Obama, un héritage sur la sellette - CARICATURE

  10 Janvier 2017    Lu: 1720
Obama, un héritage sur la sellette - CARICATURE
Le président sortant prononcera son discours d’adieu mardi. Il lui restera ensuite dix jours pour consolider son bilan, et notamment quatre grands dossiers que Trump tentera de détricoter dès son investiture.
Si comme la plupart de ses prédécesseurs, Barack Obama rédige un jour ses mémoires de président, on saura peut-être quels sentiments l’ont traversé dans la nuit du 8 novembre, à l’annonce de la victoire de Donald Trump. On apprendra peut-être également si les sourires de façade affichés deux jours plus tard, lorsque le 44e président des Etats-Unis a reçu dans le Bureau ovale son déroutant successeur, cachaient de la stupeur, de l’inquiétude ou de la colère.

Pour l’heure, et alors que l’ancien sénateur de l’Illinois prononcera mardi soir son discours d’adieu dans le fief de Chicago, son état d’esprit demeure un mystère. Ces deux derniers mois, Barack Obama a certes multiplié les interviews au long cours. Mais sans jamais fendre l’armure. Le choix de ses interlocuteurs témoigne d’ailleurs d’une volonté de ne pas quitter sa zone de confort. Le Président s’est essentiellement confié à des fidèles : l’intellectuel et écrivain afro-américain Ta-Nehisi Coates, le stratège de ses deux campagnes David Axelrod, ou l’un de ses biographes et rédacteur en chef du New Yorker, David Remnick.

A en croire ces entretiens et les témoignages (souvent anonymes) de membres de son entourage, Barack Obama a réagi calmement à la victoire de Donald Trump, un homme qu’il avait pourtant jugé «inapte» lors de la campagne. Le matin suivant l’élection, raconte David Remnick, Obama convoque son équipe dans le Bureau ovale. Il règne une ambiance de «salon funéraire», confie un conseiller. Mais face aux mines défaites et aux yeux rougis, le Président se veut réconfortant. «Ce n’est pas l’apocalypse», dit-il avant de se lancer, sur le ton professoral qu’il affectionne, dans une leçon sur la démocratie et les «zigzags» qu’elle emprunte parfois.

Barack Obama n’avait pas anticipé la victoire de Trump. «Je suis surpris, comme tout le monde», dit-il à Ta-Nehisi Coates une dizaine de jours après le scrutin. Surpris, mais confiant dans la solidité de la démocratie américaine : voilà le visage qu’Obama cherche à offrir au monde, à ses concitoyens et à ses proches. Comment a-t-il parlé du résultat de l’élection à ses deux filles, lui demande par exemple David Remnick ? «Je leur ai dit que les gens, les sociétés et les cultures sont compliqués. Ce ne sont pas des mathématiques, ce sont de la biologie et de la chimie. Ce sont des organismes vivants, et c’est compliqué», répond le Président.

Ce tempérament analytique et cette distance émotionnelle sont des traits majeurs du style Obama. Derrière cet apparent détachement, difficile toutefois d’imaginer que Barack Obama n’est pas en pleine ébullition. Pour lui, la victoire de Donald Trump sonne en effet comme une double claque. Personnelle d’abord, car le magnat de l’immobilier a lancé sa carrière politique en incarnant le mouvement des «birthers», qui remettent en question la nationalité américaine d’Obama. Politique ensuite, tant Trump semble déterminé à détricoter les mesures emblématiques de son prédécesseur. «Barack Obama était certain que Hillary Clinton allait gagner et que son héritage serait gravé dans le marbre. L’élection de Donald Trump change absolument tout, estime Cody Foster, historien à l’université du Kentucky. La nuit de l’élection, en l’espace de quelques minutes, il comprend que tout ce qu’il a fait ces huit dernières années est désormais menacé, les mesures en matière d’immigration, sa réforme de la santé [lire page 5] … Son héritage est menacé.»

Sonné, Barack Obama plaide toutefois pour une transition en douceur. Deux jours après l’élection, il reçoit longuement le milliardaire à la Maison Blanche. «Ma première priorité au cours des deux prochains mois sera de faciliter la transition afin de garantir la réussite de notre président élu», lâche-t-il devant les caméras. En 2008, rappelle-t-il, l’administration Bush avait tout fait pour faciliter la passation de pouvoir. Le président démocrate demande à ses équipes d’en faire autant et de se montrer «courtois» avec l’entourage de Donald Trump.

Entre les deux hommes aux priorités politiques et aux tempéraments radicalement opposés, le ton se durcit pourtant autour de Noël. Arrivé au crépuscule de sa présidence, Barack Obama a visiblement décidé d’utiliser tous les outils à sa disposition pour protéger son héritage politique et mettre quelques bâtons dans les roues de son successeur. «Il demeure président jusqu’à midi le 20 janvier. S’il le souhaite, il peut prendre des décisions le matin même», rappelle Elaine Kamarck, politologue à la Brookings Institution. Tour d’horizon des initiatives de dernière minute prises par le président sortant, au grand dam de Donald Trump.

1/Conforter son bilan environnemental

Donald Trump n’est «pas un idéologue» mais un «pragmatique», déclare Barack Obama quelques jours après son élection. Sur le dossier du climat, par exemple, le futur président a soufflé le chaud et le froid, promettant pendant la campagne de retirer les Etats-Unis de l’accord de Paris avant de se dire «ouvert» sur le sujet. Ses nominations augurent toutefois d’une administration très pro-énergies fossiles, à l’instar d’un Rex Tillerson, ancien PDG d’ExxonMobil et futur secrétaire d’Etat, ou d’un Scott Pruitt, fervent opposant aux mesures antipollution adoptées par Obama et futur directeur de l’Agence de protection de l’environnement (EPA). Dans ce contexte, Barack Obama décrète le 20 décembre une interdiction permanente de tout nouveau forage gazier ou pétrolier dans la quasi-totalité des eaux américaines de l’océan Arctique. Il sanctuarise aussi une vaste zone de l’Atlantique, abritant des coraux, de la Virginie au Maine. Pour cela, il utilise une loi de 1953 qui donne au président américain le pouvoir de protéger les eaux fédérales de toute recherche d’hydrocarbures. Cette loi ne prévoit pas de retour en arrière. Et si Donald Trump cherchait malgré tout à annuler la décision d’Obama, les groupes de protection de l’environnement ne manqueraient pas de saisir les tribunaux. La procédure pourrait ainsi prendre des années.

Suivant la même logique, Barack Obama élève fin décembre deux sites naturels de l’Utah et du Nevada au rang de «monuments nationaux», soit 650 000 hectares de terres désormais exclues des zones potentielles de forage. Au cours de son mandat, Barack Obama a protégé plus de 224 millions d’hectares de terres et d’espaces marins, plus que tout autre président américain.

2/Insister sur la Russie

Les services de renseignement américains ont acquis la certitude que Vladimir Poutine a ordonné une «campagne» de piratage et de propagande visant à discréditer Hillary Clinton et à favoriser l’élection de Donald Trump. Ces dernières semaines, Barack Obama s’est assuré que ce sujet délicat occupe le devant de la scène médiatique. Le 29 décembre, la Maison Blanche annonce une série de sanctions contre la Russie, dont l’expulsion de 35 agents des services de renseignement russes. En fin de semaine dernière, Barack Obama a en outre autorisé - fait rare - la publication d’un rapport déclassifié du renseignement américain sur ce dossier (lire encadré page 4). Une manière pour le président sortant d’embarrasser Donald Trump, qui ne cache pas sa volonté de rapprochement avec Poutine. Au passage, l’actuel locataire de la Maison Blanche met l’accent sur les divisions au sein du camp républicain, entre des élus préoccupés par l’ingérence de Moscou et une future administration Trump qui fait les yeux doux au Kremlin. Selon Elaine Kamarck, de la Brookings Institution, Barack Obama pourrait profiter de son discours d’adieu, mardi à Chicago, pour «mettre en garde les Américains contre le rôle de la Russie et la vulnérabilité de notre démocratie».

3/Dénoncer les colonies israéliennes

Le 23 décembre, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution qui demande à Israël d’arrêter «immédiatement et complètement» toutes ses activités de colonisation dans les territoires palestiniens occupés. Le texte est historique : à cause du veto systématique de Washington, le Conseil n’avait pas condamné la colonisation israélienne depuis 1979. Baroud d’honneur pour les uns, insulte à Tel-Aviv pour les autres, le choix d’Obama de s’abstenir marque le point culminant de sa relation exécrable avec le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. Donald Trump promet que «les choses changeront après le 20 janvier». Cela ne fait guère de doute : son futur ambassadeur en Israël, David Friedman, est un fervent partisan de la colonisation et s’oppose à un Etat palestinien.

4/Protéger les musulmans

Le même jour que l’adoption de la résolution onusienne, l’administration Obama annonce le démantèlement d’un programme mis en place au cours des années Bush pour surveiller principalement les hommes arabes et musulmans. Dormant depuis 2011, ce registre baptisé NSEERS a permis aux services de renseignement américains de ficher plus de 80 000 individus. Il aurait pu servir à établir un registre des musulmans vivant aux Etats-Unis, une possibilité évoquée par Trump au cours de la campagne. «Nous n’allons pas avoir de registre basé sur la religion», a certes déclaré fin novembre le futur chef de cabinet de Donald Trump. Compte tenu de la volatilité du milliardaire, la Maison Blanche a visiblement préféré ne prendre aucun risque

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