne se donne pas, mais se conquiert– au prix du sang.(IRS)

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