Petites Népalaises à vendre

  25 Novembre 2015    Lu: 885
Petites Népalaises à vendre
Exploitation sexuelle - Depuis le séisme, de plus en plus de filles vulnérables tombent entre de mauvaises mains.

Au sein de l’ONG Biswas Nepal, filles et ados peuvent raconter leur vécu dans les bars ou les salons de massage. Ici, comme à Change Nepal, Saati et d’autres associations soutenues par Terre des hommes, l’avenir est à réinventer.

Elles sont inséparables, Pinky et Manju. La première rêve d’une carrière de chanteuse, la seconde se verrait infirmière. Mais pour l’heure, l’une vend des épices et l’autre des chaussettes, toujours côte à côte, que ce soit sur un marché officiel ou à la sauvette dans les rues de Katmandou.

«Nous nous sommes connues il y a quatre ans, en travaillant dans deux petits restaurants voisins à Thamel, le quartier touristique. J’avais 14 ans et elle 13», raconte Pinky. «Des restaurants mal famés, comme il y en a tant dans cette zone commerciale. Les clients, éméchés, ont les mains baladeuses. Ils vous touchent partout, même les parties intimes, devant tout le monde… Et pas question de protester, il faut les inciter à boire. C’est tellement humiliant. Au bout de deux ans, je n’en pouvais plus. J’ai décroché. Puis j’ai convaincu Manju de me suivre.» Faute de quoi, comme d’autres, elles auraient glissé dans la prostitution.

L`omerta, la peur et le rejet

Le courage de décrocher, elles l’ont trouvé grâce à Change Nepal, une des associations locales soutenues par les dons suisses à la Chaîne du Bonheur via l’ONG Terre des hommes, partenaire helvétique très actif au pied de l’Himalaya. Des adolescentes, mais aussi parfois des fillettes à partir de 10 ans, viennent y chercher une oreille attentive et un appui discret pour se libérer des salons de massage, bars à danse ou restaurants glauques… Tous ces lieux d’exploitation sexuelle d’où les mineures ont le plus grand mal à s’extraire. Généralement, leurs familles désargentées comptent sur leurs revenus… sans toujours savoir de quoi il en retourne. D’ailleurs, les petites Népalaises évitent d’en parler aux parents et au village, de peur d’être rejetées.

«Notre rôle, c’est de repérer ces filles, leur offrir un lieu où se confier en toute confidentialité, tenter de les remettre à l’école le matin et de les réintégrer dans leur parenté en leur offrant une formation éclair leur permettant d’avoir un job l’après-midi ou le soir», explique Garima Shrestha, de Change Nepal. Dans leur nouvelle vie, elles sont couturière, esthéticienne, jardinière d’enfants, cuisinière, secrétaire, épicière…

Destination: le Golfe ou l’Afrique

Si tout le monde a entendu parler de l’exploitation sexuelle d’enfants en Thaïlande, rares sont ceux, en Occident, qui auraient imaginé que plusieurs dizaines de milliers de filles au Népal sont tombées dans ces réseaux. Impossible bien sûr d’avoir des statistiques fiables sur ce marché clandestin. Mais les ONG en sont convaincues: quel que soit leur nombre, il est certainement en augmentation depuis les séismes meurtriers du 25 avril et du 12 mai, qui on fait près de 9000 morts et laissé 600 000 sans-abri, rendant les familles encore plus vulnérables.

Des proies idéales pour les trafiquants, qui se font passer pour de bonnes âmes proposant aux parents désespérés d’emmener leurs filles à Katmandou ou en Inde pour leur fournir une éducation de qualité ou un bon travail rémunérateur. En réalité, elles sont destinées aux établissements de la capitale ou finissent dans les bordels d’Inde, du Golfe ou encore d’Afrique du Sud.

Un réseau démantelé

«Deux jeunes femmes sensibilisées par Saati, une autre association que nous soutenons à Terre des hommes, ont réussi à faire tomber des membres d’un réseau mafieux international», note Yashoda Upreti, en charge des programmes de lutte contre les trafiquants.

«Danseuses à Katmandou, elles ont été repérées par un recruteur, qui leur a proposé un emploi en Tanzanie. Rien d’étonnant à cela, beaucoup de jeunes Népalais partent travailler à l’étranger. Une fois traversée la frontière indienne, elles ont été emmenées à Delhi, d’où devait décoller l’avion pour l’Afrique. Mais leurs passeports sont alors confisqués et elles se voient enfermées dans une chambre. Cela leur met la puce à l’oreille. Elles réussissent à appeler au Népal une assistante sociale et à lui donner le nom de la rue qu’elles aperçoivent par la fenêtre. Résultat: la police indienne, alertée, les a secourues. Et en Tanzanie, une proche parente qui les avait précédées a été sauvée par l’OIM, Organisation internationale des migrations.»

Une société patriarcale

«Juste après le séisme, alors que toutes les forces étaient concentrées sur les opérations de secours, des trafiquants ont pu facilement faire passer un grand nombre d’enfants en Inde, c’est une certitude», assène Kiran Rupakhetee, sous-secrétaire du Ministère de la femme, de l’enfance et de la protection sociale. Ancien responsable de l’unité de lutte contre les trafics, il dresse un portrait effarant de la situation des enfants au Népal.

«Les trafiquants internationaux ont plus de moyens que notre gouvernement, ils sont mieux organisés et s’adaptent plus rapidement. Quant aux recruteurs, ce sont généralement des gens du cru, souvent même des proches, ils reviennent de Bombay visiter le village, portent des habits dans le vent et parlent de jobs prometteurs. Ils n’ont vraiment pas besoin de forcer les adolescentes ou les jeunes femmes pour qu’elles repartent avec eux!»

Misère et illettrisme

«Comprenez bien ceci: tant les recruteurs que les victimes viennent généralement de campagnes miséreuses et sont souvent illettrés, continue le haut responsable. Donc nous n’arriverons à rien si nous ne combattons pas la pauvreté et ne développons pas l’éducation. Parallèlement, il nous faut impérativement changer les mentalités. Car, bien que notre Constitution soit progressiste, les sociétés au Népal sont encore marquées par de vieilles traditions patriarcales qui ne ménagent guère les enfants. Quand mes parents se sont mariés, mon père avait 12 ans et ma mère 8 ans. Aujourd’hui encore, environ 29% des couples se marient alors qu’ils ont entre 15 et 19 ans. Quant aux punitions corporelles, elles sont monnaie courante. Moi-même, autrefois, je battais mon fils, je corrigeais mes élèves. J’ai honte de le dire, mais c’est la vérité. De même, le travail des enfants est très répandu. Quant aux filles, elles sont clairement dévalorisées, les parents préférant avoir des garçons. Elles sont traitées comme des êtres inférieurs… même par leurs mères!»

Pourtant, Kiran Rupakhetee refuse de se décourager. Même si les élites politiques ne semblent pas pressées d’en faire une priorité, son Ministère multiplie les initiatives pour tenter de faire évoluer les mentalités. A tous les échelons. En commençant par la création d’une «assemblée des enfants» dans chaque village, afin qu’ils aient enfin leur mot à dire sur les sujets qui les concernent..

Les faux humanitaires

Une chose est sûre: l’ignorance générale, dans les zones reculées, rend possible toutes sortes de marchés inavouables. Et les enfants, vulnérables, en sont souvent les premières victimes. Ainsi, on sait que des mineurs quittent le pays pour être «mariés» à de riches étrangers, déplore Kiran Rupakhetee.

Dans un autre registre, «il y a aussi le business des orphelinats, raconte Sebastian Zug, délégué de Terre des hommes. Plus de 80% de ces établissements privés sont situés dans des zones touristiques. Des volontaires internationaux paient pour venir y faire du bénévolat pendant deux ou trois semaines. Pour les gérants, c’est là une rentrée financière importante.

Mais en l’occurrence, la plupart des enfants ne sont pas orphelins, on les fait venir des montagnes ou de villages isolés, en racontant à leurs proches qu’ils recevraient une bien meilleure éducation à la ville. En réalité, ils sont parqués dans ces orphelinats, vivant dans des conditions parfois déplorables.» Autrefois, poursuit le responsable humanitaire, ces enfants pouvaient même être «vendus» en adoption à des couples étrangers. Ce n’est plus possible depuis que le scandale a été révélé par un film documentaire. (24 heures)

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