Coupe du monde: anglais est sur le banc des accusés

  06 Octobre 2015    Lu: 777
Coupe du monde: anglais est sur le banc des accusés
Avec ses chaussures de sport rouge vif et ses yeux passionnés, Ramesh incarne le renouvellement dont rêve la Fédération anglaise de rugby (RFU) : un adolescent issu de l’immigration et éduqué dans une école publique.
Le jeune homme de 15 ans, qui vit à Hounslow, une banlieue populaire à l’ouest de Londres, ne connaissait rien au rugby il y a trois ans. « Chez moi, on parle de football. Et je croyais que le rugby, c’était uniquement pour les garçons des écoles privées. C’est ce qu’on voit dans les films. »
Sa rencontre avec le ballon ovale s’est produite lors d’un événement local, quand la RFU est venue installer des poteaux de rugby dans plusieurs parcs publics d’Hounslow en 2012. Pour l’occasion, Lawrence Dallaglio, membre emblématique de l’équipe anglaise victorieuse de la Coupe du monde 2003, était présent. Après l’avoir rencontré, des étoiles dans les yeux, Ramesh y est allé au culot : il a envoyé un email à la RFU. « J’aimerais joindre un club, mais mes parents n’ont pas d’argent. Est-ce que vous pouvez m’aider ? » Sa bouteille à la mer a fini par échouer sur le bureau de Ty Sterry, chargé du développement du rugby en Angleterre, qui a rapidement trouvé un club pour le recevoir gratuitement. Aujourd’hui, Ramesh fait partie de l’équipe de son école et suit avec ferveur et inquiétude le parcours chaotique du XV de la Rose dans sa Coupe du monde.

Derrière le conte de fées de Ramesh, le rugby demeure très largement un sport élitiste outre-Manche. Au sein du XV de la Rose qui dispute le Mondial, 55 % des joueurs ont suivi leur scolarité – au moins partiellement – dans le système privé, qui ne reçoit pourtant que 7 % des élèves du pays. Et dans l’ensemble de la Premiership, le championnat anglais, seuls 39 % des joueurs sont issus des écoles publiques. Chez leurs homologues footballeurs, la proportion est de 94 %.

Les deux buteurs, Owen Farrell et George Ford, sont issus de la St George’s School, dans les vertes campagnes de l’Hertfordshire, à proximité de Londres, les frères Tom et Ben Youngs sortent de Gresham’s School, dans le Norfolk (est de l’Angleterre) et trois joueurs viennent de l’école de Millfield, dans le Somerset (ouest). Cette « consanguinité », cette surreprésentation des classes moyennes et supérieures alimente les critiques auxquelles fait face aujourd’hui le XV de la Rose après son élilination précoce de sa Coupe du monde. En élargissant sa base de recrutement, l’Ovalie anglaise n’aurait-elle pas plus de succès ?
Le phénomène trouve ses racines dans l’histoire du rugby, qui est né dans l’école privée et très chic de la ville homonyme où les frais de pension atteignent aujourd’hui 15 000 euros par an. Un siècle et demi plus tard, cet héritage demeure. « Entre le premier match international de 1871 et l’avènement du professionnalisme en 1995, plus de 90 % des internationaux anglais ont étudié dans des écoles privées ou dans des “grammar schools” [écoles publiques sur concours] », souligne Tony Collins, professeur d’histoire du sport à l’université de Montfort.
Aujourd’hui, la proportion a baissé, mais pas assez, au goût de la RFU elle-même, qui s’est fixé comme objectif de démocratiser la pratique du rugby. En 2012, la fédération a lancé un grand programme dans les écoles publiques. « A l’époque, environ 750 écoles publiques sur 3 200 jouaient au rugby, explique Steve Grainger, de la RFU. Notre objectif est de doubler ce nombre d’ici à 2019. » En trois ans, il a ajouté 400 établissements supplémentaires à la liste.

Cranford Community College, à Hounslow, où étudie Ramesh, en fait partie. Ici, les étudiants sont dans leur immense majorité issus de l’immigration : Pakistanais, Ethiopiens, Somaliens… Traditionnellement, cricket et football dominent. Alan Fraser, le vice-directeur, a lui-même joué au rugby pendant sa jeunesse, mais il était hésitant à introduire le rugby dans l’école. « Les parents n’étaient pas du tout enthousiastes, rappelle-t-il. Pour eux, c’était un jeu pour les Blancs. » Pour les convaincre, il est allé à la mosquée locale, et a progressivement présenté son projet aux leaders religieux. « Nous leur avons expliqué que le rugby portait des valeurs de discipline, de respect, de travail d’équipe, qui vont dans le même sens que l’islam. »

En 2013, les premiers cours de rugby ont commencé dans l’école, après la reconversion d’un terrain de football. Les élèves de 11 à 14 ans jouent à raison de deux heures par semaine pendant tout le premier trimestre jusqu’à Noël. Au début, les entraîneurs de la RFU sont venus sur place. Progressivement, ils ont formé les professeurs de l’établissement, qui peuvent maintenant enseigner ce sport eux-mêmes.

Et voilà comment Ramesh et Abdurazak, mais aussi les filles Huzayma, qui porte le voile, et Alex, avec son accent polonais, sont désormais mordus de rugby. Tous les quatre font partie de l’équipe de leur école, et se sont alignés dans la coupe NatWest, où s’affrontent les différents établissements du pays. La semaine dernière, ils ont écrasé (38-0) Vyners School, un autre établissement public. Leur activité favorite ? « Plaquer. C’est le seul sport où on a le droit de le faire ! »
L’exception Cranford Community College

Cranford Community College demeure pourtant une exception. Beaucoup d’établissements publics ne disposent pas des équipements nécessaires pour mettre leurs élèves au rugby. En face, les établissements privés redoublent de moyens.

Les Bleus ont pu l’expérimenter. L’équipe de France a préparé ses deux premiers matchs de Coupe du monde grâce aux infrastructures de la Trinity School, un établissement privé de Croydon, dans la banlieue sud de Londres. « Sur ce point-là, on a vraiment eu de la chance. On avait l’impression d’être dans un stade, pas dans une école », assure le pilier Vincent Debaty.

Dans le hall d’entrée, Matt Richbell en sourit d’aise. Le directeur du Trinity Sports Club, la section sportive de l’école, a assisté au discours d’adieu de Philippe Saint-André devant un millier d’élèves cravatés. En substance, le sélectionneur du XV de France a laissé entendre que leur terrain d’entraînement n’avait « rien à envier à celui de clubs du championnat de France », rapporte l’éducateur.

Il faut dire que son établissement consacre chaque année près d’1 million de livres (1,3 million d’euros) aux activités sportives, et notamment à sa vingtaine d’équipes de rugby, sur un budget annuel de 15 millions de livres. Difficile dans ces conditions de laisser une chance aux écoles publiques.

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