Dix mois après l'arrêt historique de la Cour suprême qui a rendu à chaque État américain la liberté d'interdire les interruptions de grossesse sur son sol, le magistrat Matthew Kacsmaryk, connu pour ses vues ultraconservatrices, a rendu, depuis le Texas, une décision censée s'appliquer à l'ensemble du pays. Au même moment, un de ses confrères, situé dans l'État de Washington, a toutefois jugé que l'autorisation de mise sur le marché de la mifépristone (RU 486), qui s'utilise en combinaison avec un autre cachet, ne pouvait être retirée dans les 17 États démocrates qui l'avaient saisi. Il reviendra donc rapidement à la Cour suprême, profondément remaniée par l'ex-président républicain Donald Trump, de clarifier la situation.
Le président Joe Biden s'est dit lui déterminé à «combattre» cette décision, la qualifiant de tentative «sans précédent de priver les femmes de libertés fondamentales». La décision du juge Kacsmaryk ne s'appliquera de toute façon pas avant une semaine, le magistrat ayant choisi de laisser le temps au gouvernement fédéral de faire appel. Ce qui ne devrait pas tarder. «Le ministère de la Justice est en profond désaccord» avec la décision, «il fera appel (...) et demandera un sursis en attendant», a déclaré le ministre Merrick Garland dans un communiqué.
«Une décision sans précédent qui menace les droits des femmes dans tout le pays. »
Kamala Harris, vice-présidente des États-Unis
Dans son jugement de 67 pages, le juge Kacsmaryk valide la plupart des arguments figurant dans la plainte déposée en novembre par une coalition de médecins et d'organisations hostiles à l'avortement contre l'Agence américaine du médicament (FDA). Comme eux, il reprend des études sur les risques imputés à la pilule abortive, bien qu'ils soient jugés négligeables par la majorité de la communauté scientifique. Il accuse également la FDA de ne pas avoir respecté ses procédures afin de répondre à un objectif politique. «Il y a des preuves indiquant que la FDA a fait face à d'intenses pressions politiques pour renoncer à ses précautions de sécurité afin de promouvoir l'objectif politique d'élargir l'accès à l'avortement», écrit-il notamment.
«C'est du jamais-vu et c'est profondément préjudiciable», a commenté la puissante organisation de planning familial Planned Parenthood, qui gère de nombreuses cliniques pratiquant des IVG dans le pays. «Nous devrions tous être révoltés qu'un juge puisse unilatéralement rejeter les preuves médicales» pour contredire la FDA, a ajouté sa présidente Alexis McGill Johnson, en soulignant que cette décision pourrait avoir des conséquences «bien au-delà de l'avortement». La vice-présidente démocrate Kamala Harris a elle aussi fustigé «une décision sans précédent qui menace les droits des femmes dans tout le pays» et s'est inquiété des conséquences pour d'autres médicaments de lutte contre le cancer ou le diabète.
«Juge extrémiste» et «juge voyou»
Les élus démocrates du Congrès ont pour leur part concentré leurs critiques sur le juge Kacsmaryk: «un juge extrémiste» pour leur ancienne cheffe à la Chambre des représentants Nancy Pelosi, un «juge voyou» pour son successeur Hakeem Jeffries. Nommé par Donald Trump, Matthew Kacsmaryk fut juriste pour une organisation chrétienne avant de prendre ses fonctions à Amarillo, au Texas, où il est le seul juge fédéral. En déposant plainte dans cette ville, les opposants à l'avortement étaient certains que le dossier lui reviendrait. Vendredi, ils n'ont pas dissimulé leur joie. Le groupe SBA Prolife America a salué «une victoire pour la santé et la sécurité des femmes et des filles». Sa directrice des affaires politiques Katie Glenn a précisé «analyser de près» le second jugement, «mais nous avons bon espoir que le mépris dangereux pour la vie des femmes affiché depuis deux décennies par la FDA soit bientôt corrigé».
Même si la justice suspendait in fine l'autorisation de la FDA, il faudrait sans doute plusieurs mois avant que sa décision ne s'applique. Selon des experts en droit de la santé, le régulateur du médicament doit respecter une procédure stricte avant de retirer l'autorisation d'un produit. Les femmes et les médecins pourraient aussi se rabattre sur une seconde pilule, le misoprostol, dont l'usage se combine aujourd'hui avec la mifépristone pour une plus grande efficacité et moins de douleurs. «Nous ne laisserons pas cette décision injuste empêcher l'accès aux pilules abortives», qui via «des routes alternatives» pourront «toujours arriver dans vos boîtes aux lettres», a d'ores et déjà fait savoir Elisa Wells, fondatrice du réseau Plan C d'information sur les pilules abortives. (AFP)
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