La charge antinucléaire du pape François à Nagasaki

  24 Novembre 2019    Lu: 577
La charge antinucléaire du pape François à Nagasaki

REUTERS/Remo Casilli

Tant à Nagasaki ce dimanche matin qu’à Hiroshima dans l’après-midi, le pape François délégitime pour la première fois la dissuasion militaire.

François aura choisi le site de Nagasaki au Japon, dimanche 24 novembre, pour lancer une charge sans précédent contre la « dissuasion nucléaire ». Il la considère comme une « dichotomie perverse » : pour « défendre et garantir la stabilité et la paix », un but louable, elle utilise un moyen non éthique, la « crainte et de la méfiance ». Ce qui créé une « fausse sécurité » à ses yeux qui finit par « envenimer les relations entre les peuples et empêcher tout dialogue possible ».

Autrement dit, le pape voudrait que l’équilibre de la terreur - clé de voûte de la dissuasion nucléaire - soit remplacé par un nouvel équilibre fondé sur la confiance et de la solidarité. François en est certain : « une paix internationale vraie et constante ne peut se fonder sur l’équilibre des forces militaires, mais uniquement sur la confiance réciproque ».

Ce discours qualifié « d’historique » dans l’entourage du pape et vrai but de son voyage au Japon, devait être suivi par un second discours tout aussi important, prononcé à Hiroshima, dimanche, en fin d’après-midi sur un autre aspect des armes nucléaires.

Mais rejeter ainsi, et à ce niveau, la licéité de la dissuasion nucléaire marque une nouveauté dans l’Eglise catholique. Cette dissuasion nucléaire, l’Eglise catholique l’a toujours admise comme un « mal nécessaire » comme l’avait caractérisé Jean-Paul II à la tribune des Nations unies en 1982. Près de quatre décennies plus tard, elle n’est plus recevable pour le pape François. Le monde géostratégique bipolaire d’alors est désormais entré dans une complexité multipolaire.

Idéal en réalité
Dans ce discours prononcé dimanche matin à l’Atomic Bomb Hypocenter Park de Nagasaki, François a résumé cette position devant des survivants victimes de l’attaque du 9 août 1945, témoins de « l’horreur indescriptible » : « La paix et la stabilité internationales sont incompatibles avec toute tentative de compter sur la peur de la destruction réciproque ou sur une menace d’anéantissement total ; elles ne sont possibles qu’à partir d’une éthique globale de solidarité et de coopération au service d’un avenir façonné par l’interdépendance et la coresponsabilité au sein de toute la famille humaine d’aujourd’hui et de demain »

Le chef de l’Eglise catholique a aussi critiqué « La possession des armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive ». Il y a deux ans, en 2017, François avait pour la première fois affirmé que la « possession » d’armes nucléaires était « immorale ». L’Eglise condamnait jusque-là seulement leur « usage ».

Mais comment « rompre la dynamique de la méfiance » ? Pour François « un monde en paix » - donc « libre des armes nucléaires » - est une « aspiration » partagée par « des millions d’hommes et de femmes ». C’est donc « avec la participation de tous » qu’il sera possible de « transformer cet idéal en réalité ».

« Notre réponse à la menace des armes nucléaires doit être collective et concertée

Pape François
Tous ? « Individus, communautés religieuses, société civile, Etats dotés d’armes nucléaires et ceux qui n’en possèdent pas, secteurs militaires et privés, et organisations internationales. » François en est persuadé « Notre réponse à la menace des armes nucléaires doit être collective et concertée, sur la base de la construction, ardue mais constante, d’une confiance mutuelle qui brise la dynamique de méfiance qui prévaut actuellement ».

Quant à l’enjeu de ce combat, il nécessite « une attention urgente » en raison du « risque » actuel de « démantèlement de l’architecture internationale de contrôle des armes » et de « l’érosion du multilatéralisme ». C’est « d’autant plus grave » que « le développement des nouvelles technologies des armes » est maintenant accessibles à beaucoup de petits Etats.

François lance donc cet appel mondial : « Convaincu qu’un monde sans armes nucléaires est possible et nécessaire, je demande aux leaders politiques de ne pas oublier que ces armes ne nous défendent pas des menaces contre la sécurité nationale et internationale de notre temps. Il faut considérer l’impact catastrophique de leur usage du point de vue humanitaire et environnemental, en renonçant au renforcement d’un climat de crainte, de méfiance et d’hostilité, créé par des doctrines nucléaires ».

À Nagasaki, le pape a également justifié l’intervention de l’Eglise dans ces problématiques militaires et géopolitiques internationales. C’est un « engagement irrévocable » a-t-il lancé mais c’est aussi « un devoir auquel l’Eglise se sent obligée devant Dieu comme devant tous les hommes et les femmes de cette terre : « Nous ne pourrons jamais nous lasser d’oeuvrer et de soutenir avec une insistance persistante les principaux instruments juridiques internationaux de désarmement et de non-prolifération nucléaire, y compris le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. »

Avant de conclure par la prière pour la paix de Saint François d’Assise, le pape a aussi demandé une « réflexion sérieuse » sur « la manière dont toutes les ressources » économisée par l’arrêt de la course aux armements pourraient être utilisées. S’érigeant avec force contre « le gaspillage » de « précieuses ressources » occasionné par « la course aux armements » il a lancé cet avertissement : « Dans le monde d’aujourd’hui, où des millions d’enfants et de familles vivent dans des conditions inhumaines, l’argent dépensé et les fortunes gagnées dans la fabrication, la modernisation, l’entretien et la vente d’armes toujours plus destructrices sont un outrage continuel qui crie vers le Ciel ». Et a relancé la suggestion de Paul VI en 1964 : « il proposa d’aider les plus déshérités à travers un Fond Mondial, alimenté par une partie des dépenses militaires ».

Avec Le Figaro, par Jean-Marie Guénois


Tags: papeFrançois   Nagasaki  


Fil d'info