Mario Draghi prêt à faire "ce qu`il doit" et à le faire vite

  20 Novembre 2015    Lu: 628
Mario Draghi prêt à faire "ce qu`il doit" et à le faire vite
Le président de la BCE a tenu vendredi 20 novembre un discours musclé où il a reconnu l`insuffisance de la croissance et de l`inflation en zone euro. Une action forte le 3 décembre de la BCE semble désormais inévitable.
Mario Draghi n`a pratiquement laissé aucun doute ce vendredi 20 novembre lors d`un discours devant le congrès bancaire européen à Francfort : lors de la prochaine réunion de politique monétaire, le 3 décembre prochain, la BCE musclera davantage sa politique d`assouplissement monétaire. Le président de la Banque centrale a prévenu que « tout l`éventail des instruments disponibles » serait, dans ce cas, étudié.

Trois raisons d`intervenir

Mario Draghi, après avoir tiré un bilan flatteur des premiers mois de sa politique de rachats d`actifs publics (aussi connu sous le nom de QE), a cependant reconnu que l`objectif était loin d`être atteint. « Le retour sur le chemin de la croissance réelle ne s`est pas encore reflété sur le chemin de l`inflation qui reste encore bien en deçà de notre objectif », a indiqué le président de la BCE. Il voit, de surcroît, trois raisons d`intervenir.

La première est le risque lié à l`affaiblissement de la dynamique mondiale. « La croissance mondiale cette année sera la plus faible depuis 2009 », souligne Mario Draghi. Deuxième raison : la faiblesse de la reprise européenne. Depuis la fin de la récession en 2013, la croissance trimestrielle de la zone euro n`a pas dépassé 0,4 %. Au troisième trimestre 2015, elle était encore de 0,3 %. Troisième raison : la reprise est historiquement trop lente au regard des dernières expériences de récession. Ces trois éléments sont largement connus, mais jamais sans doute Mario Draghi ne les avait présentés avec autant de clarté.

Un changement de ton et de cap?

Cette évolution est d`autant plus remarquable que le président de la BCE ne se contente pas de tirer la sonnette d`alarme sur l`inflation elle-même, il s`inquiète de l`inflation sous-jacente, alors que plusieurs observateurs se voulaient rassurant sur cette mesure qui, en octobre, est passée au-dessus des 1 % (à 1,1 %) pour la première fois depuis deux ans. Ce niveau est clairement encore trop faible pour Mario Draghi qui estime désormais qu`il faut agir sur l`inflation dans les services afin de faire repartir la croissance du salaire nominal, seule façon réelle de dynamiser les perspectives d`inflation. Ce message est très fort et il annule le discours habituel qui venait relativiser la faiblesse de l`inflation en raison de la baisse du prix de l`énergie. Cette fois, Mario Draghi explique que la remontée du taux « normal » lié à un effet de base du prix des matières première ne lui suffira pas. Autrement dit, il modifie légèrement dans les faits la « boussole » de la BCE. Jean-Claude Trichet avait l`habitude de dire que la BCE n`avait « qu`une aiguille à sa boussole » : les fameux 2 %. Mario Draghi se veut plus fin et l`inflation sous-jacente devient un élément clé de cette boussole, ainsi que la croissance des salaires.

Les moyens d`action

Face à cette situation, Mario Draghi a promis que le conseil des gouverneurs de la BCE allait « évaluer en détail la force et la persistance des facteurs qui ralentissent le retour à une inflation de 2 %. » Et d`ajouter qu`elle « fera ce qu`elle doit rapidement » pour remplir sa mission. Deux actions ont été évoquées : « ajuster » le QE « en taille, dans sa composition et dans sa durée » et réduire le taux de dépôt de la BCE, déjà négatif à -0,2 % « pour augmenter la vélocité de la circulation des réserves bancaires. » Ces propos ne laissent donc aucun doute sur la volonté d`action du président de la BCE. Ils tranchent singulièrement avec ceux du président de la Bundesbank, Jens Weidmann, qui a indiqué ce même vendredi 20 novembre à la même réunion qu`il « n`y a aucune raison de peindre en noir la situation économique. » Mais, désormais, Mario Draghi sait comment gérer l`opposition de la Bundesbank : préparer les marchés pour rendre le mouvement voulu inévitable, sauf à provoquer une correction violente.

Les limites de l`action sur le QE

Reste à savoir si Mario Draghi agira sur les tableaux, ou sur un des deux le 3 décembre. L`allongement de 6 mois du QE est fort probable, ce qui en renforcera la taille mécaniquement. Y aura-t-il de surcroît une augmentation du rythme de rachat actuellement fixé à 60 milliards d`euros ? C`est possible, mais les titres à racheter pourraient être de plus en plus rares. Faudra-t-il alors élargir les titres rachetés, notamment au secteur privé ? Oui, mais la « neutralité » du marché risque de devenir illusoire et, surtout, ce marché des obligations privées ne concerne guère les PME. Le QE est un outil utile, mais c`est un outil incomplet et qui ne peut régler tous les problèmes. Sans perspectives d`investissement, son effet est nécessairement faible.

Réduire encore le taux de dépôt

Quant à la baisse du taux de dépôts, il semble que la BCE soit désormais convaincue qu`elle peut aller plus loin que le niveau actuel. L`expérience danoise et suisse, où ce taux est à - 0,75 % sans provoquer d`effets secondaires négatifs l`a sans doute convaincue. Mais plus on s`enfonce en terrain négatif, plus on prend de risques. Il en existe au moins deux : les taux négatifs vont peser sur un secteur financier déjà peu vaillant et, si les banques « reportent » sur l`épargne ces taux négatifs, il y a un danger que les agents économiques préfèrent in fine l`argent liquide aux dépôts bancaires.

Il faut donc avancer avec prudence, mais la BCE estime qu`une nouvelle baisse du taux de dépôts encouragera les banques à prêter davantage pour ne pas conserver des réserves qui seront « taxées » plus fortement. Au 13 novembre, 188 milliards d`euros étaient déposées encore par les banques auprès de la BCE au titre de la facilité de dépôt. Francfort peut donc penser qu`il faut décourager les établissements à conserver ces dépôts. Mais attention : même si les banques réduisent ces dépôts, cet argent n`ira pas immédiatement, entièrement et nécessairement dans l`économie réelle.

Reste que ces deux mesures auront un impact sur le taux de change, au moment même où la Fed semble se préparer à remonter ses taux. L`euro devrait baisser, mais la baisse précédente montre que l`impact du change, s`il n`est pas négligeable n`est ni suffisant, ni assez durable.

Compléter l`action de la BCE

Malgré sa détermination, Mario Draghi ne peut seul lutter contre les trois facteurs qu`il a identifiés. Il manque à la zone euro un mécanisme permettant de redonner des perspectives et de l`activité. La vision ricardienne un peu naïve considérant que la consolidation budgétaire redonnerait aux agents économiques la foi en l`avenir a ici été battue en brèche : le déficit public cumulé de la zone euro a beaucoup baissé, et la croissance ne connaît pas de rebond notable et suffisant. Les attentes de croissance moyenne sur 5 ans des économistes pour la zone euro ne sont que de 1,4 % !

Il convient à présent d`agir plus directement, sinon la BCE restera dans le labyrinthe. C`est ce qu`a reconnu lundi 16 novembre le vice-président de la BCE Vitor Constancio qui a appelé à être plus souple dans la mise en place du pacte de stabilité et à relancer le plan d`investissement de Jean-Claude Juncker. Bref, la BCE, même si elle se montre naturellement prudente, ne s`en cache plus : le QE doit s`accompagner pour réussir d`une politique keynésienne de relance au niveau de la zone euro. On en est encore loin.

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