«İl y a un sentiment de désespoir, de fatalité générale»

  26 Octobre 2015    Lu: 553
«İl y a un sentiment de désespoir, de fatalité générale»
Assise sur la place Rabin, à Tel-Aviv, Tal Yaffe, 42 ans, fait courir ses doigts sur son smartphone. Brune aux longs cheveux ondulés, cette ancienne musicienne ayant ensuite été patronne de cafés, a décidé de démarrer une nouvelle vie, « qui a du sens », en suivant une formation d’enseignant.

On la retrouve juste avant une marche organisée samedi 24 octobre, à l’appel de l’organisation La Paix maintenant, qui a rassemblé plusieurs milliers de sympathisants de la gauche israélienne, défilant pour la paix avec les Palestiniens.
Tal Yaffe hésite un peu avant de parler. « Je ne veux pas, comme beaucoup de personnes de l’extérieur, rabaisser ce qui se passe en Israël. Il ne faut pas être naïf et croire que des choses ayant marché ailleurs fonctionneraient ici. » Puis elle se lance, jusqu’à s’émouvoir elle-même.

« Ça fait des années que je ne suis pas venue à une manifestation pour la paix. Là, j’ai senti qu’il était important de se faire entendre. Des gens ordinaires, avec une vie, des espoirs, des rêves, doivent peser ensemble. Il y a un sentiment de désespoir, de fatalité générale. Comme s’il fallait qu’il y ait toujours de la haine, des assassinats, des guerres. Comme si les Arabes devaient à jamais vouloir nous tuer, et nous, nous battre pour survivre. Je n’y crois pas. Même si ça semble trop compliqué pour les gens actuellement au pouvoir, je pense qu’il y a une autre voie. Un juif polonais, dont on ne connaît pas le nom, a écrit un jour : “Je crois dans le soleil même quand il ne brille pas, je crois dans l’amour même quand je ne le sens pas, je crois en Dieu même quand il est silencieux.” Voilà, j’en suis là. »

«Il n’y a aucune justice dans la haine et le meurtre»

« Quand j’étais jeune, les choses étaient claires. J’étais de gauche. Aujourd’hui, je ne sais plus quoi dire. Il y a comme un miroir avec deux profils qui ne disent pas la vérité mais pensent la détenir. La peur nous renferme. Mais quelque chose va commencer à émerger de notre côté.

« Bien sûr que je ne comprends pas et n’excuse pas les attaques au couteau. Il faudrait être fou ! Il n’y a aucune justice dans la haine et le meurtre. Si vous êtes désespérés, hurlez, mais ne tuez pas. Je ne sais pas comment leurs dirigeants peuvent vivre avec le fait d’envoyer des enfants à la mort. C’est comme une infection. Les mots précèdent les actions, même s’ils peuvent toujours dire qu’ils n’ont rien fait, eux. Vous devez comprendre une chose. Le monde n’a pas montré beaucoup d’amour à l’égard du peuple juif. C’est un des plus petits pays au monde, et c’est tout ce qu’on a. Mais on n’est pas venu ici pour être des conquérants, des vainqueurs. Ce n’est pas le rôle des juifs dans le monde. On a été jetés hors de ce pays il y a deux mille ans. Les Arabes sont restés là ensuite, et on ne peut l’ignorer. Il y a un peuple palestinien. La réalité est tellement compliquée.

« A cause des attaques, je ne vais plus au supermarché, je me fais livrer. Il y a deux jours, je suis allée à Jérusalem pour voir mes parents. J’ai pris la voiture, il était hors de question de prendre le bus ou le train. J’ai quand même eu peur sur la route. Je garde tout le temps les yeux ouverts. Quand je sors mon chien, je me dis : “Comprendra-t-il, s’il arrive quelque chose, qu’il faut soudain courir très vite ?” Je sors le moins possible, je regarde partout. En arrivant ici pour la manifestation, je me suis dit, mince, il y a beaucoup de monde, c’est le lieu parfait pour une attaque. Mon frère est chauffeur de taxi. Ça aussi, ça fait peur. Mes parents sont revenus de l’étranger la semaine passée. Ils ont raté un vol et sont restés bloqués quatre heures à Istanbul. J’étais terrifiée».

« J’ai quitté Jérusalem pour Tel-Aviv en 1995, quand Rabin est mort et que les bus explosaient [pendant la seconde Intifada]. C’était trop pour moi. Je ne supportais plus d’avoir peur tout le temps. Ce qu’on était, ce qu’on pensait il y a vingt ans n’est plus pertinent. On était naïfs. Ils veulent vraiment nous tuer, de tout leur cœur, ces terroristes. La violence vous fait croire que la peur contrôle le monde. J’espère que la lumière sera plus grande que l’ombre. »

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