Le drame en plusieurs actes des mères adolescentes en Equateur

  10 Février 2020    Lu: 677
Le drame en plusieurs actes des mères adolescentes en Equateur

Elle a 13 ans, la maturité mentale d'une fillette de six qui joue encore, mais élève aussi son bébé de quatre mois, né d'un viol. En Equateur, la loi interdit d'avorter, punit l'abandon, sans faciliter pour autant l'adoption.

Cette adolescente et son petit sont hébergés dans un foyer religieux de Santo Domingo de los Colorados, à environ 230 km de Quito. Ils y ont été transférés sur ordre de la justice. C'est dans cet établissement, géré par des bénédictines et où l'AFP l'a rencontrée sous couvert d'anonymat, que son retard intellectuel a été diagnostiqué.

Personne dans sa famille, à l'école ou à l'hôpital où elle a accouché, ne l'avait noté, déplore soeur Ewa Pilarska, directrice polonaise du foyer Valle Feliz (Vallée heureuse) qui, sur trois hectares, accueille 44 mineures jusqu'à leurs 18 ans. La plupart viennent de familles déstructurées.

Quand son bébé dort, la petite renoue avec son âge, fait des puzzles ou court dans les jardins avec d'autres victimes d'agressions sexuelles. «Elles retrouvent les ailes de l'enfance que quelqu'un leur a coupées», s'émeut la directrice.

Si elle n'est pas adoptée avec son bébé avant sa majorité, la très jeune mère devra, comme ses camarades, quitter le foyer. Elle risque fort de se retrouver à la rue, ouvrant un nouveau chapitre de son drame.

Elle a été violée par le compagnon de sa grand-mère, qui lorsqu'elle s'est aperçue de la grossesse «a caché la petite, ne la laissait pas sortir, ne la nourrissait pas et la rouait de coups pour provoquer une fausse-couche. Le violeur et la grand-mère sont en fuite», explique Leonela Valarezo, psychologue du foyer.

Un crime bien dissimulé

En 2018, 2089 mineures de 10 à 14 ans ont accouché en Equateur, selon le ministère de la Santé. La loi sanctionne le viol des moins de 14 ans, mais pénalise aussi l'avortement sauf en cas de risque mortel pour la mère, ou si elle a des problèmes mentaux et a été violée.

«Le viol au sein de la famille est un secret très bien gardé», dénonce Virginia Gomez de la Torre, de la fondation Défi. L'an dernier, le Parquet a reçu en moyenne 14 plaintes par jour pour agression sexuelle. La majorité de ces crimes, sanctionnés par des peines allant jusqu'à 22 ans de prison, sont liés à l'inceste, selon cette experte.

En Amérique latine, Cuba, l'Uruguay, Porto Rico et la ville de Mexico ont légalisé l'avortement pendant les premières semaines de grossesse. D'autres comme la Colombie et le Brésil l'autorisent en cas de viol.

Si la législation est moins répressive qu'au Salvador, au Honduras ou au Nicaragua, où il est pénalisé sans exception, en Equateur il est extrêmement limité. Et l'adoption par consentement de la mère relève d'une procédure complexe de plusieurs années.

Dans de nombreux cas, «elles sont mineures et les juges ne prennent pas en compte leur volonté, et ils sont encore plus réticents concernant les filles souffrant d'un handicap mental», précise l'avocate Mayra Tirira, du collectif féministe Surkuna.

Pas d'explication à donner

Au foyer Valle Feliz, personne n'envisage l'avortement, ni davantage d'enfants rejetés. Pour les seules années 2017 et 2018, 126 foetus ou nouveaux nés ont été retrouvés enterrés ou abandonnés à leur sort, y compris dans des décharges d'ordures, selon le programme catholique Bebés al Cielo (Bébés au ciel).

Dans ce pays conservateur, les bénédictines accueillent les femmes vulnérables et, depuis décembre, elles ont aménagé la Cuna de Vida (Berceau de vie), ouverture discrète où les mères peuvent laisser leur bébé sans donner d'explications.

En appuyant sur un bouton, cette fenêtre blindée s'ouvre sur un berceau métallique, puis se referme au bout de 30 secondes. «Chère maman, tu viens de laisser ton bébé au foyer Valle Feliz. Nous le recevons avec beaucoup d'affection et t'assurons qu'il sera pris soin de lui», affirme une affichette. «Nous ne savons pas ce qui s'est passé dans ta vie pour que tu prennes cette décision, ni ne le jugeons. Nous t'attendrons les trois premiers mois afin de t'aider et te remettre ton enfant si tu le veux ainsi. Si tu ne viens pas, nous entamerons la procédure de remise en adoption afin que ton bébé ait une nouvelle famille», ajoute le message.

La législation prévoit jusqu'à trois ans de prison si un enfant est abandonné à son sort, et jusqu'à 19 ans s'il meurt. A fin janvier, ce berceau n'avait toutefois encore accueilli aucun bébé. (AFP)


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