« L’Arménie ne respecte pas le droit international » notre entretien avec l’Ambassadeur d’Azerbaïdjan en France

  14 Octobre 2015    Lu: 1095
« L’Arménie ne respecte pas le droit international » notre entretien avec l’Ambassadeur d’Azerbaïdjan en France
C’est à deux pas de l’Arc de triomphe que nous reçoit Elchin Amirbayov, l’Ambassadeur de la République d’Azerbaïdjan en France. Arménie, Haut-Karabagh, soft power azéri, « croissant chiite », gaz et même France2…rythmeront notre interview.

C’est à deux pas de l’Arc de triomphe que nous reçoit Elchin Amirbayov, l’Ambassadeur de la République d’Azerbaïdjan en France. Arménie, Haut-Karabagh, soft power azéri, « croissant chiite », gaz et même France2…rythmeront notre interview.

Globale Diplomatie : Monsieur Amirbayov, avant de rentrer dans le vif du sujet, quel a été votre parcours avant d’être en poste ici à Paris ?

Elchin Amirbayov : Auparavant j’ai été Ambassadeur en Suisse à notre mission permanente à l’ONU. J’ai également servi deux fois à notre mission permanente à New York, et à celle de l’OTAN à Bruxelles. Et j’ai aussi servi au sein du Ministère des Affaires étrangères.

GB : Votre pays a organisé les Jeux Olympiques Européens en 2015, l’Eurovision, des compétitions internationales de lutte, de boxe…mais aussi des Azéris ont racheté le Racing Club de Lens et l’Athletico Madrid. Votre pays développe également le tourisme, et a construit un splendide pavillon à l’Exposition Universelle de Milan, votre modèle de soft power est-il celui du Qatar ?

EA : On utilise tous les moyens pour faire connaitre notre histoire, notre culture et promouvoir l’image de notre pays. Comme tous les pays du monde on fait du soft power. On développe aussi notre image car nous n’avons pas de diaspora et notre pays est assez sous médiatisé en France. On peut faire cette politique car notre économie se porte bien, le PIB augmente. On investit également ailleurs que dans les hydrocarbures pour être moins dépendant du gaz, comme en développant le tourisme, des technologies, et de l’agriculture. Cela nous permet de créer à l’avenir des projets d’acheminement des hydrocarbures notamment du gaz naturel de la mer Caspienne à l’Europe comme le gazoduc TANAP, car de nous dépend la sécurité énergétique de l’Europe.

En ce qui concerne notre politique de soft power, elle se base sur la fierté de notre identité, on est fière d’être un pays carrefour des civilisations, un pont entre la Turquie, la Russie et l’Asie Centrale, d’ailleurs nous étions sur la route de la soie, bref nous sommes fières d’être un pays où cohabite des juifs, des chrétiens et des musulmans. Vous savez avec tous les conflits ethniques ou religieux qu’il y a dans le monde on peut apparaitre comme un modèle de cohabitation.

Et puis si nous voulons faire parler de nous, c’est aussi pour sensibiliser le monde sur notre principal problème : le conflit avec l’Arménie et ses conséquences.
GB : Vous avez justement parlé de la mosaïque religieuse et ethnique en Azerbaïdjan, il y a dans votre pays 65% de musulmans chiites ismaéliens, et vous êtes frontaliers avec l’Iran par deux fois. L’Iran se veut « la » puissance chiite même s’ils sont duodécimains. Le roi Abdallah II de Jordanie parle de « croissant chiite » pour désigner un impérialisme iranien, en faites-vous parti ou récusez-vous cette expression ?

EA : D’abord il faut souligner que nous sommes une république laïque. Donc chez nous la religion n’est pas liée à l’État contrairement à l’Iran. Sur vos chiffres vous avez raison, mais on veut avoir entre les religions une harmonie. Sur les propos du roi je n’ai pas de commentaires à faire.

GB : Alors, vous êtes voisin de l’Iran mais aussi de la Russie par le Daghestan. Aujourd’hui la Russie mène en partie une guerre préventive en Syrie pour neutraliser des djihadistes Russes qui pourraient à l’avenir commettre des attentats en Russie. Pays caucasien, laïque et majoritairement chiite, n’avez-vous pas peur d’attentats à l’avenir ?

EA : Vous savez il n’y a pas un seul pays épargné par le terrorisme aujourd’hui. Par ailleurs nos voisins font que notre région n’est pas dans une situation facile. Nous n’ignorons pas les menaces et il faut savoir que nous avons participé techniquement, et autorisé le survol de notre espace aérien pour le conflit afghan, irakien, et nous avions envoyé des hommes au Kosovo. Sur les djihadistes étrangers en Syrie c’est aussi un problème pour nous.

GB : Pour revenir à vos propos précédents, vous avez dit qu’il fallait faire connaitre votre pays pour ne pas enterrer le conflit du Haut-Karabagh. Il y a via la médiation de la Russie depuis mai 1994 un cessez-le-feu. La République du Haut-Karabagh est un État fantoche, cette région est peuplée majoritairement d’Arméniens. L’Arménie vante le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’Azerbaïdjan l’intégrité territoriale, comment trouver un compromis entre ces deux principes légaux et légitimes, et ce conflit gelé est-il donc soluble ?

Haut-Karabakh : D’abord, faisons un peu d’histoire. Ce conflit débute dans les années 1980, quand l’Union Soviétique était encore là, et on peut faire d’ailleurs le parallèle avec les conflits en Transnistrie et en Abkhazie. Nous avons au début des années 1990 été agressés par les forces armées de l’Arménie soutenus par la Russie. La phase active de ce conflit a été stoppée en 1994, mais ce n’est pas un conflit gelé, car il y a régulièrement des morts sur la ligne de contact entre les forces armées. Quand on regarde la carte, l’Arménie contrôle depuis 1991 le Haut Karabagh et la région entre le Haut Karabagh et leur frontière pour créer une continuité terrestre. Il y a eu dans ce territoire un véritable nettoyage ethnique des Arméniens contre les Azéris, ils rasent les traces des Azéris, les mosquées sont détruites, ils pratiquent donc une colonisation de peuplement. Leur stratégie est de changer la démographie de cette région pour mettre la communauté internationale devant le fait accompli, car l’Arménie ne joue pas le jeu dans les négociations.

Mais le droit international avec l’inviolabilité des frontières est avec nous, et de plus le décalogue d’Helsinki de 1975 donne la primauté de l’inviolabilité des frontières sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il y a des médiateurs aujourd’hui avec le groupe de Minsk (Russie, États-Unis, France) pour trouver un compromis entre notre souveraineté territoriale et une autonomie des Arméniens de ce territoire.

Mais il faut savoir qu’en 2015 un pays en Europe occupe un autre, et ce conflit est sous médiatisé. Il faut vraiment régler ce dossier car il empoissonne la stabilité dans le Caucase du sud.

GB : Pour finir, sur l’image de l’Azerbaïdjan, en France nous avons des liens culturels, linguistiques, sociaux et historiques avec l’Arménie, votre tâche n’est-elle donc pas vouée à l’échec ? Et parallèlement, en septembre dernier la chaine France 2 par son documentaire « Cash Investigation » a vivement critiqué votre pays et notamment la forme de gouverner le pays d’Ilham Aliyev, quelle est votre réaction ?

EA : Oui nous sommes conscients que la diaspora arménienne en France est nombreuse et forte. Sur le conflit du Haut Karabakh son action nuit à la diplomatie, car ils sont plus royalistes que le roi, et donc plus vindicatifs que l’Arménie elle-même. J’aimerais que leur action soit plus positive, surtout venant de personnes ayant comme ancêtres des personnes qui savent ce qu’est un nettoyage ethnique. Cette nuisance rend la cohabitation difficile entre les Azéris et les Arméniens, alors que dans l’histoire on a cohabité longtemps ensemble. Mais sans parler de l’image, sur ce conflit je salue le travail de la diplomatie française et des Présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande France est un pays ami pour nous. Mais il faut dire qu’il y a aussi certains élus en France qui font de l’électoralisme avec la diaspora arménienne, et commettent parfois des choses contraires à la position françaises et aux intérêts français. Par exemple, le Député Bruno Le Roux qui préside le groupe socialiste à l’Assemblé Nationale s’est rendu en Arménie et dans le Haut Karabagh, alors qu’il avait critiqué la visite de certains parlementaires Français en Crimée.

Enfin, en ce qui concerne France 2, nous avons porté plainte contre les journalistes en question, trop de contre-vérités ont été dites dans cette émission assez médiocre et trop dans le sensationnel. Dès le début du documentaire le seul but des journalistes était de dénigrer mon pays. De plus, il est faux de dire que notre pays est une des dirigeants autoritaires la plus féroce du monde alors qu’on a des partis politiques, des journaux, des chaines de télévision, un internet libre, une égalité des sexes et que nous sommes un pays laïque. Nous n’acceptons pas ces leçons de morale, et cet « Azerbaïdjan bashing » gratuit. Nous allons également nous porter en justice contre le Député et membre du groupe d’amitié France-Arménie François Rochebloine qui a qualifié notre pays d’État terroriste.

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