La réforme de l`islam, une "démarche post-coloniale" de l`Etat français

  11 Août 2016    Lu: 450
La réforme de l`islam, une "démarche post-coloniale" de l`Etat français
Le gouvernement français multiplie les appels à une "réforme" de l`islam, cette "ingérence"dans les affaires du culte musulman de la part d`un Etat laïc, n`est-elle pas un signe de la "méfiance" du gouvernement à l`égard des musulmans ?

Le gouvernement français multiplie les appels pour une "réforme" de l`islam depuis l`attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray(26 juillet), notamment par la création d`une fondation de l`islam de France, de même que les hommes politiques, de gauche comme de droite, réclament des mesures à l`encontre du "communautarisme islamiste".

Les musulmans, qui doivent logiquement être les premiers interlocuteurs du sujet, sont pourtant les grands absents du débat sur l`islam de France, du moins dans les médias et plus encore sur la scène politique. Ils cachent désormais de moins en moins leur désillusion quant à la volonté de l`exécutif de réformer et de contrôler l`islam, y voyant plutôt une "entrave au principe de la laïcité", une "démarche post-coloniale" ou encore une "déclaration de guerre institutionnelle".

Le débat sur la réforme de l`islam, longuement discuté sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a curieusement resurgi après l`attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, réclamant entre autres, le rétablissement de la "Fondation des oeuvres de l`islam de France" ou encore un "pacte" avec la deuxième religion de France.

Le Premier ministre Manuel Valls a été parmi les plus ardents défenseurs de cette réforme, au lendemain de l`attentat du 26 juillet, affirmant dans le Journal du dimanche qu`il voulait "reconstruire l`islam de France". La tête de l`exécutif est allée encore plus loin dans son interview à Libération, estimant que les musulmans doivent "se sentir concernés et prendre leurs responsabilités".

Exigeant par ailleurs une interdiction du financement étranger des mosquées, Valls a également soutenu que "l`Etat et la puissance publique ont un rôle essentiel à jouer" sur l`organisation de l`islam de France.

Quelques jours après Valls, c`était au tour de Bernard Cazeneuve, ministre de l`Intérieur, d`exprimer sa volonté de réformer l`islam, notamment lors d`une rencontre avec le Conseil français du culte musulman (CFCM). Il a annoncé à cet effet le rétablissement de la "fondation de l`islam de France", abandonnée peu après sa création en 2005. La fondation serait confiée, comme a laissé entendre le président François Hollande mardi dernier, à Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l`Intérieur et non pas à un membre du CFCM ou encore à une figure prééminente de la communauté musulmane en France.

- L`intérêt du gouvernement pour l`islam, une tactique de "diversion"

Pour Yasser Louati, militant des droits de l`homme et ancien porte-parole du Collectif contre l`islamophobie en France (CCIF), c`est surtout le "timing" de ce projet de réforme, apparaissant au lendemain de l`attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, qui devrait susciter l`intérêt. Il s`agit notamment d`un outil qui permettra de "créer la diversion dans l`opinion publique, afin de ne pas poser de questions sur l`échec du gouvernement en matière de sécurité ou sur l`état d`urgence", estime-t-il dans son commentaire pour Anadolu.

Le deuxième problème dans ce timing, d`après Louati, est l`établissement d`un lien automatique entre attentat terroriste et religion musulmane, alors que l`on devrait plutôt s`attaquer à la problématique de "défaillance sécuritaire", et "défaillance de l`Etat qui ne finance plus les hôpitaux psychiatriques et qui laisse des hommes en liberté alors qu`ils sont un danger pour le public"

- Une initiative évocatrice de l`ère coloniale

Cette nouvelle fondation de l`islam est "vouée à l`échec", assène encore l`activiste: "On a beau réformer autant qu`on veut, tant qu`on refuse l`autonomie du culte musulman, cela ne sera qu`une démarche post-coloniale, de mise sous tutelle de la religion musulmane", note ainsi Louati.

Et de poursuivre: "On continuera à leur [musulmans] imposer des responsables religieux, à faire venir des imams de l`étranger et lorsque cela ne marchera pas on demandera des comptes aux musulmans".

Abordant à cet égard la désignation potentielle de Chevènement à la direction de cette fondation, Louati déplore que l`on n`ait non seulement pas demandé l`avis des musulmans, mais que l`on "recycle" des personnalités qui "sont sur la scène politique depuis 40 ans".

"C`est encore un petit club des élites françaises qui se passent la balle pour partager les différentes positions du pouvoir. Pourquoi ne pas demander aux musulmans qui est-ce qu`ils aimeraient voir diriger cette association?", s`interroge-t-il.

Ce type "de décision imposée" n`est pas sans rappeler les politiques de l`ère coloniale", fait encore remarquer Louati. Il rappelle par ailleurs qu`au début du 20e siècle, encore sous l`époque coloniale, le Cheikh Ibrahimi et l`homme d`Etat Ferhat Abbas étaient partis de l`Algérie vers Paris pour demander l`application de la laïcité en Algérie française mais que l`Etat français l`avait refusé pour ne pas autoriser un libre exercice du culte musulman dans ce pays.

- "L`Etat français ne veut pas de musulmans autonomes et indépendants"

L`absence des musulmans dans l`initiative, à l`exception du CFCM, qui est lui-même une émanation du gouvernement, montre, selon Louati, la "méfiance vis-à-vis des musulmans" au sein de l`Etat.

"L`Etat français ne veut pas de musulmans autonomes et indépendants. Comment se fait-il qu`on a des musulmans imposés par l`Etat depuis 30 ans, qui parlent à la place des musulmans et à qui on ne demande pas des comptes sur leur bilan de 30 ans?", s`exclame l`activiste.

Le gouvernement veut garder l`islam "sous la tutelle de l`Etat", explique Louati, donnant l`exemple des maires "qui s`immiscent dans la nomination des imams" ou encore dans "la gestion des mosquées locales".

Le militant des droits de l`homme déplore notamment une violation du principe de la laïcité, "devenue une supercherie à des fins idéologiques". "Si nous sommes vraiment dans un Etat laïc, celui-ci n`a pas à s`immiscer dans les affaires du culte musulman. On n`a pas reformé le culte catholique après les affaires de pédophilie. La nouvelle laïcité, utilisée par les gouvernements de gauche comme de droite, ne sert qu`à dominer et exclure les musulmans", ajoute-t-il.

- Des critiques au sein même de la classe politique contre la réforme gouvernementale de l`islam

La création d`une nouvelle fondation de l`islam et la nomination de Chevènement à sa tête en particulier, sont loin de faire l`unanimité chez les hommes politiques et au sein du gouvernement. Même Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l`Enfance et des Droits des femmes, qui avait pourtant suscité l`ire de la communauté musulmane avec ses commentaires sur le voile, a regretté que l`ancien ministre de l`Intérieur soit pressenti à ce poste, estimant qu`il faut "quelqu`un de culture musulmane avec une connaissance de toute sa subtilité".

La sénatrice de l`Orne, Nathalie Goulet (Union des démocrates et indépendants) a renchéri pour sa part, s`interrogeant sur Twitter, "Il n`y a pas de français de confession musulmane à la hauteur ?"

Le maire de Tourcoing, Gérald Darmanin, a estimé de son côté que la nouvelle fondation de l`islam ne pourrait fonctionner qu`"à la condition de laisser les musulmans la gérer eux-mêmes".

"L`idée du président de la République de le [Chevènement] nommer à la tête de cette fondation est une idée pour le moins paternaliste, presque coloniale", a affirmé le maire dans son interview au Journal du dimanche.

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