Au premier office français d`une synagogue de Londres PHOTOS

  19 Mars 2016    Lu: 1135
Au premier office français d`une synagogue de Londres PHOTOS
Le Chabbat du vendredi soir est aux Juifs ce que la messe du dimanche matin est aux chrétiens.
C`est de loin le moment le plus animé de la semaine pour les synagogues. Les offices sont généralement en hébreu, bien que de nombreuses synagogues effectuent une partie de leur office en anglais. La Liberal Jewish Synagogue, l`une des synagogues les plus progressistes de Londres, propose désormais le Chabbat en trois langues : en anglais, en hébreu et en français.

Ce n`est pas tellement surprenant, puisqu`on compte près de 300 000 ressortissants français à Londres, en particulier des Parisiens. Il est en effet impossible de se déplacer dans la ville sans tomber sur un étudiant français.

Certains prétendent que la majorité des immigrants français au Royaume-Uni sont juifs. Selon certains rabbins, de plus en plus de Français fréquenteraient les synagogues londoniennes. Marc Mayer, le président de la Hendon United Synagogue, a déclaré à Newsweek que les enfants juifs français représentent désormais 50 % des élèves des écoles juives à Londres.

Pour beaucoup, cette hausse serait due aux récentes attaques terroristes à Paris, notamment celle de l`Hypercacher qui a fait quatre morts. Pour d`autres, cette migration est simplement le résultat de la montée de l`antisémitisme en France. L`année dernière, des Juifs ont été attaqués dans des parcs, dans des écoles et dans le métro parisien, et plusieurs synagogues ont été incendiées. Le nombre d`attaques antisémites a augmenté d`environ 84 % en 2014.

On ne sait donc pas si c`est l`antisémitisme ou le terrorisme qui en sont la cause — aucune étude ne permet d`affirmer que les Juifs se sentent plus en sécurité à Londres qu`à Paris. J`ai donc assisté à l`office du vendredi soir pour interroger les immigrants français sur leurs motivations — mais aussi parce que je suis français et juif, et que je voulais voir comment était l`ambiance.

Les règles de sécurité sont strictes ; avant d`entrer, il faut se soumettre à plusieurs vérifications des sacs. La synagogue est même protégée par l`une de ces portes blindées que l`on voit habituellement dans les banques. Peut-être que cela dissuade certaines personnes — personnellement, j`étais surtout préoccupé par ma kippa. La mienne semble toujours très ringarde par rapport à celle des autres.

Une fois à l`intérieur, j`ai pu choisir entre un livre de prières en français ou en anglais. On m`a ensuite guidé à travers les portes dorées du temple avant de m`installer, bizarrement, dans la « section presse » qui comptait environ 15 sièges. Apparemment, le premier Chabbat français est une actu brûlante.

La première chose qui m`a frappé quand les gens sont entrés, c`est qu`il n`y avait pas de Français. Les quelque 80 personnes présentes étaient très britanniques, du genre blazer bleu marine et pantalon en tartan. L`office semblait habituel, jusqu`à ce que (Monsieur) le Rabbin René Pferzel commence sa lecture de la Torah dans un français parfait.



Pferzel a récité ses prières, en veillant à bien indiquer aux anglophones comme aux francophones les numéros de pages de leur Siddour respectif (le livre de prière juif). Pendant ce temps, le pianiste, qui était particulièrement bon, interprétait tous les morceaux du Chabbat. Mais surtout, tout était comme d`habitude.

Ce n`est que pendant le discours de clôture que l`office a pris toute son importance. Pferzel n`a pas hésité à revenir sur les menaces quotidiennes auxquelles sont confrontées les communautés juives, et sur l`année 2015 qui a été très dure pour tous les Juifs français. Il a abordé l`antisémitisme et les problèmes de sécurité avec beaucoup d`optimisme et quelques mauvaises blagues. Il a ajouté que les médias avaient dramatisé l`ampleur de la migration des Juifs français vers des villes comme Londres.

Nous avons intercepté le Rabbin Pferzel après l`office pour lui poser quelques questions, ce qui n`a pas été simple – il est un peu le Axl Rose de cette synagogue. Il nous a expliqué que ses nombreux voyages l`avaient beaucoup enrichi culturellement ; il partage son temps entre Lyon et Londres, et a travaillé dans de nombreux pays d`Europe depuis les années 1980.

« Nous voulons tous nous intégrer, mais nous voulons aussi conserver notre identité », m`a-t-il expliqué. « Je pense qu`il est intéressant pour les gens de venir ici et de parler de leur judéité dans leur langue maternelle ». Pour Pferzel, l`antisémitisme est la principale cause de la migration de masse vers le Royaume-Uni. Ceux qui craignent pour leur sécurité choisissent plutôt de rentrer en Israël. Alors, pourquoi les Juifs quittent-ils la France pour s`installer à Londres ? « Oh, la raison est on ne peut plus juive : la baisse des impôts », plaisante-t-il.



J`ai demandé au rabbin s`il y avait des différences notables entre les Juifs français et anglais. « En Angleterre, les Juifs aiment faire un sapin de Noël, ce qui n`est pas le cas en France ».



Après une tournée rapide de Shabbat shalom vint le moment du Kiddouch, une sorte de mise en bouche avant le traditionnel dîner du vendredi soir. D`habitude, on a en tout et pour tout un pain Hallah rassis et un filet de poisson en conserve, mais là, le jour saint était célébré avec un délicieux buffet tunisien rempli de mezze. Nous y avons croisé d`autres acteurs majeurs de l`office.



La première fut Miriam Kramer, membre de l`Union européenne pour un judaïsme progressiste et principale instigatrice des événements de ce soir. La langue est un gros enjeu pour elle — la synagogue accueillera, à son initiative, un Chabbat multilingue en avril prochain. Les offices seront traduits en douze langues. Ses motivations sont assez pragmatiques. « Il y a un afflux de Juifs français à Londres, alors pourquoi pas ? Si le Chabbat permet aux Juifs étrangers de partager leur foi, il ne peut en ressortir que du bon ». Comme Pferzel, elle ne pense pas que les Juifs quittent les villes françaises par peur.



Nous voulions absolument rencontrer de nouveaux arrivants français, mais ils étaient peu nombreux. Nous avons discuté avec un couple, Sasha et Karlin, qui a émigré à Londres il y a sept ans, après avoir constaté que le Royaume-Uni leur offrait plus d`opportunités que Paris. Leur « judéité » n`a jamais été le facteur moteur de leur déménagement. Malgré cela, Karlin ne met jamais sa foi en avant : « Parfois en allant au boulot, je croise des hommes en kippa. Au vu des événements récents, cela fait d`eux de vrais héros du quotidien ». Selon lui, les Juifs ne sont plus en sécurité nulle part ; qu`ils vivent à Londres, Paris ou Berlin.

Que Londres soit devenu un refuge pour des milliers de Juifs terrifiés relève donc plutôt du mythe. Personne ne nie les terribles évènements survenus en France, mais ces rendez-vous à la synagogue visent avant tout à promouvoir l`unité culturelle. Cela ne veut pas dire que la sécurité n`est pas importante ; mais c`est en unissant ses forces que la communauté juive pourra faire face aux menaces. Il faut dire aussi que les mezze étaient à tomber.

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