Le conflit du Karabakh, une aubaine pour la Russie ?

  19 Avril 2016    Lu: 752
Le conflit du Karabakh, une aubaine pour la Russie ?
Le 2 avril, le conflit larvé du Haut-Karabakh entre l`Arménie et l`Azerbaïdjan a ressurgi et a, durant quatre jours d`affrontements, rappelé au monde que cette dispute territoriale vieille de trente ans, négligée par la diplomatie européenne et internationale, constitue un facteur de risque d`instabilité supplémentaire dans une région déjà fragilisée et exige maintenant une solution juste et équitable.
Les racines du conflit sont anciennes. Dans le découpage et l`organisation de l`Union soviétique dans les années 1920, le Zangezur, le Nakhitchevan et le Karabakh font l`objet d`âpres disputes entre Arméniens et Azéris. Le premier est attribué à l`Arménie, le deuxième à l`Azerbaïdjan, mais le Haut-Karabakh se voit attribué un statut particulier de région autonome au sein de l`Azerbaïdjan. Elle est peuplée à 75 % d`Arméniens et 25 % d`Azéris. La vieille ville de Shoushi (en arménien), ou Shousha (en azéri), témoigne de ce double héritage, islamique et chrétien. Bon an, mal an, la cohabitation sous le régime russe puis soviétique se passe plutôt bien. Mais, dès 1988, les signes annonciateurs de l`implosion de l`URSS se font sentir. L`instabilité politique et identitaire éveille ou réveille des sentiments nationalistes forts. Dans le Haut-Karabakh, les Arméniens aspirent à se débarrasser de la tutelle de Bakou et rejoindre l`Arménie. Une guerre violente éclate en 1988 et se solde en 1994 par une lourde défaite de l`Azerbaïdjan, un bilan de 30 000 victimes, une vague d`épuration ethnique des deux côtés et près de 300 000 Arméniens et de 700 000 Azéris déplacés.

Le Haut-Karabakh est sous contrôle arménien et 7 districts azerbaïdjanais sont occupés et vidés de leur population. Depuis 1992, le groupe de Minsk au nom de l`OSCE, composé de négociateurs russes, américains et français, tente en vain de réconcilier les deux parties. Mais la défiance mutuelle entretient le conflit, ravivé par des escarmouches régulières. Bien que moins intense que d`autres conflits, la guerre du Karabakh ajoute à la tension régionale, où la moindre étincelle doit être contenue pour éviter tout risque de conflagration généralisée.

Le conflit alimente l`autoritarisme dans les deux pays, où la guerre est prétexte à tout gel des réformes démocratiques demandées par la population. La propagande centralisée sur l`ennemi extérieur renforce la cohésion nationale et passe sous sourdine les responsabilités nationales dans les dysfonctionnements politiques, économiques et sociaux, ajoutant à la frustration des groupes d`opposition, éternellement marginalisés. À ces risques d`instabilité intérieure s`ajoutent surtout des risques extérieurs, dangereux pour la région et la communauté internationale.

Une nouvelle guerre du Karabakh entre l`Arménie et l`Azerbaïdjan impliquerait inévitablement un effet d`entraînement des grands acteurs de la scène régionale, que sont la Russie et la Turquie, déjà en froid dans la crise syrienne. Et l`Iran voisin pourrait être attiré dans ce conflit par ses propres objectifs et ambitions régionales. Les enjeux du Haut Karabakh nous paraissent lointains et étrangers, et pourtant l`Europe doit s`en préoccuper pour deux raisons. D`abord pour sécuriser la part de ses approvisionnements énergétiques en provenance de la Caspienne et dont le pipeline passe non loin de la zone de conflit, mais aussi pour contenir les ambitions de la Russie au Sud.

Ancienne puissance tutélaire de la région, la Russie, qu`elle ait été impliquée dans la récente résurgence des hostilités entre Arméniens et Azéris ou non, pourrait bénéficier d`une reprise de la guerre. En effet, Moscou pourrait saisir ce levier pour renforcer sa présence dans sa traditionnelle zone d`influence, son étranger proche, et orchestrer son retour vers le Sud, parallèlement à son retour magistral en Syrie et à la barbe des Occidentaux. Très hostile au tracé du pipeline BTC au moment de sa négociation en 2005 (bras de fer qu`elle a perdu contre l`administration Clinton), la Russie pourrait très bien profiter du conflit du Karabakh pour aider à rendre inutilisable le BTC et en construire un autre, plus profitable aux intérêts de la Russie. Mais surtout Poutine, qui n`a jamais digéré la fin de l`URSS qu`il a publiquement qualifiée de « plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle », pourrait très bien laver la Russie de son humiliation historique. Bien qu`il condamne les nostalgiques et défenseurs d`une nouvelle URSS, dans les faits, il n`a jamais caché son ambition de créer une Union eurasiatique, sur le modèle de l`Union européenne, pour mieux concurrencer et affaiblir cette dernière. Or, parmi les pays de l`ex-URSS aujourd`hui indépendants, rares sont ceux qui sont emballés par l`idée de se soumettre à nouveau à la Russie.

L`Ukraine, la première, a fait du rêve de Poutine son pire cauchemar. Dans le Caucase, si l`Arménie y adhère, la Géorgie pas du tout. Quant à l`Azerbaïdjan, il campe sur une orientation pro-occidentale, voire neutre, et n`aurait aucun intérêt à entrer dans une quelconque Union eurasiatique. En fin stratège machiavélique, Poutine pourrait très bien marchander un règlement du conflit du Haut-Karabakh à l`avantage de l`Azerbaïdjan en échange d`une adhésion docile de Bakou à son Union eurasiatique. L`Arménie, sans aucun levier contre Moscou, devrait se soumettre. Le président Aliev deviendrait certes un superhéros national, mais surtout un nouveau pion russe dans la reconquête du Caucase. Laisserons-nous à Moscou le champ libre pour s`y adonner et par le Karabakh et par la Syrie ?

* Bayram BALCI est chercheur au Ceri-Sciences Po, Paris

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