L’Américain John Godfrey Morris, légende du photojournalisme du XXe siècle, est mort

  29 Juillet 2017    Lu: 576
L’Américain John Godfrey Morris, légende du photojournalisme du XXe siècle, est mort
Le journaliste et rédacteur photo américain, ami de Robert Capa, s’est éteint vendredi 28 juillet à l’âge de 100 ans

« Je suis journaliste, mais ni reporter, ni photographe », expliquait John Godfrey Morris dans son autobiographie. Ainsi essayait-il de définir le métier de photo editor, qui consiste à envoyer les photographes en reportage, guider leurs angles, puis choisir et mettre en scène leurs images. Figure du photojournalisme du XXe siècle, l’Américain est mort à Paris à l’âge de 100 ans, vendredi 28 juillet, ont fait savoir ses proches. Sa mort a été confirmée auprès du New York Times par Robert Pledge, un ami proche du journaliste et fondateur de l’agence Contact Press Images.
Sa carrière avait commencé chez Life au début des années 1940, en passant par l’agence Magnum Photos, le Ladies Home Journal, le New York Times, le Washington Post, jusqu’au National Geographic. Comme journaliste et comme homme d’archives, cet homme né à Maple Shade, dans le New Jersey, en 1916, s’était appliqué à consigner ses mémoires dans un livre autobiographique (Des hommes d’images, La Martinière, 1999), véritable manuel d’histoire du photojournalisme du XXe siècle.
Son appartement, niché près du boulevard Beaumarchais, à Paris, où il recevait souvent, servait aussi de miroir à ce témoin de l’histoire de la photographie. Au-dessus de l’une de ses tables de travail, il avait conservé quelques exemplaires de la revue Pulse, un magazine étudiant de l’université de Chicago, dont il était le rédacteur en chef. Déjà, il avait voulu faire tenir à la photographie une place prépondérante, s’inspirant de Life, déjà très populaire. Pulse « ne rémunérait pas son équipe ni ses collaborateurs, à l’exception des photographes, qui recevaient un dollar par cliché », écrit-il dans son autobiographie. La rémunération se complétait d’ailleurs d’une compensation de « 18 cent pour le flash, s’il n’y avait pas moyen de s’en passer ».
« Ce polisson de Bob »
Les pages de la revue font volontiers penser à des publications photographiques européennes de l’époque, telles que VU, pour lequel travaillait celui qui allait devenir un de ses grands complices, le photojournaliste d’origine hongroise Robert Capa, celui qu’il surnommait « ce polisson de Bob ».
Avant de le rencontrer, John Morris était préposé au courrier à Life au début des années 1940. Peu à peu, il commença à assister des photographes (dont W. Eugene Smith, en 1939, avec qui il est resté ami tout au long de sa vie) avant de devenir responsable de la photo pour le bureau européen du magazine, installé à Londres, alors que faisait rage la seconde guerre mondiale. Le Débarquement se préparait. L’envoyé spécial pour couvrir l’événement, ce serait Capa. « Tu n’es pas obligé d’y aller, ce n’est pas notre guerre », se souvenait d’avoir dit Morris à Capa, peu avant le D-Day. « Ne t’en fais pas John. On se retrouve à Paris », lui a répondu Capa, rassurant.


S’ensuit l’anecdote – aussi célèbre que controversée – dont il fut l’un des seuls témoins. Mardi 6 juin 1944 : le journaliste apprend que le Débarquement a commencé, et que, comme prévu, Robert Capa, en commande pour Life, est parti avec les troupes américaines.
John Morris attend impatiemment les précieux films, d’autant que les délais sont courts : il faut développer et choisir les photos, les faire valider par l’armée pour des raisons de sécurité militaire, pour les communiquer à la rédaction new-yorkaise du magazine avant bouclage, le samedi suivant. Dans la précipitation, une erreur de manipulation des pellicules aurait été commise, entraînant, selon la version rapportée par John Morris, la dégradation de la plupart des images réalisées par Capa sur les plages de Normandie. Malgré tout, une dizaine de clichés furent publiés. Dans un tiroir à archives, protégé dans une pochette en plastique, John avait conservé un exemplaire de ce numéro historique de Life.


L’épisode est resté douloureux pour John Morris, qui confia au Monde en 2015 qu’il se sentait « épuisé » par les questions suscitées par cette histoire, ranimée récemment par un critique américain, qui avait remis en cause cette version. En décembre 2016, il avait déclaré au New York Times qu’il pensait que l’hypothèse la plus probable fut que Robert Capa n’avait réussi à prendre que onze images, ce 6 juin 1944.


La « famille » Magnum
L’anecdote n’empêcha pas les deux hommes de rester amis. De nombreux photographes qu’il faisait travailler étaient membres de l’agence Magnum, fondée en 1947 par « Bob » Capa. Puis, en 1953, Capa lui proposa le poste de directeur de la rédaction de l’agence. Un poste qu’il tiendra jusqu’en 1961. Parlant de l’agence, Morris en dressait le portrait d’une « famille » pleine de fantaisistes, où l’on buvait du champagne entre « photographes, personnel, épouses et maîtresses »…
C’est aussi à cette période qu’il a commencé à recevoir et conseiller de jeunes artistes, dont certains sont devenus célèbres. Dans un tiroir de son appartement, il avait conservé plusieurs cartes de visite. L’une d’entre elles portait le nom de Robert Frank. Le jeune homme, fraîchement débarqué de sa Suisse natale, avait montré des travaux qu’il avait réalisés dans les rues de Paris et de Londres, et qui préfiguraient le célèbre livre qu’il allait consacrer aux Américains. Morris n’avait pas pu lui passer commande à l’époque. Mais au dos de la carte de visite, il avait écrit, en guise de note : « Génie ».
« Pacifiste »
Dans un coin de son salon, un portrait de Barack Obama en carton, grandeur nature, rappelle l’engagement politique de ce militant démocrate, ancien président des Democrats Abroad (l’association des démocrates expatriés). Morris se définissait également comme un pacifiste, et n’hésitait pas à veiller tard pour suivre les débats politiques à la télévision américaine, ou à l’occasion du discours annuel du président américain sur l’Etat de l’Union. Le jour de l’investiture de Donald Trump, le 20 janvier, alors qu’il était hospitalisé à Paris, il avait posé avec un panneau montrant le nom du nouveau président américain barré d’un bandeau rouge.
Sur les murs de l’appartement se trouvaient de nombreuses photographies. Celles de ses amis, « Henri » (Cartier-Bresson), ou « Marc » (Riboud), avaient bonne place près de son bureau. Une semblait manquer. Celle qu’il publia en « une » du New York Times, pour son édition du 2 février 1968, réalisée par Eddie Adams, montrant l’exécution d’un suspect vietcong par le général Nguyen Ngoc Loan à Saïgon.


La photographie, transmise par l’agence Associated Press à la rédaction du quotidien américain la veille, était arrivée dans les mains de John Morris quelques minutes avant la conférence de rédaction : « La question n’était pas de savoir s’il fallait l’utiliser ou pas, mais de déterminer la taille [sur la une]. » La décision fut rapidement prise. « Sur trois colonnes, en manchette », aurait-on dit, au Monde, qui ne vit la photographie apparaître sur ses « unes » que des années plus tard. « La photo d’Adams, plus que n’importe quelle autre image en provenance du Vietnam, incita les gens à se demander si cette guerre valait la peine », espérait-il. Outre le prix Pulitzer, cette image obtint le prix de la photo de l’année, décerné par le World Press.
Paris, « capitale du photojournalisme »
Quelques années plus tard, John Morris décida de quitter la presse quotidienne, pour devenir correspondant pour le National Geographic en Europe. Ce gamin de Chicago, devenu new-yorkais par la force des choses, serait aussi parisien. Paris – « la capitale mondiale du photojournalisme » –, il l’avait découverte en 1944, quelques semaines après le Débarquement. Parmi les documents qu’il avait gardés de l’époque figurent des lettres et des télégrammes, la plupart adressés à sa femme de l’époque, Mary Adele. Séduit par la France, il s’amusait d’ailleurs à signer ses lettres en francisant son nom : « Jean Souris » (« parce que Morris, prononcé rapidement, ça sonne comme “mouse” », disait-il), rêvant peut-être, un jour, d’y revenir. Un rêve réalisé en 1983.
Après sa retraite, il a continué activement à se passionner pour la photographie, participant à de nombreux jurys de prix de photojournalisme, à des conférences, écrivant ou alimentant presque quotidiennement son compte Facebook. Le dernier livre publié par John Morris fut un témoignage sur la France. L’ouvrage, intitulé Quelque part en France (Marabout, 2014) constitue un témoignage simple, fait d’images qu’il avait gardées jalousement dans des cartons, depuis l’été 1944, au cours duquel il avait suivi les troupes alliées jusqu’à Paris, qu’il visitait pour la première fois.
Ces images, les seules qui furent les siennes, ressemblent aux milliers de photographies que le journaliste aura publiées au cours de sa carrière. Des portraits d’enfant français, de soldats allemands faits prisonniers, et des paysages de guerre. Un témoignage supplémentaire de ces guerres du XXe siècle, ces « horreurs » qu’il fallait, selon lui, « faire connaître ».


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