L`OTAN dans le piège de la crise syrienne - ANALYSE

  22 Février 2016    Lu: 1756
L`OTAN dans le piège de la crise syrienne - ANALYSE
Yves Bourdillon, Journaliste au service International
Le moindre dérapage entre la Russie et la Turquie peut placer l`Alliance atlantique devant un dilemme insupportable : entrer en guerre au nom de la solidarité entre membres de l`Otan ou reculer, et ruiner du même coup sa crédibilité.

La crise syrienne peut-elle piéger l`OTAN au point de conduire à son éclatement ? La question, dramatique pour la sécurité des Occidentaux, peut paraître incongrue. Grâce à une cohésion sans faille, l`Alliance atlantique n`a-t-elle pas fini par terrasser l`Union soviétique, la plus formidable machine de guerre de tous les temps ? Mais les capacités corrosives de la crise syrienne sont à prendre au sérieux. Elle produit des cohortes de terroristes capables de frapper en plein Paris. Et elle alimente un flot de réfugiés qui déstabilise les pays européens et menace l`existence même de l`espace Schengen.
Même si les combats en Syrie n`ont pas lieu sur le territoire de l`Otan, cette crise menace donc la sécurité de ses membres. Mais l`Alliance reste étrangement inopérante, au point que Leon Wieselter, de la Brookings Institution, dénonce la « faillite morale de la politique américaine et occidentale en Syrie ». Washington a visiblement renoncé à peser dans l`ouest du pays, préempté depuis octobre par l`intervention russe. Il se concentre sur la seule destruction de l`Etat islamique (Daech), à l`est ou en Irak. On peut comprendre que les Occidentaux rechignent à s`impliquer dans un tel bourbier, où tout intervenant extérieur est obligé de s`allier avec des criminels, puisque plus aucun belligérant n`est « modéré » depuis longtemps…

Pour autant, tout à son obsession de « ne pas répéter les erreurs de Bush » et de pivoter vers l`Asie, Barack Obama semble ignorer deux dangers. Celui, tout d`abord, d`une liquidation, par l`axe Damas-Téhéran-Moscou, des rebelles non djihadistes, soutenus par Ankara-Riyad et l`Ouest. Le Kremlin, dont 80 % des raids en Syrie visent ces seuls rebelles, veut in fine que les Occidentaux n`aient plus le choix qu`entre Damas et Daech. Au risque de pousser dans les bras de ce dernier les rebelles sunnites défaits. En outre, la stratégie russe de la terre brûlée (bombardements d`hôpitaux compris) gonfle le flot des réfugiés vers l`Europe, ce qui devrait encore doper les scores électoraux d`une extrême droite européenne anti-atlantiste… Face à cela, Obama n`oppose que des condamnations verbales et des appels à la diplomatie. « Les historiens se demanderont un jour ce que nous pensions pouvoir obtenir avec de telles déclarations » lénifiantes, s`insurge Jonathan Schanzer, de la Foundation for Defense of Democraties.

Deuxième danger : malgré les objurgations d`Obama, le régime turc bombarde les forces kurdes des YPG en Syrie (soutenues au demeurant par Washington). Et risque d`être obligé d`intervenir au sol pour éviter la chute de la ville d`Azaz. Ce qui peut déclencher un conflit entre la Russie et la Turquie ! Or, cette dernière est membre de l`Otan, dont la crédibilité repose, comme les mousquetaires, sur sa doctrine « un pour tous, tous pour un ». Son article 5 stipule qu`une agression contre l`un de ses 28 membres serait considérée comme une agression contre tous. De quoi glacer le sang et évoquer, comme le Premier ministre russe, Dimitri Medvedev, la récurrente antienne d`une troisième guerre mondiale.
Ce scénario du pire demeure, toutefois, très improbable. La Russie a tout autant que l`Ouest intérêt à éviter un conflit, même limité, avec une Alliance atlantique aussi nucléarisée qu`elle. Et elle sait que la Turquie, deuxième armée de terre de l`Otan (420.000 soldats, 5.000 chars) est d`un autre calibre que celle de l`Ukraine. Le régime Erdogan est pour sa part « conscient du danger », souligne Sinan Ulgen, analyste de l`institut Istanbul Ekonomi. « Il a pour priorité de contrer les Kurdes en Syrie, en empêchant à tout prix que tombe la ville d`Azaz, sans aller au conflit avec Moscou. »

Mais l`histoire regorge de conflits déclenchés par des bavures ou des erreurs de calcul. Et Vladimir Poutine, joueur de poker très offensif, pourrait avoir repéré là une opportunité de faire voler l`Otan en éclats : prendre le moindre prétexte, comparable à la destruction fin novembre d`un avion russe par la chasse turque, pour déclencher une riposte d`ampleur sur le territoire turc. Ce qui mettrait l`Otan devant un dilemme insupportable : déclencher l`article 5 pour entrer en guerre aux côtés d`un allié turc horripilant ou renoncer et ruiner la crédibilité de l`Alliance.

Pour Bruno Tertrais de la Fondation pour la recherche stratégique, il s`agit là d`une prise de risques extrême, constituant « une rupture majeure avec la stratégie suivie jusqu`ici par Poutine ». Mais peut-être le président russe est-il persuadé d`en sortir vainqueur, convaincu que les dirigeants occidentaux n`ont pas de tripes. Il prendrait alors une revanche sur cette Otan honnie, responsable de la fin de l`URSS, la plus grande catastrophe géostratégique du XXe siècle, selon lui.

Sauf que... l`Otan peut très bien préserver sa crédibilité sans pour autant entrer en conflit avec la Russie. L`article 5, en effet, n`impose pas aux armées de l`Otan d`aller au combat, mais seulement d`entreprendre « toute action jugée nécessaire », par exemple en fournissant munitions et renseignements. La riposte de l`Otan pourrait être très graduée. Selon Bruno Tertrais, « les pressions américaines seraient très fortes pour rester solidaire de la Turquie, car l`intérêt supérieur de l`Otan serait en jeu ». Un test extrême qu`il serait quand même préférable d`éviter. Car les Européens n`ont pas d`alternative à l`Otan. Leur défense commune est dans les limbes depuis un demi-siècle. Seules les armées française et britannique sont des gros calibres, que leurs alliées européennes ne suivent quasiment pas au combat. Et on voit mal comment des Européens incapables de se répartir des flots de réfugiés pourraient être prêts à mourir les uns pour les autres.

Même si les combats n`ont pas lieu sur le territoire de l`Otan, la crise syrienne menace la sécurité de ses membres. Les manoeuvres militaires russes contre les rebelles syriens, et turques, contre les kurdes, pourraient entraîner les deux nations dans un conflit délétère.
En cas d`agression, l`Otan, dont la Turquie est membre, serait dans l`obligation statutaire de venir en aide à son allié.


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