Le sexe au fil des siècles: "Les Romains ont inventé le couple puritain"

  17 Juillet 2016    Lu: 3122
Le sexe au fil des siècles: "Les Romains ont inventé le couple puritain"
par Said Musayev
Il y avait trois horreurs suprêmes pour un Romain: "coucher avec sa sœur, coucher avec une vestale et se faire sodomiser", énumère l`historien Paul Veyne. Entretien.

Petit, Paul Veyne avait une passion, il recherchait les monnaies antiques. Un jour, sur un site dans le Midi, il fit la promesse au Bon Dieu de cesser d`embrasser sa belle du moment si sa pêche était fructueuse. Elle le fut: il mit la main sur une superbe pièce du IIe siècle avant Jésus-Christ. Mais, comme il ne croyait pas en Dieu, il a continué d`embrasser sa dulcinée... Les Romains ont toujours eu aux yeux de Paul Veyne, une double qualité: ils n`étaient pas trop loin de chez lui et ils n`étaient pas chrétiens. Il en deviendra l`un des meilleurs spécialistes. Professeur honoraire au Collège de France, il a travaillé avec Michel Foucault et écrit un grand nombre d`ouvrages.

On ne peut trouver plus belle image du couple antique que ces deux époux romains, peints sur un mur de Pompéi, nous regardant encore avec leur sourire mystérieux. Faut-il y voir de la dissimulation, de la sérénité? L`amour est-il de la partie?

Paul Veyne: Ce sont deux riches Romains présentés dans une attitude que l`on a voulue naturelle. Ils sont mariés, car la femme tient des tablettes et un stylet, ce qui indique qu`elle sait lire, qu`elle est cultivée, distinguée, et qu`on tient à le montrer. A cette époque-là, seules les femmes mariées ont reçu une éducation libérale; les concubines sont illettrées. Voilà donc un couple modèle tel qu`on le conçoit dans le monde de l`aristocratie antique un siècle avant notre ère: deux personnes qui sont ensemble pour donner à la cité de bons citoyens qui perpétueront l`ordre social et la lignée.

Ils s`aiment?

Il s`agit non pas d`amour mais de mariage, ce qui est bien plus sérieux. Le mariage est un devoir de citoyen, et il est de bon ton que les époux s`entendent. Dans leur représentation sur les sarcophages, ils se tiennent toujours la main, comme pour suggérer une forme d`égalité. Une formule revient sans cesse dans les textes: "J`ai vécu vingt-cinq ans avec ma femme sine querela, sans avoir eu à me plaindre d`elle". Cela veut dire qu`elle était fidèle. Les moralistes sévères ajouteraient que le mari doit autant fidélité que la femme. Telle est du moins la morale officielle... Mais nos époux ne sont que deux subtils symboles, deux beaux mensonges...

L`image ne correspond donc pas à la réalité?

Le monde romain est celui de l`esclavage. L`épouse n`est qu`une "petite créature", comme le disait Michel Foucault des gens qu`il dédaignait. On la bat, à l`occasion. Si on la ménage, c`est à cause de sa dot ou de son noble père. L`épouse est là pour faire des enfants et arrondir le patrimoine. Elle n`est qu`un outil du métier de citoyen, un élément de la maison, comme le sont les fils, les affranchis, les clients et, en bas de l`échelle, les esclaves.

Sénèque l`écrit: "Si ton esclave, ton affranchi, ta femme ou ton client se met à répliquer, tu te mets en colère". Et il est admis que le maître... s`envoie toutes ses petites esclaves, et ses petits esclaves. Ils sont là pour cela! On en fait ce qu`on en veut. Garçons et filles. On dépucelle les jeunes filles. Ou l`on choisit les garçons: cela crée moins de difficultés. Mais, attention! Si l`on est marié et que l`on a des bâtards, personne ne doit dire que ces enfants-là sont du maître, bien que tout le monde le sache.

Comment se comportent ceux qui ne sont pas mariés?

Certains préfèrent l`union de second ordre avec une inférieure, une esclave que l`on a affranchie et avec qui on se met en "concubinat". C`est une option parfaitement reconnue. La différence, c`est que les enfants qui en résultent n`héritent pas. Si bien que la grande question est celle-ci: est-ce que j`en reste à mon harem d`esclaves, à mon affranchie favorite, ou est-ce que je me marie, en homme sérieux, pour donner à l`Etat des citoyens de plein droit? Sénèque décrit ainsi celui qui hésite: "Modo vult concubinam amare, modo mulierem" - il veut tantôt avoir une concubine, tantôt une femme; il n`arrive jamais à se décider. Le mariage est donc un acte civique, quasi militaire, les deux aspects étant confondus chez les Romains. Mais il est privé: on ne passe pas devant l`équivalent d`un maire ou d`un curé, on ne signe aucun contrat, sauf un engagement de dot, s`il y en a une. Quant à l`héritage, il est presque totalement libre. On divorce de la même manière: quand on en a envie.

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