Élection présidentielle en Russie: cinq choses à savoir sur une "drôle de campagne"

  16 Mars 2018    Lu: 2117
Élection présidentielle en Russie: cinq choses à savoir sur une "drôle de campagne"

Dimanche, les Russes sont appelés à élire leur président de la République. Une élection sans véritable suspense que devrait facilement remporter Vladimir Poutine. Décryptage.

Une élection indécise et ouverte, des rebondissements, un suspense haletant jusqu’à la dernière minute et un dénouement qui modifie profondément le paysage politique du pays. En Russie, ce scénario, celui de la présidentielle française de 2017, en fait probablement rêver plus d’un. Car ce qui se joue en ce moment au pays de Vladimir Poutine n’a absolument rien de comparable.

Dimanche, les électeurs du plus vaste pays de la planète vont offrir, sauf improbable coup de tonnerre, un quatrième mandat à leur président sortant. Le dernier sondage, publié le 12 mars, accordait 69% des intentions de vote à Vladimir Poutine. Son principal rival, le candidat du Parti communiste russe Pavel Groudinine, était crédité de 7 à 8%, suivi, à 5–6%, de l’ultranationaliste Vladimir Jirinovski. Autant dire que le suspense est mince.

Actuellement en Russie pour suivre le scrutin, la politologue et spécialiste de la vie politique russe Clémentine Fauconnier, chercheuse post-doctorante à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales), décrypte le contexte et les enjeux de ce rendez-vous majeur de la vie politique russe.

1– Une campagne "ennuyeuse"

Pour évoquer la façon dont s’est déroulée la campagne électorale russe, Clémentine Fauconnier aime parler dune "drôle de campagne". Et pour cause… "C’est une référence à la 'drôle de guerre’ en France. Ça signifie que la campagne n’a pas eu lieu, qu’elle est assez ennuyeuse."

Largement favori, Vladimir Poutine est resté au-dessus de la mêlée, faisant le "service minimum" : "Il a fait un meeting, a donné deux ou trois interviews mais sinon, il s’est peu impliqué dans la campagne. Il y a eu quelques débats entre les autres candidats mais qui ont plutôt été en leur défaveur… L’opposition a donné une image assez négative d’elle-même".

Si "tout le monde sait qu’il va y avoir des élections" en Russie, cette absence de débat contradictoire a forcément contribué à démobiliser les électeurs. "Il y a un sentiment général d’exaspération par rapport à la façon dont la campagne se passe, reprend la politologue. Il y a un vrai risque que le taux de participation soit assez bas. Personne n’est dupe de la façon dont ces élections se déroulent". 

2– L’abstention, seul et unique enjeu

L’enjeu, car il y en a tout de même un, se concentre donc uniquement sur le taux de participation. "Quand on se promène dans les villes, à Moscou ou Saint-Pétersbourg, c’est la seule chose qu’on voit. Les grandes affiches de la commission électorale disent uniquement 'allez voter’. Même moi, je reçois sur mon portable russe des messages me disant d’aller voter. Dans les supermarchés, on voit un message sur les tickets de caisse disant 'allez voter’. C’est un matraquage qui s’est complètement substitué à la campagne".

3– Navalny, le grand absent

Pourquoi le pouvoir accorde-t-il une telle importance au taux de participation ? L’explication, au-delà d’une démobilisatrice absence de suspense, est évidemment politique : "Le principal opposant à Vladimir PoutineAlexeï Navalny, qui a été déclaré inéligible par les autorités, a appelé les électeurs au boycott. Donc si le taux d’abstention est élevé, on y verra un effet de la capacité qu’a Navalny à avoir une influence sur l’électorat et la population russe".

"Pour Navalny, même si c’est peu probable, la victoire serait d’avoir une participation inférieure à 50%", reprend Clémentine Fauconnier. "Ça montrerait qu’une majorité de la population boycotte ces élections. Mais il y a un tel investissement des autorités qu’il faut s’attendre plutôt à un taux de participation aux alentours de 55 à 60%".

S’il avait pu participer à l’élection, Alexeï Navalny aurait-il pu concurrencer réellement Vladimir Poutine ? "Je ne pense pas", reprend-elle. "En revanche, il aurait pu mobiliser de façon importante les mécontents et mettre en avant des thèmes qui fâchent. C’est pour ça que les autorités l’ont empêché de participer".

4– Poutine s’internationalise

Contrairement à une idée assez répandue en occident, Vladimir Poutine ne fait pas l’objet d’un "culte de la personnalité" en Russie, assure Clémentine Fauconnier. "C’est Poutine parce que c’est le seul capable de maintenir ensemble une partie de l’élite. On le voit comme le garant d’une sorte de stabilité. Mais il n’y a pas de fanatisme. Il n’y a pas une adhésion très très forte à sa personne."

Pour autant, le "Tsar" est très populaire, avec "75 à 80% d’opinions favorables". Une cote qui avait baissé "à environ 60% dans les années 2010–2014" et qui est remontée suite à l’annexion de la Crimée. "Il est revenu à sa vitesse de croisière en raison de ses succès sur la scène internationale et de l’image qu’il donne d’une Russie forte, crainte par le reste du monde". En conséquence, à l’inverse des campagnes précédentes où le président russe se posait comme "le garant" de la "stabilité économique et sociale" du pays, Poutine a changé de stratégie ces dernières années.

"Maintenant que les effets de la crise se font sentir, la situation économique et sociale est devenue un motif de mécontentement dans l’électorat", reprend Clémentine Fauconnier. "Si Poutine est légitime et populaire, c’est pour son rôle international. Il met désormais en avant une rhétorique assez 'Guerre froide’ sur la grandeur stratégique et militaire internationale de la Russie, et sur ses ennemis, ses rivaux, notamment les États-Unis. C’est un vrai changement".

5– Quatrième et dernier mandat

Le scénario qui se dessine au lendemain du probable succès de Vladimir Poutine s’inscrira dans la continuité de la politique menée ces dernières années, estime la chercheuse : "Je pense qu’on va avoir malgré tout une forme de durcissement vis-à-vis de la société civile, comme on l’observe déjà depuis 2012. Il n’y a pas de raison que ça s’arrange."


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