Révélations sur la mort de dizaines de civils dans un bombardement américain en Syrie

  21 Novembre 2021    Lu: 590
Révélations sur la mort de dizaines de civils dans un bombardement américain en Syrie

Le « New York Times » révèle qu’une frappe américaine, en mars 2019 en Syrie, a tué des dizaines de civils, au lieu des quatre admis officieusement.

Evacuation de centaines de civils de l’enclave jihadiste de Baghouz, le 14 mars 2019 (Laurence Geai pour « Le Monde »)

Les Etats-Unis ont été contraints d’admettre coup sur coup que des soi-disant frappes « ciblées » contre des objectifs « terroristes » et militaires avaient en fait causé la mort de nombreux civils. C’est d’abord le bombardement du 29 août dernier à Kaboul, visant officiellement un véhicule chargé d’une « quantité importante d’explosifs » qui aurait constitué une « menace imminente » de la branche afghane de « l’Etat islamique », responsable, trois jours plus tôt, d’un carnage à l’aéroport de la capitale afghane. Mais il est bientôt incontestable que la frappe n’a détruit qu’un camion transportant d’inoffensifs bidons d’eau, causant la mort d’une dizaine de civils, dont au moins sept enfants. Le ministre américain de la Défense reconnaît une « horrible erreur » et présente ses « sincères condoléances à la famille et aux amis de ceux qui ont été tués ». Désormais, c’est un bombardement mené le 18 mars 2019 en Syrie qui s’avère avoir causé la mort d’une soixantaine de civils.

Le dernier réduit jihadiste en Syrie est alors sur le point de tomber à Baghouz, dans le sud-est de la Syrie, non loin de la frontière irakienne. Cela fait des semaines que Daech défend avec acharnement cette enclave de quelques kilomètres carrés qui représente l’ultime assise territoriale de son pseudo-califat. L’administration Trump n’en finit plus d’annoncer, jour après jour, la victoire « définitive » sur les partisans d’Abou Bakr al-Baghdadi. Les milices largement kurdes, qui constituent l’appui au sol de l’aviation américaine, s’efforcent, comme sur la photo ci-dessus, d’organiser l’évacuation des centaines de civils encore coincés, plus ou moins volontairement, dans le bastion assiégé. C’est dans ce contexte qu’une frappe de F15, le 18 mars 2019, est censée avoir tué 16 combattants et 4 civils. Mais une enquête approfondie du « New York Times » vient de révéler que sans doute 64, et non 4 civils ont perdu la vie dans ce bombardement.

En cause est la Task Force 9, une unité associant les force spéciales et les commandos Delta, dont la mission est de coordonner les offensives au sol et les frappes aériennes. Celles-ci ont beau être du ressort opérationnel du commandement régional de l’aviation américaine, situé au Qatar, elles dépendent largement de l’avis de la Task Force 9, beaucoup plus proche du terrain. Or le « New York Times » révèle que cette unité a systématiquement court-circuité les procédures de validation des frappes aériennes en mettant en avant le « danger imminent » d’une action ennemie. Cette dérive atteint son paroxysme avec le bombardement du 18 mars 2019, d’une durée de douze minutes, avec un premier lâcher d’une bombe de 250 kilogrammes, suivi de deux autres frappes sur les survivants. Les images d’un drone de surveillance ne montrent pourtant que deux ou trois hommes en armes, au milieu de civils, sur le site visé, sans qu’aucun soit engagé dans une action offensive.

L’organisation « Raqqa est assassinée en silence », dont le réseau de militants anti-Assad opère dans toute la vallée de l’Euphrate, accuse le jour même l’armée américaine d’avoir perpétré un « horrible massacre ». Mais ce témoignage est étouffé par les partenaires kurdes des Etats-Unis, car rien ne doit ternir l’annonce, le 23 mars 2019, de la reddition finale de Baghouz, et donc de l’élimination de la dernière enclave du « califat de la terreur ». Le « New York Times » révèle, en outre, que, malgré les informations sur d’importantes pertes civiles, le commandement américain a choisi d’enterrer l’affaire, sans même diligenter d’investigation interne. A la différence des « excuses » présentées pour « l’horrible erreur » de Kaboul en août 2021, le Pentagone refuse en effet de reconnaître officiellement le bain de sang de mars 2019 à Baghouz. L’administration Biden couvre ainsi les « bavures » de l’administration Trump, affirmant, au mépris de l’évidence, que le millier de frappes menées par les Etats-Unis contre Daech en 2019, en Syrie et en Irak, n’a causé la mort que de 22 civils au total.

Airwars, une ONG qui documente les frappes aériennes de toutes origines, considère en revanche que les bombardements alliés ont, durant les six premiers mois de 2019, tué au moins 415 civils en Syrie, et peut-être un millier. Toujours selon Airwars, la coalition menée par les Etats-Unis contre Daech est responsable, d’août 2014 à mars 2019, de la mort de 8.175 à 13.151 civils en Syrie et en Irak, là où Washington n’admet que 1321 pertes civiles. A titre de comparaison, l’Observatoire syrien des droits de l’homme estime que l’aviation russe a tué 8.114 civils en Syrie, depuis le début de son intervention, en septembre 2015, jusqu’en juin 2019. Cela n’empêche pas le ministre américain de la Défense de prétendre « qu’aucune armée ne travaille aussi dur que la nôtre pour éviter des victimes civiles » . Quant au « New York Times », il a, par le sérieux et la rigueur de son enquête sur le bombardement de 2019 à Baghouz, rétabli la crédibilité de ses reportages, écornée en 2020 par les affabulations d’un supposé jihadiste.

Le Monde


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