Ex-médecin, mon mari est mort d`un cancer : le corps médical l`a abandonné

  08 Avril 2016    Lu: 749
Ex-médecin, mon mari est mort d`un cancer : le corps médical l`a abandonné
Le 11 mars dernier, Philippe, le mari de Marie-Claude Romano, est mort des suites d`un cancer fulgurant du poumon. Diagnostic asséné sans ménagement, défaut d`accompagnement... "Sous le prétexte qu’il était un ancien médecin, le corps médical lui a parlé de confrère à confrère, oubliant que c’était sa vie qui était en jeu", déplore-t-elle aujourd`hui. Témoignage.
Mon mari, Philippe, praticien hospitalier, anesthésiste réanimateur à la retraite, a récemment consulté son médecin car pendant un séjour à la montagne, en février dernier, il s`est senti essoufflé.

À 72 ans, c`était un homme très actif qui s`occupait de ses petits-enfants et passait de nombreuses heures à œuvrer comme représentant des usagers et comme membre actif du Collectif inter associatif sur la santé (CISS), notamment auprès de l’AP-Hôpitaux de Paris puis des Hospices civils de Lyon (HCL) et de la Fédération hospitalière de France (FHF).

Un diagnostic asséné sans aucun ménagement

Suite à sa consultation avec son médecin traitant le 24 février, il passe un scanner le 26 qui révèle des images de cancer avancé du poumon, avec des lâchers de ballons et épanchements…

Comme Philippe était médecin, le radiologue a pris le temps de bien lui montrer et décrire les images à l`écran comme s’il discutait du cas d’un autre patient sans mesurer l’impact psychologique que cela pouvait avoir sur Philippe. Le diagnostic, que tout médecin sait être catastrophique, lui a été asséné sans aucun ménagement ni la moindre empathie. Il l`a laissé ensuite repartir seul.

Un rendez-vous est pris au centre anti-cancéreux pour le 4 mars.

Au centre anti-cancéreux, l`accueil feutré et chaleureux de l`ensemble de l`équipe est appréciable. Malgré cela, nous avons été choqué de constater combien le cas clinique de mon mari était intéressant pour l’oncologue. Il a passé 15 minutes à regarder les images du scanner en couleur sur son ordinateur, commentant ce qu`il voyait en disant "effectivement il y a un envahissement, les métastases vont toucher la moelle épinière…".

Nous étions abasourdis, groggy et livrés à nous-mêmes

Philippe était décomposé de voir toutes ses tumeurs et métastases en couleur défiler sous ses yeux…Une biopsie pourra permettre de connaître la nature des cellules et peut être cela augurerait une bonne nouvelle, qui pourrait ralentir le processus. L`espoir de vivre un peu plus longtemps. Philippe a posé différentes questions sur les suites et il a positivé en disant que, s`il y a une infime chance, il veut la saisir.

À la suite de cet entretien, nous avons été très surpris que, compte tenu de l`étendue des métastases, le rendez-vous ne soit donné que six jours plus tard pour la biopsie, le 10 mars et… le 22 mars pour l’IRM de tout le squelette.

Le prochain rendez-vous médical n’est prévu que fin mars ou début avril. Nous sommes rentrés chez nous totalement abasourdis, groggy et livrés à nous-mêmes. Comment réussir à avancer après une telle nouvelle : "vous êtes condamné à mourir dans quelques mois mais on va essayer une technique expérimentale pour ralentir le processus" ?

Nous voilà seuls!

On l`a laissé seul face à des images de métastases

Philippe est un homme très fort mentalement qui ne se laisse pas abattre mais face à une telle nouvelle, c’était un homme brisé… Les médecins ont-ils cherché à savoir si le diagnostic asséné a été psychologiquement intégré, émotionnellement et moralement assimilé ?

Personne ne m’a contactée, aucun soutien psychologique ni numéro de téléphone où appeler si cela va mal… rien ! On l`a laissé seul face à des images de métastases qu`il venait de découvrir en couleur. On m’a moi aussi laissée seule pour assumer ce tsunami dans notre vie.

Son état s’est aggravé, comme par hasard, brutalement après le scanner, perdant près d’1 kg par jour et devenant de plus en plus dyspnéique. À plusieurs reprises, il m’a dit "je n’arrive pas à imaginer que c’est moi sur ce scanner". Dans son ordinateur, il a créé un fichier "c’est la fin" tout en s`accrochant à la date du 10 mars pour la biopsie qui pourrait lui apporter un peu de temps…

Le 9 mars au soir, un appel téléphonique nous prévient que la biopsie est annulée à cause d`un manque de personnel et qu`il sera reporté ultérieurement ! Comment peut-on dire ça à une personne à qui on a clairement dit que son espérance de vie était de quelques mois ? Chaque jour compte ! Philippe s’est effondré et son état s’est terriblement aggravé dans la nuit.

Il m`avait fait promettre de ne pas l`hospitaliser

Philippe avait écrit et clairement dit qu`il ne voulait pas être hospitalisé, il m`avait fait promettre de ne pas l`hospitaliser. Étant médecin moi-même, je savais que des lâchers de ballons pouvaient entraîner un manque d’oxygénation cérébrale. Le 10 mars, j`ai donc cherché à mettre en place une HAD (hospitalisation à domicile) avec de l`oxygène à domicile.

Il aurait suffit d’avoir une prescription de son médecin traitant. Celui-ci étant absent, la remplaçante du cabinet a sèchement refusé de faire la prescription prétextant que "ce n`est pas mon client" ! Elle n’a pas non plus proposé de venir le voir au domicile.

Mon pharmacien, un homme extraordinaire, a contacté le médecin traitant qui était en formation et qui m’a appelée. Après lui avoir exposé la situation, je lui ai demandé de prescrire une HAD avec de l’oxygène.

"Madame, on ne donne pas de l’oxygène comme cela, c’est vraiment n’importe quoi ; s’il a des métastases cérébrales à quoi cela servirait ? Je sais qu`il ne voulait en aucun cas être hospitalisé mais vous ne lui demandez pas son avis, vous appelez une ambulance et ils l’embarquent de force à l’hôpital."

Je lui répète que Philippe avait écrit qu’il ne voulait pas être hospitalisé et m’avait fait promettre de respecter sa volonté. "Promis ou pas, vous le faites embarquer sinon vous êtes une criminelle !"

Il est mort le 11 mars après de grandes souffrances

Après une nuit éprouvante, le vendredi 11 mars au matin, un ami médecin contacte le centre anti-cancéreux pour mettre en place HAD et oxygène. Un médecin du centre lui répond qu’il faut d’abord amener Philippe à l’hôpital à sa consultation aux urgences.

Il est mort le 11 mars à 14h après de très grandes souffrances, entouré de ses enfants mais abandonné par ses confrères. Rien n’a été dit ni fait pour lui donner une étincelle d’espoir, pour diminuer sa peur et son angoisse. RIEN. Ils l’ont laissé seul, ils nous ont laissé seuls.

Dans le serment d`Hippocrate, il est écrit:

"Guérir, parfois… Soulager, souvent… Accompagner toujours."

Sous le prétexte qu’il était médecin, on lui a tout asséné sans ménagement ni empathie comme si on parlait d’un autre malade, allant jusqu’à préciser qu`il allait avoir une atteinte de la moelle épinière ; on lui a parlé de confrère à confrère oubliant que c’était de sa vie dont on parlait, on ne l’a pas informé mais on lui a asséné la vérité oubliant qu’il était aussi un être humain et sans mesurer l’impact psychologique de tels discours.

Il a été lâché par le corps médical

Philippe a passé sa vie à soulager la souffrance des autres. Depuis sa retraite, il s’est battu pour faire respecter le droit des usagers ; et il a été totalement isolé, abandonné et lâché par le corps médical. Mais son abandon résulte aussi de défauts structurels de l’organisation de notre système de santé.

Mes recherches désespérées ont été incapables de mettre en place les aides simples qu’il aurait pu avoir (mise en place d’oxygène, visite d’une équipe HAD). La seule réponse donnée était le transfert aux urgences, une très importante souffrance complémentaire pour un homme dans les affres de l’agonie et un déni complet de son désir et de sa volonté légitime de mourir chez lui au milieu des siens.

Ce que nous venons de vivre, moi et toute sa famille autour de Philippe, est en contradiction totale avec la lettre et l’esprit des lois en vigueur dans le code de la santé publique, ce qui devrait mobiliser tous ceux qui n’acceptent pas cette triste réalité.

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