Turquie : les trois questions que l`on se pose après le putsch raté

  17 Juillet 2016    Lu: 1614
Turquie : les trois questions que l`on se pose après le putsch raté
En l`absence d`appui populaire, le putsch organisé par une partie de l`armée a échoué et pourrait bien renforcer le pouvoir du Président, qui a reçu de nombreux soutiens.
Il a surmonté des manifestations antigouvernementales qui ont duré des mois en 2013. Il a échappé aux flammes qui ont emporté certains de ses ministres lors d`un scandale de corruption de la fin 2013, qui a touché son cercle intime. Et le président turc Recep Tayyip Erdogan a désormais survécu à un coup d`Etat militaire, un exploit dont beaucoup de ses prédécesseurs renversés par des coups d`Etat ne peuvent se vanter.

Personne, en Turquie, n`avait prévu ce qui est arrivé vendredi soir quand des soldats ont pris le contrôle des deux principaux ponts sur le Bosphore à Istanbul, et fait voler des avions de chasse à basse altitude au-dessus de la capitale, Ankara. Cependant, dans ce pays qui a connu trois coups d`Etat militaires, il y a toujours eu des lignes de faille qui ont pu conduire à cette tentative de putsch.

Quelles sont les raisons derrière ce coup ?

Tendance à l`autoritarisme. Ces dernières années, détracteurs de Recep Tayyip Erdogan, gouvernements étrangers et citoyens turcs ont fait part de leurs inquiétudes sur sa tendance grandissante à l`autoritarisme. Arrivé à la tête du gouvernement en 2003 sur les ruines d`une grave crise financière, le président est loué par ses partisans comme l`homme du miracle économique et des réformes qui ont libéré la majorité religieuse et conservatrice du pays du joug de l`élite laïque et des interventions politiques de l`armée. Mais depuis trois ans, il est aussi devenu la figure la plus critiquée de Turquie, dénoncé pour sa dérive autocratique et islamiste.

Un pouvoir inégalé. Le chef de l`Etat veut changer la Constitution turque actuelle, rédigée sous l`influence de la junte militaire qui avait pris le pouvoir en 1980. Cette réforme a essentiellement pour but de faire passer la Turquie d`un régime parlementaire à un régime de type présidentiel afin de concentrer tous les pouvoirs entre ses mains. Or, l`homme fort du pays possède déjà un pouvoir politique, économique et médiatique inégalé dans l`histoire moderne de la Turquie. Selon Aykan Erdemir, chercheur à la Fondation pour la défense des démocraties (FDD) à Washington, la peur au sein de l`armée de ce nouveau système est l`une des raisons de cette tentative de coup, ainsi que "le refus d`Erdogan d`être impartial".

Pourquoi le coup a échoué ?

Un groupe réduit au sein de l`armée. Selon Sinan Ulgen, directeur de l`Edam (centre de recherche basé à Istanbul), à la différence des précédents coups d`Etat, ce dernier n`était pas soutenu par l`ensemble de l`armée, mais mené par un groupe de militaires. "Cela a dépassé la chaîne de commandement : un groupe assez réduit au sein de l`armée, qui a même pris en otage" le chef d`état-major des armées, le général Hulusi Akar, a expliqué le chercheur. "Ce n`était pas une opération organisée par l`armée, et on l`a bien vu. Sans le soutien total de l`armée, ils ont manqué d`hommes et de compétences", poursuit cet expert. Selon le chercheur Aykan Erdemir, l`ère des coups d`Etat réussis - comme en 1960, 1971 et 1980 - est terminée, et l`opinion publique y est en majorité hostile.

Absence de soutien populaire. Cette fois-ci, le pays a fait preuve de plus de solidarité avec le régime civil en place. Les trois partis d`opposition au Parlement ont rapidement condamné la tentative de coup d`Etat. Les partis politiques n`ont pas "de très bons souvenirs" des précédents coups et de leurs expériences amères sous la férule des régimes militaires, note Aykan Erdemir. "Quand les gens ont réalisé qu`il (ce coup) n`avait pas le soutien de l`armée, cela a été plus facile pour eux d`être contre", explique Sinan Ulgen.

Des théories de la conspiration ont même fleuri sur Twitter avec le hashtag "#Darbedegiltiyatro" ("ceci n`est pas un coup, c`est du théâtre"). Cette tentative de coup, qui "semblait destinée à échouer", a soulevé des soupçons, juge ainsi Natalie Martin, conférencière spécialisée en relations politiques et internationales à l`Université de Nottingham Trent (Royaume-Uni).

Consensus ou répression ?

Vers davantage de démocratie ? Le président Erdogan, tacticien politique hors pair, verra sans doute dans ce putsch raté une occasion de resserrer son contrôle sur la Turquie, mais il fait face à un dilemme. "Il peut capitaliser sur le fait que tous les partis (politiques) l`ont soutenu et construire une ère de consensus, ou il peut utiliser cette opportunité pour consolider encore plus" son pouvoir, relève Aykan Erdemir. "Presque tout dépend de lui - le chemin qu`il va prendre va avoir d`énormes conséquences. Mon côté optimiste veut croire à la voie démocratique, mais mon côté réaliste et pessimiste pense que Erdogan ne ratera jamais une telle occasion", estime-t-il.

Pour Sinan Ulgen, le président turc en sortira plus fort, mais "la question est de savoir si il est enclin à utiliser cette situation pour aller vers une politique plus consensuelle". "C`est une occasion unique de progresser vers une politique démocratique plus ambitieuse. Mais le scénario le plus probable est que Erdogan va l`utiliser pour assouvir ses ambitions personnelles et mettre en place un système présidentiel", conclut le chercheur.

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