La Russie dit adieu aux fourrures illégales

  01 Février 2017    Lu: 1114
La Russie dit adieu aux fourrures illégales
Depuis le mois d’octobre, Rospotrebnadzor, le service fédéral russe de protection des consommateurs, procède au contrôle massif des principaux marchés de fourrures de Moscou, qui a déjà entraîné la saisie de centaines de pelisses importées illégalement en Russie.
À en croire les autorités, faire sortir la fourrure de la clandestinité pourrait rapporter chaque année jusqu’à 14 milliards de roubles (environ 200 millions d’euros) au budget. Cet optimisme n’est toutefois pas partagé par les commerçants, qui songent soit à fermer boutique, soit à trouver de nouveaux moyens de contourner la législation. Le quotidien économique RBC a mené l’enquête.

Dernières démarques

Les acheteurs qui ont profité de leurs week-ends d’octobre pour se rendre dans les échoppes de fourrures du marché Sadovod, situé au sud-est de la capitale russe, ont eu un sacré coup de chance. Certains vendeurs de pelisses proposaient ces jours-là des remises extraordinaires. On pouvait ainsi trouver des vestes en vison pour femme à 25 000 roubles (350 €), contre les 40 000 roubles (565 €) habituels.

Les commerçants ont expliqué à RBC la raison de cette générosité : la direction du marché les a prévenus d’un prochain contrôle effectué par Rospotrebnadzor, qui consistera à vérifier la présence d’une puce sur les articles de fourrure. « Il ne nous reste plus grand-chose. Le patron nous a dit de tout liquider et de fermer. Nous allons mettre la clé sous la porte. Les puces et le dédouanement vont augmenter le prix de vente : ce commerce n’aura plus de sens », explique un des vendeurs à RBC.

De l’utilité des puces

L’idée de marquer électroniquement les articles de fourrure est apparue pour la première fois au niveau gouvernemental en mai 2014. En mars 2016, le gouvernement a publié un arrêté sur l’organisation d’une expérience de marquage volontaire des fourrures, qui proposait aux acteurs du marché d’introduire les données relatives à leurs marchandises dans un système d’information unifié et de recevoir des marqueurs RFID (radio frequency identification) fabriqués par l’entreprise Goznak.

Les grands magasins de fourrures ont soutenu cette décision : la puce ne coûte que 20 roubles (0,30 €) et permet d’évincer du marché les commerçants illégaux qui vendent leurs marchandises au rabais. « Actuellement, les commerçants honnêtes sont contraints de se livrer à une concurrence acharnée car près de 80 % des acteurs vendent des articles dont on ne connaît pas la qualité et qui ne sont soumis à aucune taxe », explique à RBC Vougar Isaïev, président de la chaîne de magasins Snejnaïa Koroleva.

L’expérience de marquage volontaire n’aurait dû s’achever que fin 2016. Toutefois, en août 2016, l’introduction du marquage obligatoire des fourrures a également été approuvée par le Kirghizistan, dernier pays de l’Union économique eurasiatique à le faire, dans le cadre de l’ouverture des frontières douanières. Le processus s’est ensuite rapidement accéléré et, dès le 8 septembre 2016, le gouvernement russe rendait obligatoire le marquage électronique des pelisses. Les détaillants disposaient d’un délai de 45 jours ouvrés pour se mettre en règle.

Les contrevenants à la nouvelle loi devront s’acquitter d’une amende pouvant s’élever à 300 000 roubles (4 225 €) et verront leurs marchandises confisquées et détruites. En cas de découverte de lots de fourrures d’une valeur dépassant le million de roubles, une affaire pénale pourra être ouverte qui prévoit une amende pouvant atteindre un million de roubles, la confiscation de la marchandise et une peine de prison d’une durée maximale de six ans.

D’où viennent les fourrures illégales ?

Selon le Service fédéral des douanes (FTS), près de 240 000 articles de fourrure sont officiellement importés chaque année en Russie et 70 000 unités supplémentaires sont produites dans le pays.

En réalité, le nombre de fourrures en circulation serait bien plus élevé, si l’on en croit les résultats préliminaires de l’expérience de marquage volontaire transmis par le ministre de l’industrie et du commerce, Denis Mantourov.

« Nous avons déjà reçu des demandes de puces RFID pour 2,5 millions d’articles, et nous prévoyons d’atteindre les 5 millions », précise le ministre, cité par RBC. Ainsi, le trafic de fourrures représente entre 2,2 millions et 4,7 millions d’unités par an. Selon le ministère de l’industrie et du commerce, sa légalisation rapportera plus de 14 milliards de roubles annuels au budget.

Par ailleurs, la majorité des fourrures illégales présentes en Russie sont originaires de Chine. D’après la Commission chinoise des fourrures, début 2016, la Chine comptait plus de 4 000 usines de fourrures en activité, dont la production s’est élevée en 2015 à 35,4 milliards de dollars. Le potentiel d’exportation de l’industrie chinoise de la fourrure représente 3,4 milliards de dollars. Soit un peu plus que les 3 milliards auxquels le vice-ministre de l’industrie et du commerce, Viktor Evtoukhov, estime le marché russe de la fourrure. À l’en croire, 90 % des fourrures présentes en Russie sont importées.

Le dédouanement d’une fourrure ajoute à son prix d’achat environ 50 % de sa valeur, explique à RBC le grossiste Valeri, qui importe depuis plusieurs années des pelisses chinoises à Moscou. Plus précisément, il faut payer à la frontière une taxe de 10 % sur la valeur de la marchandise, 8 dollars de droits de douane ainsi que 18 % de TVA. Des frais logistiques s’ajoutent ensuite au prix de la pelisse : à partir de 7 dollars le kilo (une pelisse pèse en moyenne entre 0,5 et 1,5 kilo) si elle est transportée par avion, entre 2 et 5 dollars le kilo par voie terrestre et, la solution la moins chère, entre 0,5 et 3 dollars par mer. L’assurance représente encore 3 % du prix d’achat. « Sans compter les frais supplémentaires qui surviennent toujours », précise Valeri. Ainsi, après le dédouanement et l’obtention des certificats nécessaires, une pelisse en vison achetée 300 dollars dans une usine chinoise, finit par en coûter au moins 500 au propriétaire d’un point de vente moscovite. Le prix ensuite indiqué sur l’étiquette dépendra de l’appétit et du modèle d’entreprise du commerçant. Les détaillants le majorent jusqu’à 100 % tandis que la marge des petits grossistes travaillant avec des chefs d’entreprise régionaux sera de moins de 50 %.

Les société de transport chinoises, qui livrent depuis longtemps à Moscou, ne s’embarrassent pas de calculs compliqués. « Le coût du dédouanement et du transport terrestre jusque Moscou revient à 125 dollars le kilo. Vous recevrez le chargement en tant que particulier et la marchandise ne portera aucune puce », telles sont les conditions données par une de ces sociétés à un journaliste de RBC se présentant en tant que vendeur de fourrures. À la question de savoir comment faire pour éviter le marquage électronique obligatoire, l’interlocuteur chinois répond par un évasif « la société résoudra le problème » sans préciser de quelle façon. Les vendeurs de pelisses « clandestines » des marchés moscovites tels que Sadovod arrivent ainsi à vendre par exemple 600 dollars des fourrures achetées en Chine pour 300 dollars. Si les vendeurs légaux proposaient ce genre de prix, ils ne percevraient aucun bénéfice, voire vendraient à perte.

« Il est assez rare qu’on saisisse des chargements de fourrures illégaux – cela n’arrive que dans des cas particuliers. Les canaux de distribution sont depuis longtemps établis et les douaniers ferment les yeux », explique Maxime Chemetov, chef du cabinet d’avocats moscovite Chemetov & associés et ancien agent du FTS.

D’après lui, l’introduction du marquage électronique obligatoire ne permettra d’assainir le marché que partiellement. De nouvelles ruses seront déployées pour contourner la loi. « Tout peut subitement devenir moins cher, commente M. Chemetov. Par exemple, une pelisse à 10 000 dollars sur le papier en coûtera 1 000. Sans parler des magouilles avec la nomenclature, c’est-à-dire qu’au lieu d’une pelisse, le document décrira une veste avec un large col de fourrure. » L’avocat ajoute que le marché de la fourrure, à l’instar de celui de l’électronique, est l’un des plus criminels du fait de sa rentabilité.

Selon un autre ancien douanier, le poste de douane de l’aéroport de Domodedovo, à Moscou, a été pendant de nombreuses années la principale porte d’entrée en Russie des pelisses chinoises. « Des ballots de fourrures étaient enregistrés comme des fournitures de bureau. En réalité, tout le monde savait quel genre de crayons et de trombones se trouvaient dans ces sacs », se souvient-il.

La situation n’a pas beaucoup changé depuis. Selon le FTS, deux semaines avant l’introduction du marquage obligatoire, près de 2,5 tonnes de marchandises ont été saisies à l’aéroport de Domodedovo. D’après la déclaration douanière, il s’agissait de tissus chinois pour plaids d’une valeur de 10 000 dollars. En réalité, la majeure partie du chargement était composée de cuir et de fourrures.

Les prochains sur la liste

Fin octobre, Rospotrebnadzor a tiré les conclusions de sa campagne : dans les près de 40 marchés contrôlés, une multitude de fourrures étaient dépourvues de puce électronique. Plus de 1 000 articles ont été saisis pour un montant total de 40,1 millions de roubles (562 000 euros).

Les autorités songent déjà à étendre l’expérience à d’autres produits industriels et alimentaires. Parmi les projets les plus ambitieux : les aliments, les chaussures, les pièces détachées automobiles et aéronautiques. Mais leur marquage électronique n’est pas pour tout de suite. Contrairement à celui des médicaments : le projet d’arrêté gouvernemental fixant son introduction au 1er janvier 2017 a déjà été approuvé par la Commission étatique pour la lutte contre le trafic illégal de produits industriels.

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