Tensions entre Azéris et Arméniens: ce que cela veut dire pour la Géorgie

  29 Avril 2016    Lu: 2043
Tensions entre Azéris et Arméniens: ce que cela veut dire pour la Géorgie
Celles et ceux qui aimeraient une explication rapide de la poussée de fièvre militaire au Haut-Karabagh la trouveront ici.
On peut légitimement s`inquiéter de la montée des tensions, depuis la nuit du 1er au 2 avril 2016, entre Azerbaïdjan et Arménie. Si le groupe de Minsk (France, Etats-Unis, Russie), sensé trouver une réelle solution au conflit, ne sort pas de sa torpeur, les tensions à la frontière entre Azerbaïdjan et territoires occupés par les Arméniens pourraient aboutir à une deuxième guerre azéro-arménienne. Mais même sans en arriver là, un autre pays du Caucase du Sud pourrait souffrir du pourrissement de la situation dans le Haut-Karabagh: la Géorgie.

On l`a rappelé dans un précédent papier de la série Sécurité en Eurasie (le n°4): la Russie a mené une politique machiavélienne lui permettant de profiter du conflit entre Bakou et Erevan. Plus les tensions sont fortes dans cette "guerre froide" régionale, plus ces deux capitales sont obligées de courtiser Moscou, et de laisser l`ancienne puissance coloniale étendre son influence dans la région. Plus le monde craint un dérapage guerrier dans le Caucase du Sud, plus les Occidentaux auront également besoin de Moscou pour tenter d`apaiser les choses, confirmant de fait la prédominance russe dans la région. Il ne s`agit pas, ici, de critiquer la Russie spécifiquement.

Sa diplomatie est typique de bien des grandes puissances, en tout cas dans le monde occidental: diviser pour mieux régner... et se servir des crises locales pour affirmer ses intérêts. C`est exactement ce qui s`est passé quand, comme exposé dans le billet Sécurité en Eurasie (4), un symbole du soutien russe à l`Arménie a pu aussi servir de moyen de pression sur la Géorgie... Et si la situation dans le Haut-Karabagh ne s`améliore pas, non seulement l`influence de Moscou va augmenter dans la région, mais les pressions russes sur la Géorgie pourraient se démultiplier.

Ce qui peut laisser craindre une telle situation, c`est la politique russe récente en soutien à l`Ossétie du Sud. Les Ossètes et leurs alliés russes n`hésitent pas à voler, jusqu`à récemment, de nuit, quelques hectares de terres à la frontière avec la Géorgie, qui se trouve mise face à un fait accompli à chaque fois. Des paysans géorgiens s`entendent dire, un beau matin, qu`ils ont 72 heures pour faire leurs récoltes et quitter un terrain qui, maintenant, est en pays étranger...

Paul Salopek, de Politico, est allé sur le terrain, et raconte la situation ubuesque à la frontière entre Géorgie et la `République` d`Ossétie du Sud ici. Cette politique n`apporte rien à la Russie, ni même à l`Ossétie du Sud. Il s`agit surtout d`un moyen de pression pour amener la Géorgie à définitivement reconnaître que le rapport de force est contre elle. Et qu`elle devrait donc se soumettre, comme l`Arménie avant elle. Avec un conflit dans le Haut-Karabagh donnant plus d`influence à la Russie, on peut craindre que Moscou reste dans la même logique face à Tbilissi, voire en profite pour faire monter la pression contre les Géorgiens.

Le problème d`une telle politique, c`est qu`elle cautionne la "loi du plus fort" dans le Caucase au sens large. S`il n`y a pas de recherche de compromis possible, si l`influence d`un pays dans l`espace post-soviétique ne se décide que par la force, alors Azéris et Arméniens seront tentés d`aller dans ce sens (et de courtiser la Russie pour avoir son accord). Quant aux Géorgiens, sans moyens de se défendre militairement ou diplomatiquement, ils pourraient se laisser aller à apporter leur soutien à la rébellion anti-russe dans le Caucase du Nord. Une telle escalade n`est pas une vue de l`esprit. On se souvient de la décision de l`ancien président Saakashvili, le 11 octobre 2010, d`accorder aux habitants du Caucase du Nord le droit d`entrer en Géorgie sans visa... Une partie des élites géorgiennes pourraient définitivement se laisser tenter d`utiliser la carte de la solidarité avec le Caucase du Nord, si Moscou joue des tensions au Haut-Karabagh pour réaffirmer une suzeraineté de fait sur l`ensemble du Caucase du Sud.

Mais une telle situation, terrible jeu à somme nulle, n`est peut-être pas ce qui inquiète le plus les élites politiques de Tbilissi aujourd`hui. En effet pour les Géorgiens, une montée des périls entre Bakou et Erevan pourrait avoir un impact à l`intérieur de leurs frontières. Le pays a des minorités azéries et arméniennes. Et certains de leurs membres semblent prêts à aller combattre dans le Haut Karabagh, chacun dans le camp de son groupe ethnique. Dans les deux communautés, une propagande active, dangereuse, va dans ce sens. Or si des citoyens géorgiens arméniens et azéris s`entretuent sur un champ de bataille étranger, qu`est ce qui les empêchera, demain, d`en faire de même directement en Géorgie?

Parce que la Géorgie est réellement mise en danger par les tensions entre Bakou et Erevan, on peut prendre au sérieux la proposition géorgienne de jouer un rôle de modérateur

Le 4 avril 2016 au matin, le Major-Général Vakhtang Kapanadzen, Chef d`état major de l`armée géorgienne, a fait savoir que si les deux protagonistes étaient d`accord, Tbilissi pourrait les aider à dialoguer pour apaiser la situation sur place. Il est à noter que la Géorgie est un des rares pays à avoir de très bonnes relations avec Arméniens comme Azéris: c`est d`ailleurs pourquoi les deux camps tiennent à continuellement informer les Géorgiens des développements récents à la frontière. On ne peut pas accuser la Géorgie d`avoir des désirs d`influence, ou un "Grand Jeu" en tête, contrairement aux Russes et aux Occidentaux: la paix est dans l`intérêt des Géorgiens autant que dans celui de ses voisins. Impliquer la Géorgie serait sans doute une politique intelligente pour Paris et Washington: clairement les Européens comme les Américains ne font pas du Caucase du Sud une priorité. Ils se sont ainsi laisser prendre par surprise par les derniers développements.

Plutôt que de tomber dans l`erreur qui consisterait à entrer encore en conflit avec les Russes, cette fois via le dossier du Haut-Karabagh, pourquoi les Occidentaux ne soutiendraient-ils pas l`idée d`un dialogue régional, où Tbilissi, avec la bénédiction du groupe de Minsk, serait le maître d`œuvre de discussions entre Azéris et Arméniens ? Cela pourrait aller dans le sens de la paix, et cela signifierait que les grandes puissances russe et américaine, qui, aujourd`hui, sont en opposition, ne polluraient par le débat du Haut-Karabagh de leurs ambitions géopolitiques. Enfin, cela pourrait permettre, enfin, à Moscou et à Tbilissi de changer la nature de leurs relations. Après tout, les Russes ne veulent pas que la guerre froide du Haut-Karabagh ne dérape en guerre réelle: peut-être que leur meilleur espoir, comme celui des Occidentaux, pourraient être la Géorgie...

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