Pourquoi la Turquie est devenue une cible privilégiée du terrorisme? -l`Express

  03 Janvier 2017    Lu: 1153
Pourquoi la Turquie est devenue une cible privilégiée du terrorisme? -l`Express
Avant même l`attentat qui a fait 39 morts dans une discothèque d`Istanbul le 1er janvier, les attaques terroristes attribués à l`EI ou à des groupuscules kurdes avaient explosé en 2016 en Turquie. Retour sur un engrenage tragique.

L`année 2017 a commencé comme l`année 2016 s`était achevée en Turquie, avec l`assaut contre la discothèque Reina, le 1er janvier, à Istanbul, et ses 39 morts. La Turquie est désormais l`une des nations les plus meurtries par le terrorisme, qu`il soit le fait du groupe Etat islamique (EI) ou des Faucons de la liberté (TAK), un groupuscule kurde proche du PKK.

Au total, 22 attentats ont été commis sur le sol turc en 2016, faisant au moins 360 victimes.

L`EI contre les Kurdes

Le cycle de la violence s`ouvre à l`été 2015, à l`encontre de militants kurdes, à Suruc notamment, près de la frontière syrienne, où l`attaque fait 33 morts. Elle est attribuée à l`EI, mais n`est pas revendiquée.

A l`instar de l`attentat de la gare d`Ankara, dont le bilan est de 103 morts en octobre de la même année, il s`agit de représailles contre les activistes kurdes de Turquie, qui ont soutenu l`offensive contre l`organisation djihadiste dans le nord de la Syrie, à Kobané.

La Turquie durcit le ton

En janvier 2016, l`EI élargit la mire. Il s`attaque d`abord à des touristes allemands, dans le quartier historique de Sultanahmet, à Istanbul.

On y voit une mesure de rétorsion de l`EI au durcissement de la Turquie à son égard: jusque-là, Ankara a soutenu la rébellion syrienne en lutte contre le régime de Bachar el-Assad et s`est montrée peu regardante sur la composition des groupes qui ont transformée la Turquie en base arrière.

Mais, après l`attentat de Suruç, Ankara a autorisé les Etats-Unis à utiliser la base militaire d`Incirlik pour lutter contre Daech. Le pouvoir turc commence aussi, sous la pression de ses alliés, à traquer les réseaux installés sur son sol et verrouille ses frontières, des passoires pour les djihadistes.

Suivent plusieurs attaques attribuées à l`EI, mais toujours pas revendiquées, dont celle contre l`aéroport d`Istanbul, qui fait 44 morts, en juin.

Pourquoi l`EI ne revendique rien

Pour Daech, "il s`agit sans doute de mettre la pression sur Erdogan, sans lui déclarer une guerre totale, décrypte pour l`Express Romain Caillet, spécialiste de la mouvance djihadiste. Et dans le cas de l`aéroport d`Istanbul, l`organisation n`assume probablement pas la cible choisie, alors que presque toutes les victimes étaient des musulmans" - l`un des plus grands du monde musulman, l`aéroport Atatürk est très fréquenté par les pèlerins.

"Les choses changent, estime le chercheur, avec l`entrée directe de la Turquie en guerre contre l`EI, dans le cadre de l`opération Bouclier de l`Euphrate, déclenchée en août 2016 dans le nord de la Syrie, concomitante du rapprochement avec la Russie, alliée du régime d`Assad."

L`abandon d`Alep

"Depuis 2011, rappelle le politologue Jean Marcou, spécialiste de la Turquie, Erdogan se targue d`être le défenseur des sunnites. Il a régulièrement dénoncé les crimes du régime d`Assad contre les Syriens. Mais Ankara a été particulièrement silencieux pendant les derniers mois de l`offensive russo-syrienne sur Alep-Est."

Ce silence, sur le sort des quartiers aux mains de la rébellion, "est considéré comme un abandon d`Alep par Ankara", estime Romain Caillet. Et le revirement de la diplomatie turque est radical. Ces derniers jours, l`armée turque a même reçu l`appui de l`aviation russe pour bombarder l`EI dans la région d`Al-Bab en Syrie.



C`est dans ce contexte que l`EI revendique, pour la première fois, un attentat sur le sol turc, contre des forces de police à Diaybakir, début novembre. La volte-face diplomatique d`Ankara explique également, sans doute, l`appel explicite du nouveau porte-parole de l`EI à ses partisans, début décembre, à cibler la Turquie.

En marge de l`offensive turque contre la ville d`Al-Bab, l`EI met en scène l`immolation de deux soldats turcs capturés sur le sol syrien.

Une discothèque pour cible

Ce 1er janvier, déclencher un bain de sang dans une discothèque, en pleine période de fêtes chrétiennes n`est pas anodin. "Contrairement à l`attaque contre l`aéroport Atatürk, relève Romain Caillet, l`EI n`a aucune difficulté à justifier auprès de sa base des attaques anti-chiites, dirigées contre des lieux fréquentés par des Occidentaux ou assimilés à des sites de débauche, quand bien même la plupart des victimes sont des musulmans."

La revendication de cet attentat laisse aussi supposer, selon Wassim Nasr, autre connaisseur du phénomène djihadiste, qu`il a été directement commandité, et pas seulement inspiré, par le groupe Etat Islamique. Ce serait une première et un nouveau cap, et pourrait laisser présager une recrudescence terroriste en Turquie.

Les Faucons de la liberté attaquent

Les violences attribuées à des groupes terroristes kurdes, également à la hausse, sont corrélées aux attentats de l`EI. "Deux jours après l`attaque de Suruç, analyse Jean Marcou, le PKK remet en cause le processus de paix. Il accuse le gouvernement turc de négligence envers la population kurde et reprend ses attaques contre les forces de l`ordre dans l`est du pays".

La réaction brutale du pouvoir turc contre les régions à majorité kurde de l`Est du pays enclenche un engrenage insurrectionnel et excite notamment les "Faucons de la liberté" (TAK), l`un des groupes kurdes les plus actifs.

Leurs cibles sont principalement des soldats ou des policiers, mais les victimes civiles collatérales sont nombreuses. "Le degré de connexion entre le PKK et les TAK, ou même le PYD (mouvement kurde syrien lié au PKK), est difficile à déterminer", reconnaît Jean Marcou. Mais jusqu`en 2010, les opérations des TAK, un groupuscule dissident apparu en 2003, étaient bien moins sophistiquées .

Depuis un an, elles sont beaucoup plus meurtrières (44 morts lors d`un double attentat près d`un stade de football du club du Besiktas d`Istanbul) et visent des lieux symboliques, ce qui laisse supposer qu`elles bénéficient d`un soutien plus conséquent que celui de cette seule petite organisation.

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