"Mein Kampf" - histoire d’un livre

  26 Octobre 2015    Lu: 823
"Mein Kampf" -  histoire d’un livre
N’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon, une édition scientifique de Mein Kampf, l’ouvrage rédigé par Adolf Hitler une petite dizaine d’année avant son arrivée au pouvoir en 1933, sera bel et bien disponible en librairie l’année prochaine. Si des historiens ont déjà répondu sur le fond au leader du front de gauche, le débat occulte quelques questions simples : qu’est-ce que ce livre?

Un livre rédigé en prison

Novembre 1923. Marasme économique, crise politique : l’Allemagne va mal. Alors âgé de 34 ans, Adolf Hitler est à la tête du NSDAP – le parti nazi – depuis 1921. Les 8 et 9 novembre 1923, l’ancien soldat croit pouvoir réaliser en Allemagne l’équivalent de la marche sur Rome réussie un an plus tôt par Mussolini, et prendre le pouvoir au travers d’un coup d’État.

Et il se plante en beauté. La police de Bavière bloque rapidement la marche des partisans du futur chancelier, seize hommes sont tués, Hitler lui-même est blessé, arrêté puis condamné en avril 1924 à cinq ans de détention – une peine d’autant plus clémente pour des fait de haute trahison qu’elle est effectuée dans une prison où Hitler dispose d’un véritable appartement où il est libre d’accueillir ses proches. Désœuvré, c’est là qu’il dicte à son entourage le premier jet de Mein Kampf, avant d’être libéré après quatorze mois de détention seulement. Pour la petite histoire, le papier du tapuscrit lui fut offert par la belle-fille de Wagner, amie personnelle du futur dictateur.

Hitler millionnaire

Publié dans la foulée en deux tomes, Mein Kampf ne s’écoule pas particulièrement bien : en cinq ans, les éditions successives ne dépassent pas 35 000 exemplaires. Avec les premiers succès électoraux, les ventes décollent et plus d’un million et demi d’exemplaires sont écoulés entre 1930 et 1935. Une fois Hitler au pouvoir, les ventes explosent littéralement – le fait que le livre soit systématiquement offert aux jeunes mariés, aux frais de l`Etat, n’y est pas pour rien. Autrement dit, Hitler fait acheter par l`Etat qu`il dirige son propre ouvrage.

Les éditions étrangères se multiplient dans les années 30 et le livre est traduit en seize langues. Il en existe même une version en braille, des versions courtes et Mein Kampf est également adapté en BD pour toucher les plus jeunes. Conséquence non négligeable : grâce à ses droits d’auteur, Hitler devient … millionnaire. Ce qui lui permet un joli coup de propagande : richissime, il renonce à son salaire de chancelier dès 1933. L’historien Ian Kershaw estime qu’en 1945, 10 millions d’exemplaires avaient été vendus. À peu près un foyer allemand sur deux.

Ce qu’on trouve dans Mein Kampf

Constamment repris et modifié par Hitler au fil des rééditions, le livre[1] de 700 pages s’organise en deux tomes relativement arides et tient à la fois de l’autobiographie[2], du manifeste nazi et du programme politique. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’Hitler n’avance pas masqué sur les questions de politique intérieure ou extérieure, la couleur est clairement affichée sur plusieurs points, assorties de menaces suffisamment précises pour qu’Hitler fasse expurger les éditions étrangères des passages les plus agressifs pour le pays concerné…

Le pangermanisme : aux yeux d’Hitler, tous les territoires de langue allemande ont vocation à se retrouver au sein d’une même unité territoriale, une sorte de grande Allemagne. À commencer par l’Autriche, terre natale d’Adolf Hitler.
Le Lebensraum: le livre développe également le déjà vieux concept du Lebensraum dans sa version nazie. En gros, l’idée est que les peuples germaniques ne disposent pas des territoires nécessaires à leur existence. Et Hitler vise très près, notamment vers l’est européen : Bohême, Hongrie, Pologne, Russie, Caucase… Autant de régions explicitement visées par cette idée de Drang nach Osten, de ruée vers l’est – Hitler explique clairement que l’épée (l’armée) doit précéder la charrue (l’exploitation agricole et industrielle des terres conquises).

La revanche militaire : comme beaucoup d’Allemands, Hitler n’a jamais accepté la défaite de 1918 et encore moins les termes du Traité de Versailles. D’où la volonté affirmée de réarmer lourdement l’Allemagne et d’en finir avec l’ennemi héréditaire, la France, là encore explicitement désignée comme le principal adversaire de l’Allemagne[3] et comme « l’inexorable et mortelle ennemie du peuple allemand».

Le racisme et l’antisémitisme : il existe aux yeux d’Adolf Hitler des inférieures et des races supérieures, la race aryenne étant au sommet. Et elles doivent être soit soumises, soit détruites. la grande peur d’Hitler, la menace absolue à ses yeux, c’est le métissage progressif qu’implique son objectif d’expansion territoriale. À ses yeux, les peuples « inférieurs », militairement battus, vont tenter ensuite de corrompre la pureté de la race allemande en l’infiltrant et en la métissant pour la ruiner en somme de l’intérieur. Et pour Hitler, ce sont les Juifs les plus dangereux à cet égard : « je compris en pleurant que le peuple juif travaille délibérément à la ruine de l`Europe, et de l`Allemagne en particulier».

Ce qu’on ne trouve pas dans Mein Kampf

Le génocide. Si Mein Kampf évoque expressément l’élimination des handicapés physiques ou mentaux (« anéantir avec une décision brutale les rejetons non améliorables »), l’ouvrage n’évoque jamais la mise en place d’un programme d’extermination des populations que la pensée nazie qualifie d’inférieures : Juifs, Tziganes…Le livre, antisémite jusqu`à la moelle, ne mentionne pas les moyens qu’Hitler prévoit de déployer pour parvenir à son objectif de « purification » du peuple allemand. Reste que l’ouvrage tout entier forme le socle intellectuel et théorique qui permettra la mise en place du système concentrationnaire et de la Solution finale, quelques années plus tard.

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