Haut-Karabakh: les séparatistes arméniens déposent les armes (Jean-Dominique Merchet)

  21 Septembre 2023    Lu: 1199
 Haut-Karabakh: les séparatistes arméniens déposent les armes (Jean-Dominique Merchet)

En moins de 24 heures, l’offensive militaire de l’Azerbaïdjan a changé la donne. Des discussions doivent s’ouvrir jeudi entre les séparatistes et Bakou. L’Arménie est restée en dehors du conflit

Les faits - Les forces séparatistes arméniennes du Haut-Karabakh ont annoncé mercredi avoir accepté les termes d’un accord de cessez-le-feu après une série de revers face à l’armée azerbaïdjanaise, qui a lancé la veille une opération « antiterroriste ». Selon un communiqué des séparatistes, l’accord, proposé par la Russie et effectif à 13 heures locales ce mercredi, prévoit la dissolution et le désarmement des forces arméniennes de la région ainsi que le retrait des forces régulières arméniennes. Des discussions sur l’avenir du territoire et des Arméniens qui y vivent auront lieu jeudi entre représentants de la population et autorités azerbaïdjanaises.

L’acte final du conflit du Haut-Karabakh est, peut-être, en train de se jouer. Déclenchée mardi en milieu de journée, l’opération militaire de l’Azerbaïdjan semble avoir atteint ses objectifs en moins de vingt-quatre heures. Les forces arméniennes n’ont pas pu résister et elles ont de facto capitulé. Un cessez-le-feu a été conclu, mercredi, entre les deux parties et des pourparlers devraient s’engager jeudi à Yevlakh (Azerbaïdjan).

D’autres rebondissements auront probablement lieu, mais la carte géopolitique du Caucase vient de bouger sous nos yeux. A l'échelle locale, les Arméniens de la région séparatiste du Haut-Karabakh sont les vaincus, en dépit des protestations internationales. Mais, à l'échelle régionale — et sauf renversement politique en Arménie —, la Russie pourrait perdre de son influence dans son « étranger proche », c’est-à dire son ancien empire.

Sur le terrain, la situation était figée depuis l’automne 2020, à la suite d’une première défaite militaire arménienne. Ne subsistait plus qu’une petite enclave d’environ 3 000 km², un demi-département français, autoproclamée République d’Artsakh depuis 1991. Ce territoire, séparé de la République d’Arménie par le « corridor de Latchine », était placé sous la protection de 2 000 militaires russes. Selon le droit international, le Haut-Karabagh est sur le territoire de l’Azerbaïdjan, dans ses frontières de 1991, héritées du découpage soviétique. Selon les Arméniens, le Haut-Karabakh est peuplé de 120 000 habitants, un chiffre contesté par l’Azerbaïdjan, qui parle de 50 000.

« Ligne rouge ». L'élection, le 9 septembre, d’un nouveau président de l’Artsakh a été « une ligne rouge » pour Bakou, assure Elchin Amirbayov, conseiller à la présidence de l’Azerbaïdjan. Les tensions s’accumulaient depuis le 12 juillet, avec le blocus de la région décrété par Bakou, qui a provoqué une crise humanitaire. Selon l’Azerbaïdjan, le détonateur d’une opération préparée de longue date a été la mort, lundi, de onze personnes tuées par des mines posées par les militaires arméniens.

L’Azerbaïdjan accuse l’Arménie d’avoir maintenu un contingent d’environ 10 000 militaires au Haut-Karabakh, dont 3 000 de recrutement local — ce qu’Erevan, capitale de l’Arménie, démentait, sans vraiment convaincre. Cette présence était contraire aux accords de 2020. C’est à cette force armée que l’opération « anti-terroriste » déclenchée mardi s’en est pris. La supériorité militaire de l’Azerbaïdjan est incontestable. Le pays est notamment soutenu par la Turquie et Israël.

En moins de vingt-quatre heures, ses drones et son artillerie ont attaqué les moyens militaires (radars, guerre électronique, systèmes anti-aériens), la plupart d’origine russe, et sans doute « neutralisé » 90 positions de combat sur la ligne de contact. Bakou assure que ses troupes n’entendaient pas pénétrer dans les villes et les villages peuplés d’Arméniens. On ne dispose pas encore de bilan humain définitif. Les sources arméniennes parlent d’au moins 32 morts, dont sept civils.

Quel sera désormais le sort de cette population arménienne au sein de la République d’Azerbaïdjan ? Les autorités de Bakou assurent qu’elle peut rester sur place et envisage leur « réintégration » au travers de pourparlers avec leurs représentants. Toutefois, les peurs et les haines réciproques, héritage d’une longue histoire de violence, présagent mal de l’instauration d’un climat de confiance. Sous la pression, quittera-t-elle ces terres sur lesquelles elle habite de longue date, pour se réfugier en République d’Arménie voisine ? Il est trop tôt pour le dire.

« Erreur historique ». Cette nouvelle défaite aura des conséquences en Arménie elle-même. Mardi soir, des manifestants entouraient le siège du gouvernement, demandant la démission du Premier ministre Nikol Pachinian. Dès l’attaque de l’Azerbaïdjan, mardi, celui-ci avait exprimé son intention de rester en dehors du conflit, mettant en garde « contre les forces intérieures et extérieures qui tentent d’entraîner l’Arménie dans l’escalade militaire ». Ce dirigeant démocrate et pro-occidental évoquait même la menace d’un « coup d’Etat » d'éléments plus radicaux.

Depuis son indépendance en 1991, l’Arménie avait bénéficié de la protection de Moscou, dont l’armée et les gardes-frontières sont présents sur son sol. Le soutien russe avait même permis à l’Arménie de gagner la première guerre du Haut-Karabakh (1988-1994) contre l’Azerbaïdjan. Les défaites de 2020 et de 2023 lui montrent que « l’assurance-vie russe ne fonctionne plus », selon un diplomate européen. Mardi, le contingent russe est resté l’arme au pied face à l’attaque azerbaïdjanaise, se contentant d’aider les civils à évacuer des zones sous le feu.

Le Premier ministre Pachinian pourrait en profiter pour accélérer le basculement de son pays vers l’Occident, en s'éloignant plus en encore de Moscou. « Notre dépendance à l'égard de la Russie pour notre sécurité a été une erreur historique », confiait-il le 3 septembre, alors que des exercices militaires avec les Etats-Unis se déroulaient en Arménie. Les courants pro-russes restent pourtant influents dans le pays. Avec la défaite du Haut-Karabakh, ceux-ci pourraient souffler sur braises nationalistes pour tenter de renverser Pachinian. Avant d'être élu et réélu, il était arrivé au pouvoir en 2018 à la suite de la révolution démocratique, peu appréciée au Kremlin.

Par Jean-Dominique Merchet


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