Nucléaire iranien : six questions après la décision de Trump

  10 Mai 2018    Lu: 4352
Nucléaire iranien : six questions après la décision de Trump

La décision de Donald Trump de retirer les États-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien ouvre une période d'incertitude sur la scène politique internationale.

S'il était attendu, l'annonce du retrait des États-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien n'en reste pas moins une catastrophe diplomatique. La décision de Donald Trump engage la crédibilité américaine sur la scène internationale et plonge nombre de pays dans l'incertitude aussi bien au niveau régional qu'international. Le Figarofait le point sur les questions soulevé par le retrait de la signature américaine.

• Les accusations de Donald Trump sont-elles fondées?

Donald Trump l'assure: il a des preuves. «Au cœur de l'accord iranien, il y avait un énorme mythe selon laquelle un régime meurtrier ne cherchait qu'un programme pacifique d'énergie nucléaire, affirme-t-il. Aujourd'hui nous avons la preuve définitive que la promesse iranienne était un mensonge.» On n'en sait pas plus sur les éléments dont le locataire de la Maison Blanche affirme être en possession.

S'agit-il de ceux avancés par le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou il y a peu? Selon tous les experts, ces documents n'ont rien apporté et n'ont montré aucune activité suspecte de l'Iran après 2015, date de la signature de l'accord. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) avait même assuré après ces «révélations» qu'elle n'avait noté «aucune indication crédible d'activité en Iran liées au développement d'un engin nucléaire depuis 2009». L'agence internationale, qui inspecte scrupuleusement les installations iraniennes, annonce que Téhéran respecte bien les engagements pris en 2015. Ces derniers ne lui permettent pas d'accéder à l'arme nucléaire sans que la communauté internationale ne soit au courant.

• L'accord peut-il tenir?

L'accord «n'est pas mort», veut croire le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian. Il est vrai qu'en théorie l'accord pourrait continuer à vivre sans les États-Unis, dont le retrait est une décision unilatérale. Il est pourtant impossible de dire aujourd'hui ce qu'il va advenir en l'absence du poids-lourd américain. Emmanuel Macron doit s'entretenir mercredi après-midi avec le président iranien Hassan Rohani. Les ministres des Affaires étrangères de la France, de l'Allemagne et du Royaume-Uni doivent rencontrer lundi les représentants iraniens. Ces derniers ont décidé de ne pas prendre de mesures immédiates suite au retrait américain, préférant voir ce que feront Européens, Russes et Chinois.

Mais plus que le retrait, c'est la question des sanctions imposées par les États-Unis aux entreprises qui commerceraient avec l'Iran qui pourraient mettre sérieusement à mal l'ouverture économique offerte en contrepartie de l'abandon des sanctions et ainsi le rendre caduque.

• Quelles conséquences pour les entreprises?

C'est donc le point qui va faire mal, notamment pour les entreprises européennes qui avaient tout à gagner de l'accord iranien. En deux ans, la France avait ainsi multiplié son excédent commercial avec l'Iran par trois. Deux phases de sanctions américaines doivent se mettre en place, au bout de trois mois puis de six. Une durée censée être suffisante pour que les entreprises rompent leurs liens avec l'Iran.

Plusieurs grandes entreprises françaises pourraient être directement impactées au premier rang desquelles Total, qui s'est engagé dans l'exploitation d'un des plus grands gisements de gaz au monde, situé en Iran. Téhéran a par ailleurs passé une commande d'une centaine d'appareils à Airbus, pour un montant de plusieurs milliards de dollars. Enfin, il y a le domaine automobile avec Renault et PSA. Cette dernière a vendu plus de 400.000 véhicules l'an dernier et prévoyait d'en vendre trois millions d'ici 2030.

• Quelles conséquences en Iran?

Le retrait unilatéral des États-Unis aura, naturellement, un impact conséquent sur l'Iran et sa politique intérieure. Le premier touché pourrait être Hassan Rohani, le président iranien, qui a eu un rôle déterminant dans la signature de l'accord. Il a su obtenir un texte qui pouvait convenir au Guide suprême, qui l'avait approuvé malgré quelques réserves.

L'économie du pays dépend énormément de la vente des réserves de gaz et de pétrole. Les sanctions américaines pourraient diminuer les revenues qui en sont issus par deux et donc entraîner le retour de difficultés pour les Iraniens. Ainsi, si Airbus ne peut honorer la commande passée par Téhéran, le pays sera incapable de moderniser sa flotte aérienne civile. Pire, l'Iran pourrait être obligée d'avoir recours au marché noir pour se procurer des produits de base, tels que des médicaments. Pour le moment Rohani n'est pas désapprouvé, mais si les discussions échouent, il est possible que les conservateurs sortent vainqueurs de l'épreuve.

• Quelles conséquences au niveau régional?

«Il y a une alliance de fait entre deux acteurs régionaux, explique Karim Pakzad, chercheur à l'Iris et spécialiste de l'Iran: l'Arabie Saoudite et Israël, qui sont les seuls pays à s'être réjoui de la sortie américaine de l'accord. Ils n'attendaient que cela pour poursuivre plus en avant des opérations anti-iraniennes.» Selon le chercheur, c'est sans doute également le jeu que joue Washington, «qui n'attend pas que l'Iran rentre dans le rang mais souhaite à terme, comme l'a déjà dit le président Trump et son entourage, renverser le régime de Téhéran.»

Donald Trump, dans ses critiques de l'accord, a notamment regretté qu'aucune close ne concerne le développement de missiles balistiques iraniens. L'ONU y avait ajouté une clause, demandant à l'Iran de ne pas développer de missiles pouvant transporter des charges nucléaires. «Aucun accord international n'interdit de développer des missiles, tempère Karim Pakzad. Les Iraniens en ont fait leur arme de dissuasion à eux. L'Iran est très faible militairement et serait bien incapable de tenir tête militairement à Israël ou à l'Arabie saoudite.»

Par Julien Licourt


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