En Syrie, La Russie entre-t-elle en guerre froide avec la France ?

  12 Octobre 2015    Lu: 1012
En Syrie, La Russie entre-t-elle en guerre froide avec la France ?
Syrie: en bombardant les rebelles, la Russie s`engage-t-elle dans une guerre froide avec la France ?
INTERNATIONAL - "Les actions militaires russes depuis une dizaine de jours ne visent pas Daech, elles visent en priorité la sécurité de Bachar al-Assad". Ce vendredi 9 octobre, le ministre de la Défense a répété sur Europe 1 que la Russie s`en prenait à "80-90%" à l`opposition syrienne. Opposition que la France a armé dès 2012, pour faire face aux troupes de Bachar al-Assad.

Pourtant, les autorités russes l`affirment: les appareils marqués de l`étoile rouge qui évoluent en Syrie visent essentiellement Daech. Dimanche 11 octobre, Moscou a encore assuré que son aviation avait bombardé au cours des dernières 24 heures 63 positions des "terroristes" en Syrie, où sa campagne qu`elle affirme dirigée contre le groupe Etat Islamique s`intensifie.

Pour autant, personne n`est dupe et il semble qu`en guise de terroristes, la Russie ne fait pas vraiment la part des choses, entre rebelles opposés à Assad et combattants islamistes.

De fait, nous avons donc la Russie qui bombarde des soldats que la France a équipés, certes de façon partielle, mais équipés quand même. Cela ne vous rappelle rien ? Durant la guerre froide en effet, les affrontements indirects entre la Russie et le bloc de l`Ouest (dont la France) rassemblaient nombre de caractéristiques que l`on retrouve aujourd`hui. Livraisons d`armes clandestines au camp d`en face, intérêts divergents, présences d`agents sur le théâtre d`opération...

Un scénario qui, sur le papier, peut rappeler celui de l`Afghanistan entre les années 1979 et 1989. Alors, les choses peuvent-elles vraiment s`envenimer entre la France et la Russie à cause de cette confrontation indirecte ? Explications.

L`arsenal limité livré par la France

Comme l`explique Xavier Panon dans son ouvrage Dans les coulisses de la diplomatie française, de Sarkozy à Hollande (ed. l`Archipel), les livraisons d`armes "létales" ont démarré en 2012, sous l`impulsion de François Hollande. Jusque-là, l`aide apportée officiellement à l`opposition syrienne concernait des munitions non létales comme du matériel de reconnaissance, des lunettes de précision, des masques contre les armes chimiques etc. Alors, quel arsenal a été livré par la suite ? "Des missiles anti-char, des canons de 20 mm, des mitrailleuses, des lance-roquettes", explique au HuffPost Xavier Panon. C`est la DGSE qui s`est occupée de ces livraisons clandestines. À noter, à l`époque où les premiers ravitaillements ont démarré, Daech n`existait pas encore, mais les groupes jihadistes inquiétaient au plus haut niveau.

C`est pour cette raison que l`exécutif aurait été réticent à livrer des missiles sol-air, de peur que ceux-ci ne tombent entre de mauvaises mains. Un arsenal limité quant à sa puissance, mais aussi au regard de la quantité d`armes livrées. "Ça n`a jamais été des livraisons massives", précise Xavier Panon, notamment parce que pour ce type d`opérations délicates, il faut que les services soient sûrs de la fiabilité des filières qu`ils sollicitent. D`autant qu`il est question de livraisons "stop and go", précise le grand reporter. "Ça s`est arrêté, ça a repris... À l`heure où nous parlons il est difficile de savoir ce qu`il en est puisque le jeu s`est quand même beaucoup compliqué", détaille-t-il. Avec l`émergence de Daech et la dispersion des rebelles "modérés", le contexte a pu inciter l`Elysée à la prudence. De surcroît, les armes livrées à l`opposition syrienne avaient moins vocation à faire basculer le conflit en faveur des rebelles qu`à envoyer un signal politique international. De fait, nous ne sommes pas tout à fait dans le contexte d`une confrontation indirecte comparable à celles de la guerre froide, dans la mesure où ces livraisons d`armes ne sauraient avoir un quelconque impact décisif dans l`issue du conflit. Si les rebelles parviennent à abattre un hélicoptère ou un avion russe, ce serait donc probablement sans le concours de la France puisqu`elle s`est refusée à livrer des missiles sol-air.

Armes intraçables et contexte complexe

Autre raison qui éloigne le scénario d`un affrontement semblable à la guerre froide : le caractère clandestin de l`initiative de la France. Car oui, dans ce genre d`opérations, les services prennent soin de livrer des armes maquillées rendant leur identification impossible. "Je ne pense pas qu`on puisse remonter l`origine française d`une quelconque arme livrée par la France", confirme Xavier Panon évoquant "les précautions" prises en la matière par la DGSE. De fait, le scénario d`une escalade franco-russe déclenchée par la frappe d`un appareil russe abattu par une arme française, ne peut exister dans la mesure où il serait impossible d`identifier l`origine de l`arme en question. Ce qui, in fine, réduit le risque d`une réelle confrontation indirecte. "On ne sait jamais, mais a priori on est pratiquement sûrs, qu`une arme française ne sera jamais mise en cause dans ce contexte", explique notre interlocuteur. D`autant que sur place, la multiplication des acteurs (et fournisseurs d`armes) ajoute de l`illisibilité au contexte. L`Arabie Saoudite, le Qatar et autres puissances voisines arment de la même façon des combattants, ce qui, sur le terrain, rend l`implication de la France pour le moins limitée, sinon anecdotique à l`échelle des affrontements.

Entre la décision d`armer l`Armée Syrienne Libre (en 2012) et le contexte actuel mêlant progression de Daech et bombardements russes, la donne a radicalement changé. Pour la France, il est d`abord question de venir à bout de l`Etat islamique d`où les frappes ciblant Daech qui ont été menées. Du côté la Russie, Vladimir Poutine a estimé "intéressante" l`idée soumise par François Hollande d`associer la rébellion à la lutte contre Daech. La France et la Russie ont donc le souhait commun de mettre à bas l`Etat islamique, ce qui, de fait, peut en faire des alliés potentiels dans la région. Reste que le groupe jihadiste a réussi ce vendredi une avancée éclair près d`Alep, profitant de la confusion générale suscitée par les frappes russes dans les régions tenues par les rebelles... Si ce n`est pas encore la guerre froide entre Moscou et Paris, on se rapproche davantage de la mésentente cordiale.

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