Elections en Iran: Hassan Rohani semble avoir gagné la première manche

  28 Février 2016    Lu: 1219
Elections en Iran: Hassan Rohani semble avoir gagné la première manche
Said Musayev, rédacteur responsable pour AzVision en français
Après l`accord sur le nucléaire iranien et la levée des sanctions internationales, les Iraniens devaient renouveler leur Parlement, ce vendredi. Les "durs" du régime se sont efforcés de barrer la route des réformateurs et des modérés. L`analyse d`Ahmad Salamatian, ancien homme politique iranien installé en France.

Les Iraniens votaient nombreux ce vendredi à un double scrutin. Une occasion de mesurer le soutien à la politique d`ouverture du président modéré Hassan Rohani, après l`accord nucléaire conclu avec les grandes puissances. L`Express a interrogé Ahmad Salamatian, ancien homme politique iranien installé en France et observateur privilégié de la République islamique d`Iran.

Ces élections sont-elles un coup pour rien ou peuvent-elles réserver des surprises?

Je n`imaginais pas qu`on en serait là aujourd`hui, même si les élections iraniennes nous ont habitué aux rebondissements. Un an et demi après l`élection du président Rohani, à l`été 2013, les négociations sur le nucléaire traînaient. Hassan Rohani a fait deux catégories de promesses: sur le plan intérieur et sur le plan extérieur. Il a fait le choix de régler en priorité le problème extérieur, résoudre la crise liée au programme nucléaire iranien et faire lever les sanctions, avant de s`attaquer aux questions intérieures. Personnellement, j`avais des doutes sur cette stratégie; compte-tenu du rapport de force au sein du sérail iranien, je craignais que le régime laisse le président régler la question nucléaire et des sanctions, et qu`il reprenne la main une fois celle étape acquise.

C`est-à-dire...

Le Guide de la Révolution, Ali Khamenei, est très proche du courant conservateur selon qui le changement pourrait être fatal à la République islamique. A l`inverse, Hassan Rohani fait partie de ceux pour qui la survie du système actuel doit passer par des adaptations.

Finalement, le président Rohani a gagné la première manche. Il a réussi à mener à son terme l`accord sur le nucléaire, ce qui n`était pas une mince affaire. Certes, il aurait aimé récolter plus tôt les fruits de l`accord, afin d`en tirer véritablement profit lors de ces élections. Or, les effets concrets de la levée des sanctions ne se font pas encore sentir pour la population.

Au plan politique, les "durs" du régime ont tenté d`empêcher la percée des réformateurs en excluant un grand nombre de leurs candidats...

Ali Khamenei, à la tête des conservateurs, a usé de tous les moyens pour mettre des bâtons dans les roues de M. Rohani. Le Guide de la révolution dont le pouvoir, à vie, s`use alors que le président élu bénéficie de la légitimité des urnes, est de plus en plus irrité par l`assurance du président. Dès son entrée en fonction, ce dernier a remis en cause la gestion de ses prédécesseurs, en visant non seulement l`ex-président Mahmoud Ahmadinejad, mais en arrière-plan, le Guide de la révolution. A la veille des élections de ce vendredi, la violence verbale entre les deux plus hauts dirigeants de l`État était très vive.

Comment expliquer l`alliance entre réformateurs et conservateurs modérés?

Ces élections n`ont pas été préparées seulement par Hassan Rohani ou l`ancien président Hachemi Rafsandjani, le "Deng Xiaoping de la vie politique iranienne". L`ancien président réformateur Mohammad Khatami a aussi été à la manoeuvre. En un an et demi, il a travaillé avec patience à monter une coalition de groupes disparates allant des réformateurs aux conservateurs pragmatiques.

Dans quel but ?

Les dernières élections législatives, en 2012, avaient été boycottées par le mouvement Vert (réformateur) et leurs partisans, après les élections entachées de fraude de 2009 et la répression qui avait suivi. Cela avait assuré aux ultraconservateurs le contrôle du Parlement. Mohammad Khatami a compris avant les autres que les électeurs reviendraient aux urnes. C`est ce qui s`est produit en 2013. Mais s`il n`avait pas réussi à convaincre le candidat réformateur, Mohammad Reza Aref, de se désister en faveur du conservateur modéré Hassan Rohani, ce dernier ne serait pas président aujourd`hui et le candidat des radicaux l`aurait probablement emporté. Khatami a depuis lors travaillé à rassembler un large spectre de personnalités, depuis les Verts jusqu`aux conservateurs pragmatiques. Khatami est parvenu à convaincre ces derniers que la survie du régime passait par des réformes.

C`est aussi la montée en puissance de l`institution des Gardiens de la révolution qui a permis de former cette très large coalition. Les différents clans politiques craignent une évolution des Gardiens en Business army à la pakistanaise, où l`armée contrôle complètement le pays.

Le président Rohani pourrait, selon vous, sortir renforcé de cette joute électorale ?

L`enjeu désormais est de savoir si toutes ces manoeuvres parviennent à convaincre suffisamment d`électeurs de se rendre aux urnes. On sait que jusqu`à 44% de taux de participation, les conservateurs l`emportent, grâce à leur socle clientéliste (bassidjis, Gardiens de la révolution, bénéficiaires des fondations religieuses). A 55%, les fondamentalistes seront en difficulté. A partir de 70%, ils peuvent être balayés. C`est pourquoi l`enjeu du taux de participation inquiète tant les radicaux. La liste de Hassan Rohani s`appelle "L`espoir". La société iranienne sait se mobiliser au moment des élections quand elle comprend que cela peut faire avancer les choses. La mobilisation via le très populaire réseau social Telegram a été considérable, ces derniers jours. Même les partisans du mouvement vert et les opposants en prison ont annoncé qu`ils voteraient pour la Liste de l`espoir.

Et maintenant ?

Hassan Rohani semble avoir réussi à gagner la première manche en s`assurant un parlement sur lequel s`appuyer pour mener sa politique. S`il réussit à améliorer la situation économique, il s`assure un deuxième mandat, et la poursuite de l`ouverture. Mais bien sûr, sa réussite économique dépendra aussi de la façon dont les relations avec les pays occidentaux vont se poursuivre, en particulier du résultat des élections aux Etats-Unis.

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